Brothers, ou la jouissance cyclothymique du banc de pierre
Bon. Je l'avoue, j'ai acheté Brothers sans rien savoir du jeu, parce qu'il y avait un arbre qui décorait le O. Chacun ses manies, chacun ses intuitions, que voulez-vous.
Et puis ça avait l'air mignon, ce petit RPG indépendant, et puis vous savez, les soldes de Steam, et ce qui s'ensuit... Bref, me voilà donc devant mon écran, manette en main (condition sine qua non pour jouer, à moins d'être un virtuose du clavier au calme olympien, et encore), prête à commencer l'aventure.
Première surprise, la musique est vraiment, vraiment jolie, pas un trésor d'inventivité certes, mais faite pour accompagner, pour tisser en toute discrétion le canevas sonore de l'histoire, et pour entourer le langage étrange des personnages.
Une histoire sans mots, mais pas sans paroles, donc. Une histoire qui commence de manière relativement classique, qui se présente comme un voyage initiatique mû par une urgence louable, sauver un père au bord de l'agonie en allant chercher dans le lointain un certain remède, au creux d'un certain arbre. Deux frères, dont la coopération sera nécessaire pour avancer, pour survivre dans un milieu parfois (souvent) hostile, avec un mode de jeu requérant des capacités ambidextres improvisées et un certain sens de la coordination. Une fois maîtrisé et pris en main, le jeu ne présente pas de grandes difficultés, ni de grands défis pour les joueurs émérites : les énigmes elles-mêmes, si elles peuvent être un peu ardues, ne résistent jamais longtemps, et on évolue assez facilement dans l'univers. Ce qui est d'ailleurs un avantage notoire, l'histoire n'en acquiert que plus d'importance, et elle le mérite.
En effet, si le début était classique, on s'aperçoit très vite de "fausses notes", d'aspérités qui donnent à penser que ce voyage de deux gamins ne sera pas si mignon et si prévisible. Et pour cela, le jeu table sur deux aspects de l'univers, l'avancée en jeu à proprement parler, et les bonus "hors-histoire", qui sur Steam prennent la forme de "succès". Les bonus, généralement, sont de bonnes actions un peu poétiques, souvent gentillettes, qui prêtent à sourire : on réunit un couple d'inséparables, avec forces roucoulement à l'appui, ou on taquine un mouton, on parle à une étoile, on rassemble une famille, bref, de petits moments sympathiques sans incidence, qui permettent de mieux s'immerger dans l'univers... du moins, généralement : sur certains "succès", un en particulier, on sent le "dérapage", le glauque insinué, qui devient de plus en plus insistant. C'est d'ailleurs à partir de ce succès-là que la progression du jeu change de ton, et avance en ascenseur émotionnel : à plusieurs reprises, je l'avoue, j'ai eu envie de maudire les développeurs tout en criant au génie, et vice-versa. Le paysage lui-même change, on entre dans des terres étranges, ravagées par la guerre, on commet des actions répugnantes pour pouvoir survivre. L'histoire perds ses dehors d'aventure un peu mièvre, et se montre dans sa complexité, parfois cynique et souvent cruelle, jusqu'à la fin du jeu, apogée de la virtuose perversité des développeurs. Développeurs qui, d'ailleurs, doivent avoir des actions chez Kleenex, mais là n'est pas la question.
Un chef-d'oeuvre, donc, au niveau des décors aussi, que même la qualité aléatoire de ma carte graphique ne parvenait pas à altérer; l'unique "bémol" que j'ai pu apercevoir étant le côté très "couloir" du jeu, alors qu'avec un décors et une ambiance pareille, on rêverait d'aller fureter dans plus de coins...
Un chef d'oeuvre que j'aurai certainement envie de refaire, pour aller voir ce que j'ai manqué, pour revoir ces personnages auxquels, mine de rien, on s'attache, et que l'on nous arrache, souvent trop vite.
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