Attendu de pied ferme suite au succès critique et commercial totalement suprenant de son aîné, Dark Souls avait beaucoup à prouver. C'est qu'il suscitait avant tout l'espérance du public le plus exigeant, les fameux hardcore gamers qui avaient sué corps et âme pour venir à bout d'un jeu brillant et éprouvant.
Une de ces suites simplifiées, à la difficulté sacrifiée sur l'autel de l'accessibilité aurait été un véritable sacrilège. De même qu'une simple amélioration de la formule à grands renforts de simples améliorations cosmétiques. Cela, il semblerait que les équipes de From Software l'ont bien compris, puisqu'ils proposent avec Dark Souls de vrais changements de fond, certes peu nombreux, mais qui font toute la différence.
Ce qui passe avant tout par une révision du level-design. Les niveaux de Demon's Soul étaient exceptionnellement bien construits, ouverts et privilégiaient l'exploration. Des qualités qui ont été conservées, mais l'apparition d'un univers ouvert et sans transition change totalement la donne. D'un petit sanctuaire niché au pied d'une montagne, le joueur peut accéder dés le début de sa partie aux recoins les plus dangereux des terres de Lordran. Quitte à se faire botter le train en bonne et due forme pour avoir voulu explorer les sinistres catacombes, ou avoir mis les pieds dans une ancienne cité hantée. Totalement lâché dans cet univers hostile et inquiétant, le joueur croisera sur son chemin des personnages désabusés : les répliques de personnages totalement à bout, à l'humour épuisé et aux intentions souvent plus que malveillantes sont un véritable régal. Bien sûr, l'aventurier trouvera malgré tout quelques havres de paix au cours de son périple. Ces feux de camp sont la véritable pierre angulaire de l'exploration : à la fois points de repos, ils marquent aussi les différentes étapes au sein d'un environnement, et permettent au joueur de refaire le plein précieuses fioles de soin. Des nouvelles mécaniques qui font que Dark Souls propose une exploration qui, si elle repose sur des bases similaires, se révèle au final assez différente de celle de son prédécesseur. L'important est surtout que ces ajouts s'expriment au final extrêmement bien grâce à la qualité des environnements visités. Ils sont à la fois d'une grande variété sans pour autant sacrifier la cohérence. Passer de bas-fonds à un marais infecté se fait dans la plus logique des transitions, ce qui permet au demeurant de renforcer le sentiment de liberté, mais aussi d'oppression du protagoniste, qui, explorant des niveaux conçus en strates, développe un sentiment aigu de claustrophobie. Une construction verticale (il y a un "au fond" et un "tout là-haut") extrêmement innovante et anti-linéaire. Moults raccourcis, zones secrètes ou facultatives forment un tout cohérent et surtout toujours très hostile. Comme un contrepied anachronique au sidescrolling mais aussi aux jeux à couloir, Dark Souls brille donc par la construction d'un monde ouvert qui sait impressionner autrement que par l'emploi d'une belle skyline et de toits à arpenter...
Pour le reste, Dark Souls conserve les qualités de son prédécesseur. Des combats exigeants plein de tension, le principe du game over revisité (avec la dualité forme humaine/forme spectrale ici reprise mais avec une dimension nouvelle) des bossfights mémorables en veux-tu en-voilà, un univers étrange et marquant. L'esthétique, superbe, emprunte toujours à la dark fantasy mais va aussi lorgner du côté du baroque, de part l'exubérance de certains décors qui tranchent avec leur état de décrépitude et de déliquescence héritées de Demon's Soul. Le bestiaire plus organique et fouillé ne manque pas de renforcer cette sensation. Quant aux compositions hallucinées de Sakuraba, elles relèvent toujours de cette représentation très lovecraftienne de l'indicible et ne viendront que ponctuer certains segments. On pourra tout au plus reprocher que ce soin n'ait pas été apporté à toutes les zones, particulièrement certaines de la seconde moitié du jeu, moins inspirées. Mais le tout reste homogène et stupéfiant de richesse.
Et comme si, poussé par cette volonté de faire honneur à l'aîné en surprenant toujours, la partie en ligne a subit une révision totale. Si elle en conserve les bases qui étaient déjà très intéressantes, un système de faction très audacieux vient pimenter le tout. Inutile d'entrer dans les détails, les initiés savent de quoi je parle, mais des mécaniques aussi complexes et persistantes que celles que l'on peut trouver dans des MMORPG caractérisent l'expérience pourtant éminemment solitaire que constitue Dark Souls. C'est dire à quel point il émane du titre une plénitude conceptuelle qui relève du génie, même si la finition du tout laisse parfois à désirer.
En définitive, dans toute sa dimension sacrificielle, sa richesse vidéo-ludique et son refus du compromis, Dark Souls fait entièrement honneur à la réputation de sa lignée et se pose en jumeau maléfique de Demon's Soul. Un purgatoire vidéo-ludique qui, malgré tous les efforts expiatoires qu'il impose au joueur, ne suffit probablement pas à atténuer à lui seul l'état de mort clinique dans laquelle se situe la notion d'hostilité dans les jeux-vidéos, mais qui la ressuscite à merveille. Le temps d'une expérience de jeu aussi longue que mémorable, comme hors du temps et de tout univers terrestre.