Critique de Dark Souls 2 : Scholar of the First Sin, sauvé par ses DLCs

Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr


Avec mon acolyte d’Etoile et Champignon, on avait retraversé en coop presque tous les Soulsborne sauf Dark Souls 2, vilain petit canard de la bande sans cesse repoussé parce que « pas l’envie ». Il faut dire que ma partie solo m’avait échaudée (j’avais fini par rusher la fin «de base », fatigué par la difficulté du 2ème DLC), et qu’en général le jeu m’avait laissé une impression très mitigée. Et puis, la démangeaison « From Softienne » s’est refaite sentir – comme d’habitude, à l’approche de leur nouveau jeu -; l’envie de se replonger dans des combats et des lieux « à la Dark Souls » a fini par motiver cette nouvelle partie qui, pensions nous, aurait au moins ses moments sympathiques, sa base d’action plaisante et ses quelques lieux intéressants à traverser. Au sortir de cette épopée qui m’a permis de découvrir enfin les DLC 1 (Sunken King) et 3 (Ivory King), je ne dirais pas que mon opinion du jeu a été retournée comme une crêpe, mais au moins que l’expérience a été plus agréable que prévu, voire par moments franchement plaisante, et ce en grande partie grâce aux excellents DLC.


Avec le recul des années et plusieurs autres jeux FS, Dark Souls 2 reste pour moi l’épisode à la limite du ratage, un jeu qui « fait bizarre » en comparaison des autres, un jeu auquel il manque immédiatement beaucoup de petites choses qui s’accumulent en une sensation de gêne tenace. L’action, tout d’abord, donne l’impression d’être à côté de ses pompes, même en comparaison à DS 1 : tout ce que l’on y fait, des roulades aux coups en passant par les déplacements, semble englué, alourdi d’une latence, d’un manque de mordant qui se transforme en manque de contrôle (de notre part) et de justesse des évènements de jeu. On se sent initialement moins à l’aise face aux ennemis, des situations a priori gérables tournent au vinaigre parce qu’une esquive n’a pas marché, ou que notre personnage n’a pas eu la réactivité attendue et les frustrations s’accumulent. On assigne d’abord le blâme aux nouveaux moteurs graphiques et physiques de DS 2, (semble-t-il) moins précis sur les effets de matières, (semble-t-il) moins nerveux sur les mouvements que dans l’épisode d’avant, et qui amoindrissent les sensations physiques (les chocs de lames sur les corps et les murs sont moins bien rendus et font moins d’effet). En glanant des infos sur le net, on met le doigt sur un autre problème : les frames d’invincibilités associées à la roulade dans les Soulsborne, au fondement de toute la pratique de l’esquive, sont ici conditionnées à une statistique à monter et non pas garantis d’emblée comme un « socle de jeu », sans que l’information ne soit clairement donnée par le menu d’aide. Le joueur qui l’ignore et n’investit pas dans cette stat est donc voué à rater ses roulades et à se sentir floué par le système jusqu’à la fin : drôle d’idée de game-design, dont on amoindrit la portée en misant assez de points dans la statistique en question (l’adaptabilité), jusqu’à retrouver, Ô miracle, des sensations enfin assez nerveuses et fiables pour renouer avec l’esquive à travers les coups des ennemis, à peu près comme dans le jeu d’avant… mais encore fallait-il le savoir.


Une autre gêne tient au travail sur le level-design et sur l’esthétique des niveaux, d’habitude si brillants dans les jeux From Software. Par contraste, celui de Dark Souls 2 est très inégal, une impression renforcée par le fait que ses premières zones (L’Orée, La Forêt des Géants Défunts) sont particulièrement ratées : on ne comprend pas comment le même studio qui, bientôt, sortirait un Bloodborne excellant en la matière ait pu laisser passer un tel chapelet de niveaux si moches – excepté le beau hub Majula, bout du monde tombant en falaises dans l’océan, bloqué dans une éternelle fin de jour -. Un symptôme parmi d’autres de ce qui cloche dans DS 2 : on y croise peu beaux points de vue, là où les autres jeux du studio alignent les panoramas sublimes (lesquels valent aussi comme annonce des chemins à venir, dévoilés à regard).



DS 2 rate en outre la référence aux lieux réels qu’il tente de représenter, comme le typique château-fort qui, dans les autres épisodes, inspirait des sommets de level-design. Ici, le thème de la place-forte se réduit à une enfilade de corridors étroits donnant sur des pièces biscornues ou des cours extérieures étriquées, autant d’espaces pas crédibles, saupoudrées à la va-vite d’éléments décoratifs comme si le jeu avait été réalisé dans une grande précipitation. L’un des attraits des productions de From Software tient pourtant à leur capacité à nourrir notre curiosité par l’attention qu’ils portent à la consistance des lieux, jusque dans leurs plus petits détails. Notre volonté d’explorer, d’aller voir ce qui se cache derrière telle porte ou tel pont, y est habituellement à l’exacte mesure de notre confiance dans le fait qu’une certaine « qualité d’espace » s’étendra de là où l’on se trouve à l’endroit d’après. Mais pour que cette attente existe, pour qu’un tel élan de jeu soit insufflé, il faut encore que les premières zones installent des enchainements convaincants… soit tout l’inverse de ce que fait Dark Souls 2 : l’un des premiers niveaux, l’assez ratée « Tour de Flamme de Heide » débouche par un improbable réseau de tunnels sous-marins (?), sur l’illisible Quai de la Désolation, un sommet de level-design bordélique ; une autre série de niveaux nous fait enchainer le Bosquet des Chasseurs, le Purgatoire des Morts-Vivants – deux zones aux airs de « mod amateur » – et l’Aiguille de Terre, une sorte de Forteresse de Sen discount, en haut de laquelle on accède, dans un raccord impossible car invisible de l’extérieur, à une château censément dans le ciel et en même temps sis dans un lac de lave… cet enchaînement de niveaux spatialement incohérents pulvérise notre croyance en un monde globalement laid, accumulant les levels-design sans inspiration et les textures cradingues (comme dans le très vilain Bois de l’Ombre) aux effets de matière peu convaincants (pierres de taille mal définies, mousses et textures végétales hideuses, sols répétitifs et grossiers).


On pourrait continuer la liste des doléances, et pester sur la reprise de certains décors de DS 1 et Demons Souls en moins bien (cf le Dépotoir, qui porte bien son nom : un lourdingue labyrinthe sur pilotis plongé dans l’obscurité) ; on pourrait ergoter sur la longue litanie de boss insipides, oubliés sitôt combattus, qui évoquent plus le « contenu moddé » par un groupe de fans dégourdis que les standards de qualité auquel le studio nous a habitué (surtout en la matière) … Mais il faut aussi tempérer la ronchonnade, et reconnaître le fort tournant qualitiatif qui s’opère avec les trois DLC qui, non content de relever le niveau, renouent même franchement avec le haut niveau d’inspiration artistique et architectural de DS 1. C’est bien simple, en découvrant le premier de ces trois mondes, on a eu l’impression d’entrer dans un nouveau jeu, conçu par une nouvelle équipe de développement : les textures, si souvent vilaines dans le jeu original, sont ici inversement soignées et esthétiquement plaisantes, bien assemblées entre elles, d’une façon qui ne jure plus ; quant à l’architecture des niveaux, elle redevient passionnante à détailler du regard, les 3 DLCs renouant avec l’obsession du point de vue qui claque, ouvrant sur de gigantesques structures explorables en guise de programme des épreuves à venir. Les lieux eux-mêmes perdent le désagréable aspect artificiel du contenu « vanilla », et se mettent enfin à fonctionner en tant que mondes « fantasy » crédibles, relançant pleinement notre envie d’explorer. A ce titre, on compte l’ensemble du DLC « Couronne du Roi Englouti », avec sa tentaculaire cité sous-terraine semblant plonger à l’infini dans l’abysse, parmi les grandes réussites du studio dans le registre de la descente aux enfers anxiogène. Et si tous les boss de ce contenu additionnel ne sont pas également convaincants, la faute à une physique et une animation encore trop rigides et vieillotes, on y fait enfin quelques rencontres dantesques – comme avec le dragon Sinh (un proto-Midir), le tigre de glace (annonciateur des bêtes de Bloodborne), ou le redoutable Alonne -, qui poussent notre agilité de bretteur dans ses derniers retranchements. S’il fallait situer l’ensemble sur une échelle de notes, on placerait le bloc des DLCs à 8/10, là où le Dark Souls 2 original plafonnerait à 5/10 – et pas moins parce que, tout de même, il se laisse jouer (il faut l’admettre) : une certaine sauce prend du fait de notre montée en niveau et puissance, qui donne envie d’avancer pour trancher du monstre et faire défiler du décor, aussi bof soit-il -. D’où cette moyenne : 6/10.


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Benetoile
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le 2 févr. 2025

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