Piégé dans une forêt, par la forêt elle-même. Obligé de survivre chaque nuit à ses attaques et de planifier chaque sortie en journée pour espérer trouver des indices qui éclaireront notre situation. Pourquoi sommes-nous là ? Quelles histoires peut-on recomposer avec ce qu’on trouve ? Une piste se dessine, celle de la sortie. Mais fuir n’est pas comprendre. Pour comprendre, il faut faire l’inverse : revenir et s’enfoncer plus loin encore.
L’univers de Darkwood est l’un des plus intrigants que je connaisse. J’ai l’impression de replonger dans le brouillard mystique de Stalker. Un jeu cryptique, avare en informations, aux secrets que l’on sait denses mais qui nous restent interdits. Mélange de folklore de l’est, d’imageries démoniaques, de références multiples à la littérature fantastique. Des images restent après jeu, des choses indescriptibles, des étrangetés qu’une critique ne saurait raconter. J’ai vécu des moments terrifiants, j’ai traversé des zones chargées d’une atmosphère pourrie et hostile, avec l’impression que la forêt observait le moindre de mes pas. Du pur Stalker-like en ce sens.
Mais sorti du jeu, j’ai déjà envie d’y revenir car j’ai l’impression de l’avoir laissé incomplet, de ne pas avoir percé le mystère. C’est la forêt qui a gagné. Étrange sentiment que de se sentir nargué par le jeu alors même qu’on est allé jusqu’au bout. Assurément la fin que j’ai vécue (car il y en a plusieurs) n’est pas la bonne. Trop belle pour être vraie. Une frustration subsiste.
À mon sens Darkwood est un jeu parfait. Parfait parce que cohérent. C’est un jeu âpre, sorte de Hotline Miami rigide dans la prise en main, mais d’un fait exprès. Tout est fait pour mettre la survie au centre du jeu : le cône de visibilité transforme chaque angle mort en danger potentiel (on n’aura jamais eu aussi peur de l’invisible). Toujours dans cette logique, il y a l’importance du son. Le travail sonore est absolument grandiose. On pourrait disserter longtemps sur l’intelligence de son utilisation. C’est d’abord lui qui nous tétanise. Paradoxalement c’est lui qui nous sauve. Enfin c’est lui qui nous guide.
Il y a aussi la manière de conjuguer survie et exploration. Il faut planifier ses sorties et organiser sa survie, tout en continuant à enquêter le jour. Un bon survival, c’est d’abord un jeu où les ressources sont rares et donc précieuses. Le craft est décisif, jamais mené à la légère. Il s’agit, à l’arrivée du crépuscule, de bien se préparer à la nuit qui arrive. Car croyez-moi chaque nuit est une épreuve. Une fois le soleil couché, c’est comme si la forêt changeait de visage - d’ailleurs le son qu’elle émet change - il faut alors se barricader, piéger sa maison, être prêt à lutter, et essayer de ne pas mourir d’une crise cardiaque face à ce qu’on va affronter.
Enfin, le plus important dans Darkwood, c’est la gestion du temps. La montre est un item précieux. Si la nuit tombée, on est ailleurs que chez soi, c’est foutu. Heureusement, on peut récupérer ses items perdus à l’endroit de sa mort. Bref, le temps joue contre nous et contamine le rythme du jeu. Perso, je me fixais plusieurs règles. La plus importante était la suivante : ne jamais pousser l’exploration passé 17h.
J’ai donc fini le jeu, mais je dois y revenir. Et les développeurs le savent bien. Darkwood présente une part de procédural. À chaque nouvelle partie la carte change. La forme de la forêt est revue, ses zones se métamorphosent, et les éléments qui la composent distribués différemment. La map que l’on a explorée dans le sang, cartographiée en détail au fil de nos explorations se dérobe à nous une fois une nouvelle partie lancée. Idée brillante qui permet non seulement d’appeler à la rejouabilité, mais qui renforce aussi l’idée d’une forêt vivante, qui change de visage et se refuse à notre compréhension.