Lettre d'amour pour boucherie héroïque
Depuis la PlayStation, première du nom, et ses indétrônables standards du survival-horror, le genre avait plus ou moins abordé son déclin. Entre des chef-d'oeuvres malmenés par des suites indignes, généralement à cause de choix scénaristiques contestables (Resident Evil en tête), voire des suites qui n'en sont pas (Dino Crisis 3) ; et des dérapages dans l'action au détriment de l'horreur ; cette ambiance des premiers survivals-horror semble depuis quelques années être devenue presque uniformément incomprise chez les créateurs.
Pourtant, quelques jeux ont tenté et plus ou moins relevé le défi de faire peur (Doom 3, par exemple). Mais la peur était-elle sincèrement dans le jeu, ou était-ce plutôt un stress découlant immédiatement de supercheries du gameplay ?
Supercherie, le mot est lâché. Peut-on trouver raisonnable le fait qu'un marine armé jusqu'aux dents dans Doom 3 ne sache pas tenir en même temps une arme et une lampe torche (à l'éclairage plutôt fatigué au demeurant) ? Est-il acceptable qu'un agent surentraîné dans Resident Evil 5 et déjà connaisseur des atrocités qu'il affronte ne puisse pas tirer en se déplaçant, et doive rester inerte face à des hordes de monstres ? On en viendrait à penser que les créateurs ont cherché à compenser l'absence d'ambiance angoissante par un stress de tous les instants, efficace et facile autant qu'il est lourd et agaçant. Le parti-pris de la facilité, rehaussé de scénarios discutables, a fini par écarter nombre de joueurs du survival-horror. Non, il ne suffit pas de faire des salles entières sans éclairage et de laisser le joueur tomber en panne de munitions tous les trois couloirs.
Dead Space est la réponse à cette crise, et bien plus encore.
Alors que tout contact est rompu avec un vaisseau de forage, l'USG Ishimura, une petite équipe est envoyée pour résoudre ce qui semble être une sérieuse avarie technique. A l'arrivée, le joueur (incarnant Isaac Clarke, ingénieur technicien dont la propre femme se trouvait à bord de l'Ishimura) comprendra à ses dépends que l'incident est, évidemment, nettement plus grave que ce que l'on aurait pu imaginer.
C'est sur ce point de départ que Dead Space devient le "film d'horreur dont vous êtes le héros". Reléguant au placard toute supercherie de gameplay évoquée précédemment et proposant cet incroyable concept, tiré de jeux immémoriaux, de pouvoir marcher en tirant et en utilisant une lampe torche ; le soft se distingue des autres par de nombreux points.
Tout d'abord dans la finesse de ses évidentes références, on ne peut plus appréciables. La plupart des films de terreur extra-terrestre ou spatiale sont ici cités et réarrangés à de multiples reprises (la saga Alien et The Thing de John Carpenter planent d'ailleurs tout au long du jeu, ou - plus étonnant - 2001 : Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick), et intègrent totalement le scénario. Ce dernier d'ailleurs renoue avec les premiers Resident Evil, non pas dans l'histoire elle-même, mais dans sa découverte petit à petit : récupération de vidéos, de transmissions audio, de textes et autres témoignages de l'incident constituent un background tout à fait riche et intéressant et au bout du compte une histoire dont on a envie de savoir la fin. On ne manquera pas d'apprécier la crédibilité des trouvailles.
Dans cette histoire de terreur spatiale, le joueur n'est cependant pas seul et peut compter sur quelques armes. Dead Space en recense suffisamment : ni trop, ni trop peu. Il ne sera pas difficile de posséder toutes les armes du jeu, et c'est tant mieux. Les créateurs semblent rappeler ici que les armes dans un survival-horror sont un moyen et non pas une fin - on ne peut qu'approuver. Si le manque de munitions se ressentira graduellement de plus en plus au fil du jeu, il reste "gérable" et n'empêche pas d'autres moyens de défense : les inventions bienvenues "stase" (pour ralentir un objet ou un assaillant) et "PK" (télékinésie, permettant de déplacer des meubles ou des objets et éventuellement de s'en servir comme armes de fortune).
Mais passées ces considérations, importantes pour le jeu vidéo, il faut aborder le point qui met tout cela en cohésion, ce qui permet de faire passer le jeu de "bon survival" à "tuerie phénoménale". Car Dead Space, c'est beau, très beau. Les graphismes, magnifiques, déchaînent à l'écran des situations jamais vues dans un survival-horror. Moments dans l'espace totalement renversants et hypnotiques, salles démesurées en gravité 0, créatures à l'aspect infernal : Dead Space est une ode à l'horreur, et certains passages provoquent, il faut bien le dire, l'émerveillement. C'est une oeuvre sublime et macabre, sanglante et grandiose, et à ce niveau, Dead Space coiffe au poteau tous ses éventuels concurrents. Encore plus remarquable, l'impressionnante bande son s'installe avec une aisance incroyable sur ces séquences, et les bruits inquiétants de l'Ishimura feront peur jusqu'au bout du jeu. Car, à la vue des points développés précédemment, Dead Space fait peur. Silhouettes indistinctes, bruits de pas au bout du couloir (ou à proximité dans le vaisseau), chuchotements incompréhensibles, décors affolants, rien n'est épargné au joueur. Le jeu passe très habilement de l'angoisse au stress pur et dur, avec des moments d'action intense lors de poursuites avec un monstre increvable. Pourtant, et c'est un pied de nez phénoménal à certains concurrents, on notera peu de phases "dans le noir" dans Dead Space. Oui, souvent la luminosité est faiblarde ; mais on ne tombera pas dans le "noir total" - grande facilité dont abusent certains survivals. La peur n'est pas seulement dans ce que l'on ne voit pas, elle est aussi dans ce que l'on voit, et dans ce que l'on entend - postulat osé mais franche réussite à l'arrivée.
Avec ses points de sauvegarde bien répartis et sa difficulté bien dosée, Dead Space se termine en une bonne douzaine d'heures, et propose une bonne rejouabilité en débloquant quelques bonus lors de la fin de partie.
En conclusion, Dead Space est ce que tout joueur était en droit d'attendre du survival-horror. Renouvelant un genre à la dérive en employant les grands moyens, multipliant les trouvailles ingénieuses et proposant un véritable "film d'horreur dont vous êtes le héros", onirique et glauque, le jeu se positionne en nouvelle référence. On avait pas connu ça depuis longtemps. Une expérience. Une claque. Et ça fait du bien.
A suivre...