Franchement, j’aurais aimé pouvoir aborder ce « Death Stranding » sans avoir à évoquer son auteur. Dit autrement : j’aurais aimé en parler comme n’importe quel autre jeu.
Seulement j’ai beau tourner ça dans tous les sens, c’est tout bonnement impossible.
Tout ce « Death Stranding » est conçu de telle manière à ce qu’il renvoie en permanence à celui qui l’a pensé, produit et dirigé : de son nom qui s’affiche toutes les deux minutes à l’écran aux mimiques qui rappellent en permanence ses habitudes.
Du coup on n’y réchappera pas.
Pas d’autres moyens que de parler de « Death Stranding » comme un jeu d’Hideo Kojima.
Il y a ceux qui le détestent et ceux qui le vénèrent. Ils y a ceux qui lui voient des traits de génie tandis que d’autres considèrent son travail comme totalement surfait.
Moi, parmi tout ce monde là, je me trouve un petit peu entre deux eaux. Je me reconnais un petit peu dans tout ça à la fois. Et il m’a suffi de lancer ce « Death Stranding » pour me le rappeler.
Ecran noir.
« Un jour il y eut une explosion.
Un souffle qui créa le temps et l’espace.
Un jour il y eut une explosion.
Un souffle qui propulsa une planète dans cet espace.
Un jour il y eut une explosion.
Un souffle qui donna naissance à la vie que l’on connait. »
Petit à petit, la narration d’Emmanuel Karsen – le doubleur français de Sean Penn – est accompagnée d’un rythme musical entêtant qui monte et monte encore.
« Et puis arriva une autre explosion… »
Un paysage s’affiche soudainement. Désolé.
« Sony Interactive Presents »…
Les paroles de « Don’t Be So Serious », la chanson d’introduction de Low Roar, se fait alors entendre tandis que les paysages défilent.
Norman Reddus. Madds Mikkelsen. Léa Seydoux. .. Les noms prestigieux s’affichent les uns à la suite des autres.
Puis apparait au loin – tel un Tom Cruise d’« Oblivion » – notre héros sur sa moto.
Il trace le temps de la fin de notre générique. L’occasion d’enchaîner différentes valeurs de plans qui vont nous présenter celui qui deviendra notre avatar durant toute cette longue aventure.
Et puis soudain la musique s’arrête. La moto aussi.
Notre héros tourne enfin le visage vers nous.
Derrière lui le tonnerre qui gronde. Les oiseaux qui s’enfuient.
Une goutte tombe qui blanchit instantanément ses cheveux.
Le héros – bad ass – met sa capuche et sait qu’il va devoir accélérer la cadence.
Il fonce mais se retrouve encerclé par l’orage.
Une étrange menace lui fonce subitement dessus.
Il trace tout droit pensant y réchapper mais soudain, une femme. Ralenti.
Il cherche à l’éviter. Il tombe.
La moto disparait au fond d’un ravin.
Notre avatar se relève. Début de partie.
Ça… Ça c’est du Kojima tout craché.
Du cinéma avant tout. Et franchement, pour le coup, du bon cinéma.
Qu’importe ce qui allait suivre derrière, j’étais déjà dedans.
L’atmosphère. L’univers. Le mystère. Tout était déjà posé.
Du Kojima donc, mais du très bon Kojima.
Et l’espace d’un instant, je me demandais même si – cette fois-ci – je n’allais avoir affaire à de l’excellent Hideo Kojima.
Parce que l’air de rien, pour une intro kojimesque, ce « Death Stranding » fait vraiment dans la retenue. La sobriété. Le dépouillement.
D’ailleurs nous voilà soudainement là, avec notre avatar, dans la grisaille, sous la pluie.
Un tuto assez libre, pas scripté dans le timing comme ça pouvait encore être le cas dans son dernier « MGS ». Pas de musique. Juste les sons de notre environnement.
En bref, « Death Stranding » nous offre une intro posée.
Malgré cela, cette introduction fait néanmoins son boulot.
Elle impose des passages obligés. Quelques coupures cinématiques viennent épaissir cet univers déjà bien mystérieux mais sans jamais apporter de réelle explication. Et puis, doucement mais sûrement, elle nous apprend les bases de ce gameplay qu’entend nous proposer « Death Stranding ».
Moi. Après un quart d’heure de jeu, j’étais aux anges.
Je me disais que – peut-être – pour une fois, Kojima allait savoir se montrer plus mesuré, mieux équilibré et, par conséquent, plus efficace…
Mais malheureusement, je me trompais.
Malheureusement, Kojima est resté Kojima.
Car aller au-delà de l’introduction de « Death Stranding », c’est laisser derrière soi la retenue, la sobriété et le dépouillement. Et c’est rentrer progressivement dans tout ce qui fait qu’un jeu d’Hideo Kojima soit à ce point source de débat.
Premier souci, c’est que le jeu il faut l’attendre. Souvent. Longtemps.
Les scènes cinématiques s’enchaînent inlassablement. On garde la manette en main par principe, persuadé qu’à tout moment on va nous replonger dans une phase jouable mais non. On attend en trifouillant le seul stick qui nous permette d’interagir avec la situation : celui de la caméra. Et chaque fois qu’on pense que ça y est, ça va être à nous, eh bah non. La scène cinématique continue. Alors on regarde.
On regarde ce qui, au fond, n’est pour le moment qu’un film.
L’air de rien. Cette triste comédie va durer quelques heures.
Des heures durant lesquelles les seules phases de jeu qui nous sont offertes se réduisent à de simples allers et retours totalement insipides. Des allers et retours où il ne se passe rien ou presque, comme si le jeu n’était qu’une distraction de temps de téléchargement entre deux scènes. Alors certes, on comprend bien qu’on continue de nous apprendre des mécaniques de jeu. Le transport. La gestion du poids. Les dangers de la pluie. La menace des échoués. Mais tout ça est tellement long et cadenassé que, chez moi, ça a commencé à diluer l’intérêt.
Kojima ne voulait plus que je joue. Plus comme dans l’intro.
C’était ce qu’il voulait quand il le voulait.
Au chemin près. Au geste près.
Presque un QTE un brin plus complexe.
J’aurais pu encore accepter cela si ce n’était qu’un début.
Mais manque de pot, même après une bonne dizaine d’heures de jeu, « Death Stranding » continue à nous apprendre des trucs, encore et encore.
Et c’est là qu’arrive le deuxième gros souci du jeu : la lourdeur.
Kojima ne sait pas faire de choix.
Il faut qu’il y ait tout dans son jeu. Il faut que ça fourmille dans tous les coins, au point que ça dégouline voire que ça déborde.
Il y a vingt milliards de choses à faire. On pourrait trouver ça chouette, mais moi ça m’a assommé.
Ces menus aussi épais que la Bible, moi je trouve ça indigeste au possible.
En plus, il a fallu que monsieur Kojima fasse le choix d’une police de caractère minuscule ce qui rend la manipulation de cette interface totalement usante.
Et moi, dans ces menus, j’y suis resté des plombes !
Surtout que les manipulations sont quand même assez complexes et parfois vraiment mal pensées. Que j’en vienne à consulter un forum pour savoir comment accéder à l’interface d’une structure c’est quand-même un TRES GROS problème. (Parce que oui Hideo, « appuyer » et « maintenir », ça n’a pas la même signification hein…)
C’est bien simple, à chaque fois qu’on me refilait une nouvelle possibilité d’action (c’est-à-dire tout le temps en fait) je ne le vivais pas comme un upgrade qui allait me faciliter la vie mais bien comme une charge supplémentaire à devoir porter sur mon dos déjà bien endolori.
Et encore maintenant, même après un certain kilométrage au compteur, mon plus gros ennemi dans ce jeu c’est resté, non pas les échoués, non pas les mules ni même les Homo Demens, mais bien ces foutues interfaces à la con…
Mais bon…
Moi qui ressortais récemment de « Metal Gear Solid V », je me suis dit que ce serait le prix à payer avant de vraiment connaître la liberté. La liberté d’action d’abord mais surtout – et c’était toute la promesse de ce jeu au fond – la liberté de voyager, de s’éloigner, de s’isoler.
Mais malheureusement cette liberté se paye très cher dans ce jeu.
Dès qu’on se rapproche d’une base ou d’un point d’intérêt, il faut que notre « menotte » se mette à couiner pour nous rappeler pleins de choses.
Ce truc parle tout le temps. Il y a toujours quelqu’un au bout du fil pour rajouter une info de gameplay ou pour expliquer du scénario. Si bien que pour qu’on nous foute une bonne fois la paix, il faut vraiment qu’on se barre loin loin loin…
Mais le problème, c’est que quand on se barre loin loin loin, on se retrouve soudainement seul avec le jeu… Et clairement à ce moment là, le problème ce n’est pas qu’on soit seul.
Le problème c’est qu’on soit avec le jeu.
Parce que bon, une fois qu’on l’a dépouillé de toutes ses surcharges de scénario, de lore, d’outils à tire-larigot, que reste-t-il en termes d’expérience de jeu ?
Bah… Un gars qui marche, d’un point A à un point B. C’est presque tout.
Parce que bon, il a fallu qu’on nous rajoute comme finesse que ce gars doive marcher lentement parce qu’il est chargé comme un mulet et qu’il risque de tomber !
Or, un pas plus vite que l’autre et c’est le gadin.
Et un gadin, c’est moins de gain.
Pain. No gain.
Alors certes, au bout d’un moment on se retrouve vite avec une moto.
Chouette pourrait-on se dire. Sauf que…
Bah une moto quoi…
Une moto pour se balader sur un terrain totalement accidenté ? Vous êtes sûrs les gars ? Et pourquoi pas un tandem pendant qu’on y est !
Puis viendra le camion. Camion qui se coince sitôt le relief devient un peu trop compliqué, c’est-à-dire tout le temps…
Donc bon…
Au final la décision est vite prise.
Autant tout faire à pied. Ça reste ce qu’il y a de plus simple.
Sauf qu’en fait non.
Marcher en devant contrebalancer en permanence.
Marcher en ayant une touche pour grimper mais pas pour descendre.
Marcher quand d’un seul coup tu te rends compte que tu vas devoir mettre le nez dans le menu…
Oh non… En fait marcher c’est loin d’être si simple.
Du coup on marche lentement. Très lentement.
Et marcher à 3km/h, c’est chiant.
Alors certes, le jeu essaye bien de nous rajouter des péripéties et du challenge histoire de pimenter un peu le tout. Mais en fait ces éléments, loin de dynamiser notre progression, ont plutôt tendance à la ralentir encore davantage, quand elle ne sabote pas carrément notre immersion.
Rencontrer des échoués, une fois ça va, mais au bout d’un moment ça devient juste lourd.
Toujours les mêmes mécaniques, annoncées toujours avec les mêmes cinématiques. Tout ça, par effet de répétition, devient long et chiant au possible.
Et puis il y’a la pluie. « Attention, la pluie dégrade vos marchandises » nous dit-on. Et effectivement, pour certaines, il suffit de deux minutes pour qu’elles fondent comme neige au soleil. Mais alors du coup qu’on m’explique : comment elles ont fait pour tenir aussi longtemps abandonnées dans la nature ?
Au bout d’un moment Hideo, moi je veux bien essayer de me plonger dans ton univers, mais essaye au moins d’être un minimum rigoureux dans ton scénario.
Et c’est ce qui va d’ailleurs me permettre d’aborder le dernier point qui fâche dans ce jeu : le scénario, ou plus largement l’écriture.
L’occasion d’ailleurs de boucler la boucle puisque tout ça va nous ramener à ce que posait ce « Death Stranding » dès l’introduction : du cinéma certes, mais du jeu aussi.
De l’effet mais également de la retenue.
Une intrigue à résoudre enfin, mais qui n’interdira pas l’exploration.
Toute cette promesse là, au fond, elle est vite balayée par l’écriture de ce jeu.
Un peu comme pour son interface, Kojima est resté fidèle à sa philosophie qui consiste à penser que « plus c’est mieux », ainsi se retrouve-t-on assommés d’éléments scénaristiques qui ne cessent de tomber en pagaille.
Et comme la retenue, Kojima, il ne connait pas, il retombe encore et toujours dans ses mêmes travers : il est prêt à faire feu de tout bois dans l’espoir que ça donne de l’ampleur à son œuvre.
Ainsi il sera encore question de présidence des Etats-Unis, de sauvetage du monde et de l’humanité, de lutte contre la mort et surtout de lutte contre la mort du lien social, blablabla…
Kojima veut dire plein de choses en même temps – nous donner des leçons – et comme il veut s’assurer que tout le monde s’intéresse à ce qu’il a à nous dire, il fait tout son possible pour attirer l’attention sur lui…
Et ça, moi, c’est ce qui me fait dire qu’au fond Kojima n’a pas changé d’un iota depuis son tout premier « Metal Gear Solid » sorti il y a de cela vingt ans.
Kojima est resté au fond un véritable adolescent.
Besoin d’exister. Besoin de s’affirmer. Besoin de reconnaissance…
Voilà ce qui semble animer depuis le départ la carrière de celui qui, pendant longtemps, fut la figure de proue de Konami.
Et, pour moi, ce n’est pas forcément un mal en soi.
C’est justement cette vigueur adolescente qui fait que Kojima ne se donne aucune limite, qu’il croit naïvement à la profondeur de ce qu’il fait et qui fait qu’en conséquence il se risque sur des voies que peu oseraient emprunter à part lui.
Et c’est vrai qu’il y a – d’une certaine manière – quelque chose de beau là-dedans.
« Death Stranding » est un titre qui dispose d’une atmosphère qui lui est propre. Qui capte l’attention. Qui séduit. C’est évident.
De la même manière, si ce jeu peut exaspérer par sa immaturité d’écriture à base de « tu es le fils de la présidente Snake ! / sauve les Etats-Unis de l’extinction Snake ! », il fait aussi partie de ces jeux susceptibles de surprendre en permanence. Cette histoire de brise-brouillards ou d’échoués, c’est quand-même bien perché, et moi c’est clairement ce genre de pyrotechnie narrative qui m’a donné envie d’avancer un peu plus loin à chaque fois.
De la même manière, on ne peut pas dire que « Death Stranding » ne tente rien en termes de jeu. Cette volonté de poser au sein d’une aventure solo des systèmes d’entraides entre joueurs afin de rendre palpable cette philosophie du nécessaire « lien » pour survivre tous ensembles, c’est quelque chose d’assez culotté, d’original et de méritant.
Et c’est d’ailleurs pour toutes ces raisons là qu’au final j’accorde quand-même quelques étoiles à ce titre, tout simplement parce que je considère que mon passage par ce jeu n’a pas été totalement vain…
Malgré tout, il reste néanmoins un fait.
Ce « Death Stranding » j’y ai joué une petite vingtaine d’heures et pas plus. Et encore en me forçant pas mal.
Mais non, au bout du compte, je n’ai malgré tout pas fini ce jeu.
Je me suis arrêté en cours de route…
Ce n’est pas parce que je l’ai trouvé trop dur.
Ce n’est pas parce que j’ai eu l’impression d’en avoir fait le tour.
Non. C’est juste parce que, au fond du fond, l’indécrottable ludologue que je suis a fini par tomber sur cette évidence : « Death Stranding », en tant que jeu, intrinsèquement parlant, n’a rien à me proposer.
Parce que c’est bien gentil d’avoir de jolis scénarii, une superbe direction artistique et une habile philosophie d’entraide par le biais de la mise en ligne, il n’en reste pas moins une réalité indépassable : je n’ai pas envie de jouer à « Death Stranding ».
Ce jeu m’ennuie.
Parce que faire du FedEx ad vitam æternam, ça me gonfle. Ça m’enferme dans des trajets linéaires alors que moi on m’avait promis du monde ouvert.
Parce que prendre d’assaut des camps de mules ou autres Homo Demens avec la même lourdeur qu’un « MGS V », ça me gonfle. Là encore, c’est restreindre mon expérience de jeu dans un espace et une séquence que je trouve trop verrouillés.
Et puis aussi et surtout, si j’ai laissé au final ce jeu sur la touche, c’est parce que ce monde ne me parle pas. Je n’ai tout simplement pas envie de l’explorer.
Une Amérique qui fait la taille d’un parc d’attraction, je n’y crois pas.
Dire qu’on est infoutu de communiquer entre deux stations situées à deux kilomètres de distance l’une de l’autre, je n’y crois pas.
M’expliquer que mon monde est fait de gentils capitalistes étatistes qui ne pensent qu’amour et liens entre les humains pendant que de l’autre côté il y a de méchants anarchistes à tête de morts qui ne pensent que liberté et autonomie, ça non plus je n’y crois pas.
Ça m’exaspère.
Ça m’ennuie.
Alors oui, on pourra me reprocher en conséquence – comme pour « The Last of Us » – que mon abandon en cours de route me disqualifie forcément pour parler de ce « Death Stranding ». On me répondra que je ne connais pas sa fin ébouriffante, que je n’ai pas eu l’occasion de tester toutes les possibilités offertes par le gameplay.
C’est vrai…
Mais à cela je répondrais par quelques questions :
Est-ce que la fin change quoi que soit au fait que le scénario soit cousu de fils blancs, s’embourbant en permanence dans les clichés des gros blockbusters américains ?
Est-ce que le gameplay s’enrichit au point qu’on arrête de faire des livraisons FedEx d’un point A à un point B, nettoyant quelques camps d’ennemis au passage ?
Et surtout, est-ce que pousser le jeu jusqu’au bout permet au menu de devenir soudainement léger, lisible et intuitif ?
Personnellement, je ne pense pas.
Or, moi, un jeu qui a ces caractéristiques là, il ne m’intéresse tout simplement pas.
Alors d’accord – c’est vrai – « Death Stranding » est un jeu qui a ce mérite d’être une proposition. D’être singulier. Je ne lui retire pas ça.
Mais « Death Stranding » n’en reste pas moins un jeu d’Hideo Kojima – le même Hideo Kojima de « Metal Gear Solid ».
Un jeu fait par quelqu’un qui ne sait pas trier, choisir, équilibrer, mesurer et – désolé pour les fans – qui ne sait surtout pas comment raconter une histoire dans un jeu.
Pire, qui ne sait pas raconter d’histoire tout court.
Au-delà de ça, je conçois qu’Hideo Kojima est un individu captivant et touchant, de la même manière que ce « Death Stranding » peut toucher et captiver.
Seulement voilà, je pense malgré tout qu’en cette période où le jeu vidéo est en train de mûrir, le manque de maturité ça commence à se payer cash.
Et s’il est toujours beau de s’émouvoir des fougues adolescentes, on a aussi le droit d’espérer qu’un jour tout adolescent atteigne la sagesse et la noblesse de l’âge adulte.