Destiny, c’est le blockbuster promis à tous les succès. Bébé du développeur reconnu Bungie, il s’est annoncé dès le départ libéré, grâce à un deal juteux avec Activision, de toutes les entraves possibles : le poids créatif de la licence Halo, le temps, l’argent. Ses premiers pas en public à travers les phases alpha et bêta ont montré son potentiel, son gunplay au feedback satisfaisant, et son esthétique léchée jusque dans les menus. Le problème c’est qu’il n’y avait peut-être rien d’autre à trouver dans le titre final.
Destiny nous est présenté comme une oeuvre de science fiction conçue pour durer, une franchise pour la prochaine décennie. Son univers space opera est étoffé, avec un mystérieux orbe qui vient déclencher un relativement bref âge d’or de l’humanité et de la conquête spatiale, où les planètes telluriques sont terraformées et l’espérance de vie triplée, avant que n’apparaissent un ennemi diffus inconnu et un tas de races aliens belliqueuses. L’humanité est assiégée dans une unique cité, où une poignée de Guardians s’active dans l’espoir de sauver le monde. Notre héros, ressuscité à l’entame du jeu, fait partie de ces guerriers élus.
Malgré ce pitch honorable, la narration de Destiny est catastrophique. Il est de coutume de dire au cinéma "show, don’t tell" et dans les jeux "play, don’t show". Destiny ne fait que raconter sans montrer, montrer sans jamais faire jouer. Ghost, le robot nous accompagnant, nous abreuve de jargon ridicule et tente d’animer un semblant de scénario qui ne se concrétise jamais sous nos yeux. Les niveaux semi-ouverts qu’on traverse, pour magnifiques que les extérieurs soient, resteront à jamais inchangés malgré tous nos combats et missions. Nos ennemis nous resteront impénétrables, sans qu’on puisse en savoir plus sur leur culture, leur motivation, au delà de ce qui est suggéré par les beaux décors figés qu’on ne considère rapidement plus que pour leur valeur fonctionnelle, à force de les revisiter continuellement.
De façon incompréhensible, tout ce qui permettrait de creuser l’univers est repoussé dans un codex qu’on ne peut consulter dans le jeu. La tâche incombe alors aux personnages de porter le scénario, mais ils se comptent sur les doigts d’une main, honorés d’une à deux cinématiques chacun au maximum, parfois même sans que notre avatar dénué de personnalité n’intervienne. Les chefs de faction sont eux confinés dans le hub, et n’ont guère plus de présence qu’un marchand dans un RPG.
La composante sociale, ayant amené Bungie à empêcher les critiques de tester le jeu avant la sortie, est rachitique. L’histoire refuse de reconnaître nos coéquipiers en les omettant des cinématiques, les missions nous demandent de partir en reconnaissance vers des zones dans lesquelles des Guardians se promènent déjà, et le hub de la Tour n’est au final qu’un menu en 3D, semblable à un Playstation Home privé du moindre échange. Il n’y a guère que les événements aléatoires en patrouille qui viennent brièvement rappeler la pertinence des joueurs hors de son équipe.
Cela serait suffisant si le design des missions était plus élaboré et nécessitait plus de coopération. Mais le jeu se borne à nous faire suivre les indicateurs de notre robot et à affronter des vagues d’ennemis dénués d’intelligence. L’opposition ne compte que sur le nombre de grunts et la longueur de la barre de vie des boss et sous-boss.
Si les sensations de tir sont indéniablement satisfaisantes, la tactique se limite à viser la tête, le ventre ou le coin qui dépasse du bouclier de la chair à canon qu’on élimine pour s’occuper tranquillement du boss, et jouer à cache cache avec ce dernier pendant les cooldowns de ses pouvoirs. On peut attirer l’attention des boss les plus imposants, tous très peu mobiles, aider ses coéquipiers en le réanimant ou en lui fournissant une bulle de protection, mais les interactions entre joueurs restent maigres. La formule est efficace mais tourne à vide contre des types d’ennemis et des missions en quantités limitées.
La montée en compétences du protagoniste est censée nous accrocher sur le long terme, avec 3 classes de départ, aux différences notables mais qui peuvent utiliser sensiblement le même type d’équipement, et une nouvelle sous classe à débloquer. Ce leveling accompagne bien la découverte des missions jusqu’au niveau 20. Mais, sorti des types de grenades et de la paire de pouvoirs caractéristiques, la majeure partie des améliorations à haut niveau, de l’équipement ou du personnage, jouent sur des cooldowns plus ou moins rapides. Cela modifie légèrement la façon de jouer, mais on est plus dans l’affinement de son build que dans une richesse d’options tactiques, et rares sont les améliorations que l’on trépigne de débloquer.
Comme le contenu est chiche, on est obligé de farmer les missions en boucle, dans l’espoir de récolter de l’équipement qui nous permettra de faire les mêmes missions avec un poil plus d’ennemis aux barres de vie un peu plus longues. Cela ne manque pas de challenge, mais il faut l’apprécier comme une fin en soi.
L’expérience de chaque instant n’est d’ailleurs pas déplaisante. La découverte des environnements de la Terre, Vénus et Mars réserve même son lot de paysages enchanteurs. Et même sans une grande richesse tactique ou une IA impressionnante, les affrontements savent être jouissifs, en permettant d’abattre la puissance de feu de notre arsenal sur vague après vague d’ennemis. A la limite de notre barre de vie, on bataille avec ses coéquipiers pour tuer le maximum d’ennemis dans un grand chaos bien rythmé. C’est une mécanique parfaitement huilée, une expérience sans accroc, d’une fluidité que n’interrompent que les temps de chargement.
On se balade, on tue des vagues d’ennemis, on ramasse du loot, on retourne à la Tour et on recommence, c’est confortable comme une pantoufle.
Pour ceux qui veulent affronter des adversaires un peu plus vifs, le multijoueurs permet de s’adonner à des joutes à six contre six. L’expérience y est plus frénétique qu’autre chose, les échanges de tirs durant rarement plus de trois secondes avant qu’un des protagonistes ne s’effrondre, mais cela remplit bien le cahier des charges et permet aux meilleurs d’accumuler l’expérience en variant les plaisirs, sans avoir trop à se soucier des membres de son équipe.
Au final, Destiny est un gâchis impressionnant : un univers travaillé piétiné par un scénario inexistant et une absence confondante de personnages desservent le système de jeu bien rôdé. Ce dernier peine à justifier la vaine montée en compétences de son héros à haut niveau quand le contenu est épuisé si rapidement. Deux packs sont d’ores et déjà prévus pour étoffer le titre, mais l’orientation retenue par Bungie, privilégiant le grind à haut niveau au détriment d’une expérience narrative significative semble condamner les aficionados à répéter inlassablement un ensemble timidement grandissant de missions similaires. Pas le point de départ le plus réjouissant pour une nouvelle franchise, quoiqu’en disent les chiffres de vente mirobolants.