Un jeu comme on en voit trop peu...
Je suis toujours stupéfait par la réaction du microcosme des "gens qui causent du jeu vidéo".
Entre ceux payés pour applaudir et les aigris déçus de ne pas l'être; il est difficile de se fier aux avis censément constructifs de tous ces individus qui selon divers types d'agendas secrets continuent de pousser leur petit jeton sans grand intérêt sur l'échiquier toujours changeant de ceux qui pissent dans le vent.
Admettons immédiatement que ceux qui haïssent Dishonored ont sans-doute refusé de laisser le jeu leur parler. Non, ils ont décidé qu'ils étaient contre. Pan. Comme ça. Sans réelle raison de haïr si ce n'est cet habituel conformisme anti-conformiste qui anime tant de pseudo-critiques à la croix de bois.
C'est pourquoi j'ai décidé de vous causer sans prétention d'un jeu qui mérite d'être essayé.
Oh, il n'est pas parfait. Aucun jeu ne peut réellement prétendre l'être, d'ailleurs, il peut au mieux en donner l'illusion. Et l'on verra sans difficulté que Dishonored en est parfaitement incapable.
Mais il aura essayé de remplir toutes ses promesses promotionnelles; et on ne peut que l'admirer pour autant de courage face à une tâche qui ne peut être que gargantuesque.
Vous incarnez Corvo, Lord Protecteur de l'Impératrice d'une cité dont on aura oublié le nom d'ici la fin du titre. Dépourvu de charisme et pourtant doté d'une forme toute particulière de compétence vous verrez votre souveraine clamser dans d'atroces souffrances tandis que sa fille se fait kidnapper. Pendant tout ceci, vous êtes cloué au sol à grosso-modo soixante centimètres de l'action; autant le préciser.
Jeté aux fers, battu, interrogé; vous passez immédiatement du statut de gentilhomme à celui de paria.
Vous avez été Déshonoré. Deux Balzacs n'auraient pas pu faire beaucoup plus bateau niveau scénario. Mais comme prétexte à l'action; cela fonctionne d'une manière tout à fait agréable. L'on a donc une cité au bord de la peste, un héros silencieux doté d'un masque très cool, une conspiration dont vous ferez très bientôt partie et qui vise à mettre en place un twist scénarisé avec les pieds vers la fin du troisième acte. Jusqu'ici, rien que du très banal. Normal, c'est un synopsis de jeu vidéo que je vous conte ici et la force de ce média c'est bien... d'être pris en main.
Une fois fermement planté dans les bottes invisibles de votre héros inspiré par le character-design d'Altaïr vous aurez à remplir les tâches qui vous seront confiées par les divers conspirateurs peuplant votre univers. C'est d'ailleurs là tout ce que vous ferez durant la durée de ce titre : obéir aux ordres. Ou presque, car la manière dont vous remplissez vos objectifs ne tient qu'à vous. (Sous-entendu vous en tant que joueur humain, pas "vous en tant que personnage de jeu vidéo"; attention subtil distinguo).
Vos choix ont des conséquences et être sanguinaire ne sert qu'à éliminer certaines des possibilités qu'un politicien avisé saurait soustraire du substrat urbain dans lequel vous êtes piloté. Cette liberté factice est un pur délice : quand on vient de passer une heure à subtiliser des enregistrements compromettants au gars qu'on est censé buter avant de les passer dans tous les hauts-parleurs de la ville... On se sent bien. Même pas besoin de se salir les mains quand l'on est doté d'assez de finesse. Il suffit de laisser les plus corrompus de vos ennemis s'auto-détruire. Si ça c'est pas une leçon pour la vie de tous les jours. Ou presque.
En termes de gameplay, c'est bel et bien la foire aux emprunts.
Comme dans Thief, l'on vous demandera d'infiltrer divers endroits aux sublimes styles architecturaux. Comme dans tous les jeux inspirés par Thief, vous aurez droit à un arsenal divers et varié afin de mener à bien vos périlleuses missions d'intérêt général. Mais à l'inverse de ceux-ci vous pouvez aussi compter sur une ribambelle de pouvoirs mystiques terrifiants vous permettant de ralentir le temps, de posséder un rat dans le sens métaphysique du terme, ou même de vous téléporter sur de courtes distances.
En gros, vous avez des plasmides dans un monde inspiré de l'époque élisabéthaine et c'est super.
La grande force de l'oeuvre produite par les gens d'Arkane Studios repose dans une douce alchimie entre les moyens mis à votre disposition, le level-design posé et réfléchi et la panique viscérale que le foirage de votre plan entraînera dans le fief de votre petit esprit de joueur moyen. Se faire pincer par les gardes après dix minutes de furtive perfection; ça fait peur. Être assailli de toutes parts par des gardes sanguinaires alors que l'on est à sec de tours de passe-passe; c'est la panique. J'ai tendance à mesurer la puissance d'une oeuvre - et cela quelle qu'elle soit - à la puissance de la réaction que celle-ci est capable de provoquer chez moi; vu sous cet angle Dishonored est un pur chef d'oeuvre pour qui a la patience de s'y plonger avec l'intelligence qu'il requiert.