Après des années de développement tumultueux, de remaniement du projet et du studio, dont l'équipe doit plus avoir grand chose en commun avec celle de 2014, nul doute que Dragon Age est né dans la souffrance, qui, dans ses premières heures, semble plus qu'heureux de la partager. Entre un world bulding bancal, des dialogues à la con et game design hyper bateau, les premières impressions laissent craindre le pire. Mais si certaines tares viennent toujours nous rappeler son statut d’œuvre cabossée, The Veilguard a tout de même beaucoup plus à offrir. Vu le parcours, c'est déjà un miracle.
Commençons par ce qui a fait le plus jaser, l'écriture. Oui, les dialogues sont parfois bancals, en particulier au début du jeu. Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain, le jeu est inégal à ce niveau mais loin d'être toujours mauvais: les dialogues liés au gros moments de scénario peuvent être très réussis. Solas est par exemple particulièrement soigné. Les équipiers finissent par devenir attachants (certains sont très réussis), et les révélations de lore sont aussi sympa et bien intégrées. Mais surtout, les grandeurs du scénario et les thématiques sont bien choisies, et le jeu tente de traiter de pas mal de sujets politiques en vous incluant dans la discussion, notamment lors des quêtes de compagnons. Malgré des faiblesses idéologiques certaines, Bioware n'a jamais eu trop peur de s'engager sur ce terrain, en vous demandant bien sûr votre avis (en créant, par exemple des systèmes d’oppression, ce genre de choses). Un héritage des CRPG des années 90. Si Veilguard a un côté vraiment aseptisé par rapport aux autres Bioware (par exemple, un groupe d'assassins deviennent une gentille bande de freedom fighters, ou alors aucune mention de l'esclavage dans un empire qui le caractérisait jusqu'alors. Les décisions à prendre ont aussi moins de considérations éthiques), il aborde des choses intéressantes, comme les liens entre culture et identité, le rapport d'une nation à son passé et son avenir ou encore la responsabilité des individus vis à vis des actions de leur peuple. Je dis pas que c'est toujours brillamment exécuté, mais c'est quoi le dernier triple A récent qui tente de s'engager un peu dans ce genre de thèmes, y compris ceux qu'ont érige en modèle d'écriture, sans tomber dans un débat périmé depuis 40 ans ? Ça aborde quoi, vraiment, Baldur's Gate 3 ? God of War ? Cyberpunk ? Les despotes sont des connards manipulateurs ? Le capitalisme ça craint ? Cool. Qu'on ne me méprenne pas, c'est des bonnes histoires, mais ces titres sont absolument dépravés de toute prise de position ou mise en avant d'un sujet un tant soit peu politique, préférant les histoires personnelles évitant toute forme de posture idéologique. Alors oui, The Veilguard c'est des fois écrit avec les pieds, mais au moins ça a le mérite de parfois parler de quelque chose. Un peu le Star Wars 3 du jeu vidéo, en somme. C'est peut être la partie de l'héritage du Bioware original la plus importante, quand on y pense.
Par ailleurs, les dialogues chutent surtout en qualité lors des discussions avec les PNJ dans les hub, qui parfois passent très bien (notamment avec certains équipiers), d'autres fois vachement moins. C'est selon moi causé par le développement du titre: alors que les moments centraux ont l'air d'avoir été conçus et peaufinés depuis un moment, tout le reste semble plus approximatif, ou en tout cas a été moins travaillé, pour une raison que j'évoquerais plus bas. La plus grosse erreur du scénario (franchement un peu impardonnable, mais pas de spoil) en est assez symptomatique: la mise en place et la conclusion de l'intrigue sont correctes, mais tout ce qui y relève durant le gros du jeu est très maladroit, comme si les scénaristes se dépatouillaient comme ils pouvaient avec les moyens du bord. A son meilleur, que ce soit en terme d'écriture ou de mise en scène, The Veilguard n'a pas à rougir des autres productions Bioware. Mais on a souvent droit aux meilleures intentions du monde exprimées avec une subtilité pachydermique. Star Wars 3, je vous dis.
Mais je considère tout cela comme étant assez pardonnable, et mon plus gros grief narratif vient du world building, ou plutôt ici de son absence. Encore une fois ici, ça dépend pas mal de la partie du jeu dans laquelle vous vous trouvez, mais le monde du jeu manque énormément de contextualisation politique et d'interactions. Bioware avait comme grand talent de créer un monde tangible. Déjà en ancrant son histoire dans une réalité politique crédible, avec des factions qui interagissent entre elles et qui représentent différents intérêts, et des personnages dont les motivations y sont liés. Il y a un petit peu de ça ici passé quelques heures, mais ça reste timide. On trouvait aussi beaucoup d'interactions, liées ou non à des quêtes, qui venait enrichir l'ensemble. En arrivant sur Omega dans Mass Effect 2, vous regardez un mec se faire tirer dessus, intimidez des voyous et rencontrez une chef de gang mégalo dans les 3 premières minutes. L''ambiance est vite posée et rend le tout vivant, même si on est pas dans une map pas du tout dynamique. On est proche ici du néant. On arrive sans transition et comme par magie dans les lieux de missions, les leaders de faction se tiennent au même endroit sans mise en scène (le jeu en manque beaucoup), aucune interaction sur les maps, pas de dialogue avant les combats comme on pouvait en avoir souvent, bref, ça fait un peu monde en toc. Et comme pour ces dialogues qui sentent la va-vite, ce problème trouve sans doute sa cause dans le développement troublé du titre: à un moment donné du développement, The Veilguard aurait dû être un jeu service en coop. Alors dans cette optique, faire des intro pertinentes à l'histoire et des interactions narratives n'aurait pas de sens. Si ça ne se remarque pas trop dans les maps, et que le titre n'est plus du tout le destiny-like qu'il aurait pu être, la structure et ces lacunes sonnent comme de douloureux rappels, qui montrent aussi peut être que malgré un niveau de finition technique excellent, des décisions hâtives ont du être prises (après je suis sûr de rien hein, j'étais pas à la réu).
Le bon côté de ce passé révolu, c'est que niveau gameplay, c'est chiadé. Je préfère les combats d'inquisition, plus différenciés et tactiques, mais je peux pas prétendre aimer Dragon Age 2 et me plaindre des combats de Veilguard. Sans trop développer, c'est dynamique, nerveux et un peu plus riche que ça en a l'air. Les ennemis se répètent certes un peu, mais le progrès de votre personnage compense. Une bonne partie des quêtes secondaires se résument à de la castagne, mais ce n'était pas un problème, et le jeu dispose de quelques bastons bien tendues. L'exploration fait aussi le boulot. Sans être au niveau d'Inquisition, qui centrait toute sa proposition autour de cette dernière, les hub sont suffisamment ouvert, la beauté des décors, la verticalité du level design et les petites énigmes sont des motivations plutôt correctes pour justifier les balades. D'ailleurs, y a une mécanique d'exploration liée aux compagnons qui ne sert absolument à rien, sans doute un autre reliquat d'une version antérieur du jeu. Inutile, mais inoffensif. Je sais que pas mal de mode a fait le rapprochement avec les derniers god of war, mais vu que j'aime pas ragnarok, je préciserais que The Veilguard comprend l'importance d'avoir un level design, de laisser un peu de liberté dans l'exploration, et que les petites énigmes c'est rigolo quand c'est secondaire, pas toutes les 30 secondes et qu'exécuter la solution ne prend pas plus de temps que la résolution.
J'ai déjà mentionné la plus grosse perte de gameplay par rapports aux précédents titres, c'est à dire l'interactivité dans le monde du jeu, que Bioware avait intégré dans son game design. Cette approche avait culminé avait Inquisition dans sa mission au palais impérial, où vos petites actions et choix de dialogues devenaient essentiels pour réussir la mission. Rien de cela ici, malheureusement.
Tout cela nous laisse où ? Dans le gros du contenu, Veilguard est un jeu d'action et d'exploration agréable, magnifique et sans trop de surprise. Mais, comme évoqué plus haut, quand les astres s'alignent pour les quelques grosses missions du titre qui mêlent les meilleurs combats, des prises de décisions, une mise en scène soignée et des visuels qui déboitent (y a quelques superbes idées), on se dit que le Bioware d'antan n'est finalement pas parti si loin.
Pour finir cette critique bien trop longue (si vous avez lu jusqu'ici, votre courage vous honore), abordons brièvement la DA qui a aussi fait couler beaucoup d'encre. J'ai moi aussi encore mal pour les Qunari, et aussi un peu pour les esprits (des gus bleus, vraiment ?). Mais bon, si c'était le prix à payer pour avoir le chara design de la déesse elfique, absolument incroyable, je suis presque prêt à pardonner. Sinon les décors flinguent tout à part pour une ou deux zone, ça rend l'exploration agréable. Les musiques font bien le taff. Voila.
Dragon Age: The Veilguard porte indéniablement les stigmates de son développement. J'aurais moi aussi voulu voir sortir la première version du jeu, qui promettait d'incarner des espions dans une guerre entre le Qun et Tevinter (je crois, j'ai vu cette rumeur il y a des années), développé avec tout le talent du Bioware de l'époque. Mais non. Avec ses relents d'un autre jeu et un démarrage désastreux, le jeu nous arrive tout cabossé. Je trouve toutefois qu'en plus d'être très agréable à jouer, le jeu a non seulement assez à offrir pour susciter une réelle sympathie, mais aussi pour donner un peu d'espoir sur l'avenir de ce nouveau Bioware. Si le prochain Mass Effect se prépare sans être assommé par un cahier des charges et des changements de direction effroyables, il pourrait être la consécration suivant cette difficile résurrection.
Par ailleurs, j'ai parfois entendu dire que The Veilguard était un jeu insipide, un produit sans audace destiné au public le plus large possible. Qu'on aime le jeu ou non, je pense que c'est impertinent. Parce que le jeu n'est pas une ensemble homogène plus ou moins bon ou médiocre selon votre goût. C'est un titre qui réussit autant qu'il échoue, et ce de mille manières. Les grandes répliques côtoie les dialogues qui sentent le premier jet, la solidité du gameplay contraste avec l'impertinence de la structure du jeu, la beauté du monde nous invite au voyage alors que sa rigidité nous empêche de complètement s'y immerger... Un titre aussi inégal ne peut être que passionnant, ne serait-ce que pour comprendre le chemin parcouru.