Dix ans après la sortie du premier épisode sur PS2 et la tentative d’un NieR plus tard, on ne pensait pas que l’équipe derrière ces deux jeux récidiveraient, tant les Drakengard tiennent plus du succès d’estime auprès des joueurs que du rouleau compresseur commercial que recherchent les éditeurs. Il faut avouer que la licence se fait fort d’oser proposer des personnages assez extrêmes (pédophile, cannibale, pervers…) pour alimenter un scénario décalé, le tout baignant dans une bouillasse technique potentiellement repoussante pour le joueur qui ne jure que par des graphismes en moulure dorée. Square-Enix ayant joué les pucelles effarouchées, le budget alloué à Drakengard 3 semble tellement maigre qu’il aurait probablement à peine suffi à payer une cinématique du dernier FFXIII, et ça se voit. L’Europe hérite d’ailleurs d’une version dématérialisée qui vous demandera 30 Go sur votre disque dur pour pouvoir installer 15 Go dont on se demande bien à quoi ils servent. Ça commence mal, mais ne vendons pas la peau du dragon avant de l’avoir éventré et vidé de ses entrailles.
« ARRÊTE TES DÉLIRES ET CRÈVE » (© Zero)
Si chronologiquement ce troisième opus se déroule une centaine d’années avant le premier Drakengard, il ne s’embarrasse pas de connections évidentes avec les deux précédents épisodes (ou même avec NieR), qui à l’inverse étaient intimement liés. Quand vous en aurez terminé avec le jeu, si jamais vous trouvez le courage d’aller jusqu’au bout, il vous faudra fouiller dans votre mémoire ou faire travailler votre machine à spéculations pour en déduire de possibles liens. Première certitude et constante de la série : on contrôle un personnage à tendance violente, ainsi que son dragon. Car il faut un dragon tellement c’est cool un dragon et toujours à la mode. Seconde certitude : Drakengard 3 a le discours aussi fleuri que peut l’être celui d’un GTA, exception faite des milliers de « fuck » bien trop américains. La seule censure du jeu vient des développeurs qui se sont ponctuellement amusés à cacher aux yeux des joueurs des passages qui ne le justifiaient pas toujours. Par contre, voir votre dragon se soulager d’un gros pissou plein écran qui dure vingt secondes… ça non, on laisse tellement c’est sympa à regarder en plus d’être visuellement impressionnant. Pour sûr.
Licence hors normes oblige, l’histoire pique le nez et sort une nouvelle fois des sentiers battus. Tout commence par un beau matin de guerre où le sang coule à flots et les humains s’étripent joyeusement. Cinq déesses commençant à en avoir un peu ras les talons de toute cette haine se décident à venir chanter tout leur amour sur le champ de bataille, ce qui a pour effet immédiat de calmer tout le monde et de voir naître une époque de paix, de joie et de câlins dans tous les coins de la planète. C’est beau. Ces cinq cantatrices qui se font appeler des Invoqueuses et dont le numéro sur leur front correspond aussi à leur nom, se répartissent alors le gâteau et règnent sur les peuples apaisés, qui en retour les vénèrent à tout bout de champ. Sauf que… Zero, la sixième Invoqueuse qui n’avait jusque-là pas bronché ni montré le bout de ses vocalises, ne l’entend pas de cette oreille. Zero vient remettre ses cinq sœurs en place avec l’aide de son dragon Michael. Mais plutôt qu’un bon repas de famille, elle choisit de toutes les massacrer, histoire de montrer qu’elle est nettement en désaccord avec elles. Mais pourquoi tant de haine ?
« ZERO, C’ETAIT MAGNIF… [VLAM] » (© Lady Three)
Zero a donc un plan qui est le parfait reflet de sa personnalité impulsive et irréfléchie. Un plan simple : foncer là où se trouvent ses sœurs et leur défoncer le crâne à coup d’épée. Simple, efficace, rapide. L’optimisme ne faisant pas tout, cela ne va pas se dérouler exactement comme prévu, Zero et son dragon Michael essuyant un sérieux revers du genre qui ne rigole pas. On la retrouve un an plus tard, une fois remise de ses émotions et accompagnée d’un nouveau comparse ailé qui répond cette fois au nom amusant de Mikhaïl. Michael, Mikhaïl … Mikahell ? Bref. En prime, Zero sera affublée d’une magnifique fleur plantée dans l’œil droit pour une raison obscure qui sera beaucoup plus lumineuse sur la fin de l’aventure. Son premier réflexe sera donc de s’employer à appliquer son nouveau plan qui, ô surprise, est la copie conforme du premier plan qui avait pourtant montré ses limites. Avantage : ses cinq sœurs autrefois réunies pour l’affronter sont cette fois éparpillées de par le monde. Inconvénient : Mikhaïl n’est qu’un bébé dragon plutôt crétin, totalement immature, et d’une puissance assez ridicule pour un dragon. Mo-ti-va-tion.
Sous ses faux airs de RPG, Drakengard 3 est surtout un gros beat’em all en couloir/salle/couloir/salle/etc. dans lequel on massacre des ennemis et des boss à la chaîne avec, à terme, quatre types d’armes que l’on peut changer à la volée pour perpétuer des combos toujours plus sanglants. Les épées ratissent large, les lances transpercent les boucliers ennemis, les griffes sont idéales pour le corps à corps, et les chakrams lacèrent les têtes à distance. Pour chaque classe d’arme on pourra trouver diverses variantes qui modifient nos combos et possibilités d’attaque. Chaque arme peut ensuite être améliorée contre des sommes toujours plus importantes, et en utilisant un matériau indispensable (bronze, argent,…). Si cela ne suffisait pas à l’extinction accélérée de la race humaine, Zero peut utiliser son hémato-curseur (une jauge de furie, mais ça fait plus classe de dire hemato-curseur) et devenir une véritable bête enragée à la fois invulnérable et destructrice. On aurait aimé dire de ses disciples qu’ils ajoutent également une pierre à la tombe de leurs ennemis, mais on dépite devant leur inutilité incroyable. Au mieux ils feront mouche çà et là, au pire ils courront contre un mur comme pour faire la course à celui qui sera le plus débile.
« IL FAIT FROID ET TU SCHLINGUES » (© Zero)
Les phases en dragon sont hélas à l’image de nos alliés : pleines de bonnes intentions mais complètement foireuses. C’est d’autant plus étonnant que la série partait sur de bonnes bases et que dans les deux premiers Drakengard ces phases étaient nettement plus agréables. Dans le cas présent, on se retrouve soit à devoir tourner en rond dans une zone assez petite pour un dragon digne de ce nom, soit à écumer les cieux en lockant des vagues d’ennemis dans un couloir étroit. Pas complètement désagréable selon les séquences, on aurait réellement aimé une utilisation plus judicieuse de notre dragon plutôt que de trop souvent le subir dans des configurations de salles qui gênent non seulement ses déplacements mais aussi la lisibilité d’un combat. Il faudra faire avec car Mikhaïl reste un atout indispensable contre les boss du jeu qui font preuve d’une certaine originalité, ne serait-ce que dans leurs introductions chantées. Les combats eux-mêmes sont nettement moins réjouissants et tous basés sur le même schéma grosso modo, Mikhaïl ne disposant pas non plus d’un éventail d’actions très important (voler, esquiver, cracher du feu, attaque en piquée et… voilà).
On progresse ainsi de chapitre en chapitre, porté par le scénario qui nous inflige des niveaux à la construction complètement insipide, faite de successions de couloirs et de salles à nettoyer, le tout entouré de ces bons vieux murs invisibles dont on pensait qu’ils étaient de ces espèces aujourd’hui disparues. Les habitués de la série retrouveront au bout du chemin les inévitables fins multiples dont les premières s’enchaînent naturellement dans la continuité du jeu, mais dont la dernière vous demandera un effort supplémentaire puisqu’il vous faudra réunir toutes les armes de Zero. Si cela semble moins compliqué que pour les deux précédents épisodes, cela demande néanmoins de ne rater aucun coffre caché, de compléter tous les défis proposés par Accord (marchand mystérieux s’il en est), et d’utiliser tous vos alliés pendant les missions principales. Et vous devrez aussi tourner en boucle sur certains défis car il faut nager dans le pognon pour espérer tout acheter au magasin d’Accord. Vraiment très passionnant et « so 2014 » comme on dit.
« ON PEUT FAIRE SI DÉLICIEUSEMENT MAL AVEC DES CISEAUX … MMMMMH » (© Decadus)
C’est lorsque l’on touche enfin au but, après avoir été porté par les mélodies de Keiichi Okabe qui a œuvré pour NieR et qui récidive ici de manière fort plaisante, que de nombreux joueurs jettent l’éponge et que les accros aux platines se dévissent les doigts. Car non seulement il vous faut avoir toutes les armes pour connaître le fin mot de l’histoire de Zero, mais il vous faut également monter toutes les armes à leur niveau maximum pour obtenir le trophée qui en découle. Plus que de la persévérance à vouloir gaspiller des heures et des heures, c’est du pur masochisme quand on sait que ça ne sert à rien, les armes que l’on acquiert naturellement étant d’une puissance suffisante pour venir à bout du jeu. Pour ne pas vous sentir seul dans cette épreuve, n’hésitez pas à appeler Decadus, le masochiste du groupe qui s’en fouette déjà l’échine de plaisir avec une chaîne de clous rouillés. Si cette étrange obsession pour la collection d’armes était la seule faute de goût de Drakengard 3, on pourrait passer outre et se dire qu’on n’a rien vu, mais on est assez loin du compte.
Non content d’être relativement moche malgré un travail intéressant sur les personnages et certains boss, le jeu rame. Et parfois, il rame tellement fort qu’on se demande s’il a planté ou s’il n’est pas à deux doigts de rendre l’âme. Decadus : « oh oui encore. » Encore ? Pendant les combats les ennemis spawnent parfois à deux mètres sous notre nez et on les entend discuter entre eux même quand on ne voit personne alentour. Decadus « raaah c’est bon ça, encooooore. » Encore ? La caméra est l’une des pires du genre, partant parfois complètement en vrille, rendant l’action illisible le temps de se calm… Decadus : « AH OUIIII ENCOOOOORE. » Euh… Le boss de la dernière des fins est le fruit d’un esprit malade qui vous impose une torture de presque 7 minutes via une phase de jeu qui n’a absolument aucun rapport avec un beat’em all, certains joueurs ayant gaspillé plus de 10h de leur vie rien que pour le battre … Decadus : « OUIIII OUIIII OUIIII… FAIS MOI MAL VAS-Y… VAS-[VLAM]. » NON MAIS OH CA VA HEIN. Revenons à nos fleurs (dans l’œil). Vous aurez compris que Drakengard 3 est très loin d’être un modèle du genre et on ne peut que déplorer ce gâchis.
« DANS SEXTUOR IL Y A TUOR » (histoires de DLC).
Si d’aventure le contenu de Drakengard 3 ne vous a pas rassasié et que vous en voulez toujours plus, vous pouvez obtenir, moyennant 30 euros, le pack des 6 scénarios secondaires de chaque Invoqueuse. A la clé de ces contenus vous attendent une nouvelle tenue pour Zero et les armes de ses cinq sœurs. Le plus intéressant restant d’en apprendre plus sur cette fratrie atypique et dépravée, et de découvrir ce qui a conduit nos Invoqueuses à être là où elles sont. Ainsi, on suivra Five et son timbré de disciple Dito dans sa quête hédoniste de l’orgasme culinaire et dans sa recherche d’une contrée où poser ses deux grosses valises. On apprendra que toute sage vierge qu’elle soit, Four n’est pas aussi sainte qu’elle semble vouloir le faire croire, pour la plus grande frustration et aussi le plus grand plaisir de son disciple Decadus. On comprendra que Three n’est pas seulement intéressée par le membre légendaire de son disciple pervers Octa, et que ses expériences expliquent bien des choses en ce monde de violence. Two et son bellâtre de disciple Cent nous rejoueront leur version de Roméo et Juliette dans une histoire d’amour qui, comme nous le savons déjà, finira mal. L’énigmatique One, seule Invoqueuse qui soit relativement saine d’esprit et à ne pas avoir de disciple, éclairera notre lanterne quant à son parcours singulier. Enfin, on suivra Zero dans sa rencontre avec son dragon Michaël qui la mettra logiquement à l’épreuve avant de bien vouloir la rejoindre.
Au-delà de l’intérêt scénaristique que procure le DLC, ces histoires sont l’occasion de remettre le couvert du massacre à la chaîne en revisitant les lieux que l’on connaît déjà bien. On en profite pour sympathiser avec Gabriella, la dragonne de One qui vient régulièrement prêter main forte aux sœurs de Zero en remplaçant Mikhaïl. Pour ne pas avoir l’air trop radin, ces DLC proposent des anecdotes amusantes à lire et surtout de nouveaux boss assez inattendus. Mais le cœur du contenu reste la mise en lumière des traits de personnalité de nos Invoqueuses qu’on ne soupçonnait pas forcément. Three en est le parfait exemple avec ses envolées lyriques sous acide qui déferlent tel un torrent quand elle nous décrit ses expériences scientifiques en plein combat. Frais, amusant et surprenant. Côté gameplay, il ne faut pas chercher de révolution outre mesure. Les cinq sœurs utilisent des armes que Zero connait déjà. L’épée géante de Five est l’équivalent d’une lance, les griffes de Four sont des … griffes, Three et Two utilisent des épées – même si pour la première, elle ressemble à des ciseaux -, et l’arme de One est un Chakram au design unique. Dommage que ces armes soient moins puissantes que celles que l’on possède potentiellement déjà en stock. In fine, on peut se demander si tout ce contenu qui recycle plus que de raison n’aurait pas dû se trouver d’office dans le jeu initial, et si les quelques heures qui se rajouteront à votre compteur justifient un tel prix. A vous d’en juger.
CONCLUSION
S'il connaît quelques bons moments, Drakengard 3 ne peut être sauvé du Game Over par ses personnages singuliers et son scénario certes intéressant, mais pour lequel il faudra subir des heures de farming pour espérer en voir la fin des fins. Acculé par une technique complètement à la ramasse, brutalisé par des niveaux aussi linéaires qu'inintéressants à traverser, et secoué par des défis time attack et arène aussi frais qu'une vieille chaussette oubliée sous un meuble, Drakengard 3 aura du mal à convaincre les adeptes de beat'em all. Les fans de la licence (et de NieR) lui pardonneront sans doute cette continuité dans la médiocrité, mais l'originalité ne justifie pas tout. On est également en droit de se demander pourquoi l'Europe doit se contenter uniquement d'une version dématérialisée vendue au prix fort. Decadus ? C'est toi avoue hein ? Viens ici que je te torture avec des pinces coupantes. Allez viens voir maman Zero. Petit petit petit...