Drôle de gusse, cet Elex II. C’est déjà un jeu qui s’adresse aux fans de Piranha Bytes, et uniquement à eux – si vous ne connaissez pas le RPG allemand, je vous invite à vous référer à l’une de mesnombreusescritiques de leurs séries, dont Elex est la troisième après Gothic et Risen. Et pourtant, c’est aussi un jeu qui semble essayer de s’ouvrir à un nouveau public, en transformant complètement certaines choses pourtant acquises. Difficile d’en faire le procès aux développeurs, qui, comme souvent, se débrouillent pour revisiter leur propre recette maison avec un certain effort sans toucher aux ingrédients de base. On a toujours là un jeu de rôles exigeant, basé sur les mêmes mécaniques proches de la vie réelle : simulation sociale à travers les rapports entre les personnages, politique à travers les relations entre factions, voire diplomatique dans la manière de choisir ses quêtes et les camps à qui porter allégeance au fil d’une longue quête principale très interconnectée avec les enjeux des quêtes secondaires. Basé, aussi, sur un système de gain de points d’expérience reposant sur un double système d’attributs et de compétences, les premiers s’acquérant directement dans la feuille de personnage au fil des montées de niveau, avant d’être mis à profit auprès de PNJ instructeurs qui permettent de déverrouiller les secondes en échange d’argent.
On est en terrain connu, on n’a aucun intérêt à jouer à ce second épisode si on n’a pas fait son prédécesseur, et pourtant… encore une fois, les artisans allemands ont touillé leur mixture traditionnelle avec de nouveaux dosages, demandant de réapprendre une bonne partie du système, et même de l’univers. La direction artistique ? Entièrement revue, les personnages sont les mêmes que dans le premier épisode mais remodélisés de zéro et interprétés par de nouveaux acteurs. L’affectation des touches ? Bouleversée en grande partie, avec des boutons d’action remappés, du menu radial à tire-larigot et des manipulations en (et hors) combat qui n’ont parfois rien à voir avec l’ergonomie du premier jeu. Et même d’un simple point de vue technique, le moteur semble avoir été charcuté au point de rendre le jeu visuellement méconnaissable. Le souci, c’est que tous ces changements, comme cela arrive quelquefois dans les suites des jeux Piranha Bytes, n’ont pas forcément l’air guidés par le bon sens, simplement par une envie de faire différent pour faire différent. Si vous avez joué à Elex I (et vous y aurez joué, sous peine d’être immédiatement largué dans une histoire qui reprend l’intégralité du lore, des personnages et du scénario de son prédécesseur, sans trop prendre de gants pour intégrer le nouveau venu), il y a des chances que vous vous retrouviez souvent déboussolé par les choix de game design et de direction artistique, qui le plus tranquillement du monde balancent à la poubelle une large partie des fondations amoureusement construites par Elex pour imposer ce qui ressemble, malgré le cœur de jeu toujours similaire, à une avalanche de micro-changements qui, mis bout-à-bout, ont eu tendance à m’ensevelir sous une terril de perplexité.
Elex II est-il un bon jeu de rôles ? Oui. Dans l’absolu, les mécaniques inhérentes au RPG allemand sont si intelligentes et stimulantes qu’elles ne pourront jamais donner un mauvais résultat. C’est comme un bon plat de pâtes, comme un croque-monsieur fait maison, bref, comme n’importe quelle recette simple mais toujours délicieuse dont les seuls ingrédients garantissent, quel que soit le dosage et la cuisson, de passer un agréable moment gustatif. Pas la peine de chercher, pas la peine d’écouter ceux qui continuent depuis vingt ans de prétendre le contraire, le RPG allemand est génétiquement supérieur à tout ce que le genre a pu voir naître en deux décennies d’évolution. C’est comme ça. J’en suis arrivé à un degré de fanboyitude où, en 2022, il m’apparaît inutile et presque ennuyeux de repasser des heures à expliquer pourquoi tous les jeux de rôle devraient avoir le game design des jeux Piranha Bytes. Retenez simplement que le jour où Bethesda copiera les mécaniques de Gothic pour ses Elder Scrolls, il sortira le meilleur jeu son existence. Que si Obsidian avait récupéré les règles de Risen pour Pillars of Eternity, celui-ci aurait été élu GOTC (un cran mieux que GOTY). Que même si Larian troquait l’irréprochable système des Divinity pour le piteux gameplay de baston d’Elex, le gain de qualité apporté par le quest design allemand aurait quand même fait s’évanouir de bonheur les euro-rôlistes les plus barbus. C’est ainsi, il y a des vérités qui doivent être entendues aujourd’hui, le RPG teuton est l’un des mets les plus fins qu’ait connu la grande cantine du jeu vidéo depuis l’avènement de la 3D, et au moins tant que Piranha Bytes vivra sur cette terre, je sais que j’aurai toujours un refuge où m’abriter quand les gros éditeurs de RPG sortiront des Starfield 6 générés procéduralement.
Mais le problème d’Elex II, c’est quand même qu’ils n’ont pas l’air bien en point, nos amis de chez Piranha Bytes. On sent l’envie de bien faire, ce n’est pas le problème. Mais cette envie de bien faire, on la sentait aussi dans Risen 2, que je considère être le seul jeu vaguement raté de la carrière du développeur : on s’ennuie, alors on change des petits trucs, on refait le moteur, on bouleverse des choses qui n’avaient pas lieu d’être. Dans Elex II, Jax a un fils. Pardon ? En plus, on doit prendre soin de lui. L’univers du jeu est d’ailleurs désormais peuplé d’autres enfants, dont l’inquiétante difformité physique m’a immédiatement fait crier à la fausse bonne idée. La cinématique d’introduction montrant notre héros sans cœur en train de bichonner son engeance au rire de crécelle et au regard vitreux a été un grand moment de gêne. Ça ne s’est pas arrangé quand j’ai compris qu’une partie du scénario serait même concentré sur cette espèce de petit lutin démoniaque issu d’un CD de démo PS2. Déjà qu’il était compliqué d’accepter le nouveau look du héros lui-même, passé de machine à tuer sur Elex I à une espèce de clochard affable à la voix douce dans la suite. Je peux comprendre la démarche, un peu moins l’exécution. Même chose concernant le terrain, qui, avec une histoire placée plusieurs années après la fin du premier jeu, propose une relecture des villes et plaines qu’on a précédemment arpenté, en mode « végétal ». Le désert de Tavar ? Désormais un havre de paix vert et gazouillant. Le bastion des Clercs ? Même chose en plus médiéval. Goliet ? Ah, mince : parti. Les développeurs ont fait le choix de reprendre la map du jeu original, mais pas complètement donc, en supprimant une partie de l’ouest (celle qui était sans doute la mieux conçue et la plus originale, pas de bol) … pour la remplacer, à l’est, par une espèce de wasteland tristoune en mode Fallout 4 discount.
Oui, discount : parce que le jeu n’est, globalement, vraiment pas joli. Elex I n’était pas un foudre de guerre, mais il avait du charme, avec ses environnements variés et ses fleurs multicolores. Elex II, lui, souffre d’un moteur complètement revu qui propose bien souvent des reliefs plutôt moches, avec des performances invraisemblablement basses de surcroît (prévoyez une très grosse machine pour le faire tourner convenablement, une aberration compte tenu de ce qui est affiché), et surtout, une qualité de world building particulièrement irrégulière, avec de très jolies zones en sous-bois qui bordent d’immenses hectares de vide à la conception très artificielle. J’ai eu mal à mon petit cœur de fan quand j’ai tenté d’atteindre l’une des zones emblématiques d’Elex I, une espèce de grande structure métallique verticale reliant le désert de Tavar aux hauteurs de Goliet : ce même lieu, non seulement intégralement vidé de ses points d’intérêt, n’a plus à proposer qu’un panorama tiédasse de Stalker-like qui est malheureusement loin d’avoir la prestance de ce qui semble être son modèle.
Pourtant, Elex II fait des efforts. Sur le papier, il y a énormément de choses attirantes, dont certaines fonctionnent même carrément bien. Au niveau du game design, trois bouleversements majeurs font leur apparition et se révèlent assez bien étudiés. En premier lieu, le nombre de factions (élément voûte du système) qu’il est possible de rejoindre est passé de 3 à 5. Il est désormais proposé de s’enrôler chez les Albes, « méchants » du premier opus ; mais également chez les Morkons, un tout nouveau groupe majeur installé dans une grande caverne qui dispose de son propre lore étendu et se voit intégré au quatuor de façon plutôt pertinente. En échange d’une progression interne malheureusement plus rapide, on profite tout de même d’un meilleur potentiel de rejouabilité et, peut-être plus important, d’un appel au choix plus stimulant. Un appel au choix qui est d’ailleurs enrichi par la possibilité de faire cavalier seul en concentrant ses efforts sur la « faction personnelle » du joueur, concept esquissé dans Elex premier du nom et qui se concrétise ici de façon plus aboutie. Enfin, dernier changement important du système : le jetpack, composante intégrante du gameplay qui permet de profiter assez librement de la verticalité exacerbée de l'univers, se voit doté de son propre « arbre de compétences » à travers un système d’amélioration définitif qui permet progressivement d’en faire un véritable outil de voyage et de combat. D’autres nouveautés plus mineures mais tout de même considérables à l’usage, comme la présence d’une barre de « stun » sur les ennemis qu’il est possible d’étourdir temporairement en les maravant comme un forcené, ou des arbres de compétences révisés pour proposer des perspectives d’évolution plus stimulantes surtout vis-à-vis des factions, continuent de témoigner d’un certain travail de réflexion de l’équipe du game design. Après, il y a les autres nouveautés, celles qui sont cracra et dont on aurait aimé se passer, comme le menu radial qui marque une vraie régression par simple envie de « faire comme les américains » (à adosser à l’histoire du fiston, donc) ou l’hilarante caméra ultra-énervée en combat, que les développeurs ont heureusement patché en offrant une option de caméra alternative aux nombreuses personnes qui ont été prises de nausée et de vertiges pendant les bastons… mais, soyons bon prince, en termes de systèmes purs, le boulot abattu pour renouveler la « formule PB » est globalement appréciable.
Là où j’ai donc cependant tiré très fort la gueule, c’est sur les aspects technique et artistique. Deux points sur lesquels je partais pourtant en totale confiance, car jamais dans sa carrière le studio allemand n’avait régressé dans ces compartiments. Même la série Risen, qui a pourtant connu une grosse baisse de régime avec Risen 2, a toujours mis un point d’honneur à proposer de chouettes ambiances rôlistes sur un thème cohérent et amoureusement exploité. Dans le registre post-apocalyptique, Elex II marque, lui, en net pas en arrière par rapport à son prédécesseur. Dans l’ensemble beaucoup moins fin techniquement, le jeu se débrouille inexplicablement pour ternir une map pourtant recyclée pour moitié de l’épisode précédent : la disposition des reliefs, les couleurs, éclairages et textures donnent collectivement l’impression d’être face à un produit encore en bêta. Ce n’est vraiment pas très joli, c’est même souvent carrément moche. Le charme singulier du premier opus est dilué dans des teintes ternes et, plus embêtant, dans un world design dont l’approximation de conception a des conséquences sur le plaisir de jeu. Je pense que c’est la première fois que je ne prends pas de réel plaisir à explorer un monde ouvert de jeu Piranha Bytes. Il y a quelque chose de faux dans l’organisation géographique du monde, dans la disposition des routes, dans la verticalité des reliefs ou l’urbanisation peu organique des différentes villes qu’on y découvre. Les arbres, cailloux, maisons et rivières semblent disposés au petit bonheur la chance, avec de petites zones très soignées sur lesquelles on a l’impression que les level designers ont passé des mois qui côtoient de grosses taches informes et vides semblant sorties d’un générateur procédural. C’est extrêmement étrange, et cela donne l’impression tout du long de jouer à un jeu pas fini. Si les maladresses techniques et artistiques peuvent à la rigueur être pardonnées (quoique, à certains instants le jeu est particulièrement moche au point d’en être gênant), il n’en va pas de même des errances du level design, un point sur lequel les développeurs avaient une grosse carte à jouer et qui est difficile à rattraper quand on parle d’open world. Encore une fois, le fait que les développeurs se soient débrouillés pour se foirer alors même qu’ils partaient d’une base pré-existante ne joue pas en leur faveur et me laisse sincèrement perplexe. Et malheureusement, la thèse du manque de temps ou de budget semble être corroborée par un end game extrêmement long, plat et répétitif, consistant exclusivement à faire du tir au pigeon pendant une bonne dizaine d'heures en allant vite : Elex II propose certainement le pire end game de la carrière de Piranha Bytes, et je pense que chacun le sentira bien passer.
Tout ça, pourtant, pour en revenir au début de mon troisième paragraphe : Elex II est un RPG correct malgré ses nombreuses scories. Il sauve les meubles en restant fidèle à son cœur de game design, composé de quêtes bien conçues, d’interactions sociales réalistes et de cet éternel système de progression en béton armé qui transforme toujours chaque montée de niveau en un moment de joie pure et enfantine. Les (hallucinants) problèmes de finition du jeu ne doivent pas faire oublier qu’il garde une conception centrale cohérente, réussie, articulée autour d’enjeux solides et intéressants. Ne doivent pas faire oublier, non plus, que l’écriture est toujours d’un niveau assez élevé, autant dans l’histoire racontée que dans la façon dont elle se traduit à travers le gameplay, grande constante de l’école allemande ici largement honorée. Le scénario du jeu est toujours fait non pour être palpitant sur le papier, mais pour être stimulant manette en main, et ça fonctionne encore une fois malgré le parti-pris ultra risqué (et pas toujours convaincant à 100%, je l’avoue) de situer l’histoire après les événements du premier jeu. Mais il y a dans Elex II des choses étonnamment foirées, des choix de level design et de technique à la limite de l’amateurisme, des détails qui, mis bout-à-bout, m’ont fait me demander plus d’une fois ce qui avait bien pu se passer pendant le développement de ce jeu. Sans l’ombre d’un doute, c’est un jeu qui n’a pas eu le temps, et/ou le budget, d’être réellement fini : c’est peut-être ce qui est le plus gênant. A l’époque de Gothic 3, la large-fan base avait su se retrousser les manches pour modder le jeu à tort et à travers pour façonner peu à peu le hit qui dormait sous les bizarreries de conception. En 2022, pour ce qui est devenu un genre de niche, il est peu probable qu’on voie un jeu comme Elex II évoluer. Il faudra se contenter de cette bizarrerie un peu mutante, bourrée de choix brillants et de choix aberrants. Elex II est loin de m’avoir autant passionné que son prédécesseur. Pour une suite, il est tout de même un peu plus satisfaisant dans l’absolu que celui qui reste à mes yeux le maillon faible du studio, Risen 2. Il y a mieux. Il y a pire.