Disclaimer : Fable est un jeu merveilleux. Après s'être fait copieusement vilipender suite aux promesses non tenues d'un attaché de presse particulièrement compétent nommé Peter Molyneux, le jeu a quand même su se trouver une place de choix dans le cœur des amateurs d'action/RPG de l'époque. Et pour cause : il était beau, original, envoûtant, doté d'une personnalité tout simplement hors normes dans sa charte graphique, sonore et même ludique. On était en 2004, et Fable a posé les bases de ce qu'essaieraient de faire, plus tard, absolument tous les jeux du genre (et même d'autres genres) : choix moraux, fins multiples, influence directe de la manière de jouer sur le déroulé de l'histoire et les réactions des personnages. Le tout enrobé dans un écrin stupéfiant de beauté, avec des décors fantasy d'une générosité, d'une recherche artistique tout simplement bouleversantes, baigné d'éclairages magiques et de musiques grandioses. Bien que court (15 heures, maximum 20 en prenant son temps), Fable était à jouer, et même à rejouer, pour expérimenter ses embranchements scénaristiques étonnants et émouvants, pour en découvrir toutes les façons d'y jouer et, bien sûr, pour se positionner à chaque prisme de ce fameux alignement bien/mal, qui donnait au héros une débine fascinante et lui octroyait des avantages de progression relativement singuliers selon le "camp" choisi. À cela, il fallait également ajouter l'énergie juvénile du système de jeu, avec des combats vivants, pleins de punch, souffrant de quelques défaillances largement rattrapées par des sensations enivrantes au plus fort des combats.
Chose rigolote, Fable: The Lost Chapters, sur PC plus que sur Xbox, a incroyablement bien veilli. Avec ses couleurs bariolées, le support manette Xbox 360 et celui de résolutions généralement élevées, même s'il accuse un léger coup de vieux à un niveau purement technique, l'aspect artistique, lui, envoie toujours une grosse mandale. En tant qu'action/RPG et en tant que jeu à univers fantasy en général, il dégage, aujourd'hui encore, un charme extraordinaire. Quiconque l'a connu à sa sortie en 2004 pourra le confirmer : la douceur champêtre de Barrow Fields, l'angoissante lumière crépusculaire du cimetière, les rivages paisibles d'Oakvale ou les marais de Darkwoods, chaque tableau de jeu offre son ambiance, sa patte qui contribue à plonger le joueur dans un univers proprement magique qui perd, dès lors, cet aspect étriqué que trahissent pourtant les mini-maps de chaque zone. En fait, le jeu original possède une beauté assez pure, d'autant plus touchante que Lionhead est resté l'un des seuls, rétrospectivement, à avoir réussi à approcher, avec autant d'audace et de talent, un univers médiéval fantastique pourtant surexploité. On le dit, on le redit, on le re-redit : Fable, avant son système un peu mytho mais fun, avant ses quêtes à embranchements multiples, avant son système de bonté et de méchanceté, c'est un univers inoubliable, une invitation au rêve de tous les instants avec une direction artistique belle et mûre à chialer. Voilà : jouer à ce jeu, c'est d'abord un recueillement.
Fable II et III étaient chouettes, à de nombreux égards (notamment en ceux qu'ils ont d'avoir tenté, parfois avec succès, de réaliser cette fois toutes les promesses formulées par leur prédécesseur). Mais voilà, même si on les aimés, il leur manquait quelque chose, un soupçon de magie, cet équilibre miraculeux que le premier avait touché du doigt et qui, dans ses meilleurs moments, permettait au joueur de penser : "jamais je ne rejouerai à un jeu de cette trempe". (Fait rigolo, dix ans après, on n'a en effet jamais approché de jeu qui puisse décemment lui être comparé.) Du coup, une édition Anniversary semblait assez indiquée. Assez. Mais pas complètement. D'abord parce que Fable: The Lost Chapters sur PC est vraiment un portage exemplaire de la version Xbox, tellement qu'il n'est même pas vilain sur des PC récents et qu'il n'y a pas besoin de le modder pour le faire tourner dans les résolutions actuelles. Ensuite parce que... en fait, Fable Anniversary, c'est un peu du travail de cochon. Quand même.
Premier point, la fameuse refonte du jeu sous Unreal. Juste : non. On ressent un léger gain de netteté sur les décors, un affichage globalement plus précis (forcément), mais rien qui ne justifie un remake. Lionhead a récupéré chaque zone, l'a modélisée à l'identique, en omettant un certain nombre de détails et, surtout, en bâclant le travail sur les éclairages, qui donnaient toute leur singularité aux décors de l'original. Résultat, on se retrouve avec un environnement mignonnet, curieusement terne, souvent dépourvu d'un certain charme, précisément celui qu'on trouvait au premier Fable. C'est particulièrement criant vers le début du jeu, avec une verdure qui tient plus de la paille desséchée (Oakvale, qu'es-tu devenue ?) et des tons généraux qui s'inscrivent dans les productions habituelles Unreal, comme si ce moteur n'avait pas l'option "décors colorés". Triste. Pour le reste, Lionhead a un peu fait n'importe quoi. Par exemple, il y a une interface entièrement refondue. A priori, c'est bien, car c'était l'une des faiblesses de l'original. Or, l'interface est seulement refondue ; elle n'est en rien meilleure. Les menus sont toujours empilés n'importe comment les uns sur les autres, la navigation n'est pas ergonomique, les interactions avec les autres PNJ sont à gérer avec prudence à cause de boutons contextuels qui ont tendance à changer de fonctions n'importe quand (faites attention, quand vous saluez quelqu'un, de ne pas lui offrir involontairement un diamant. Ouais). Il y a un petit plus, l'apparition de commandes inspirées de Fable II et III, avec notamment une gestion de la caméra beaucoup plus libre ; mais cette maniabilité apporte son bémol, une gestion des sorts à la ramasse et pas du tout en phase avec la prépondérance de la magie dans Fable I (cette jouabilité trouvait son sens dans Fable II grâce à un système de magie simplifié).
Parlons peu, parlons bien : l'unique intérêt de Fable Anniversary réside dans l'ajout d'un mode de difficulté supérieur. Dans celui-ci, les dégâts infligés par les ennemis sont beaucoup plus importants et il n'y aucune fiole de résurrection. C'est plutôt chouette, même si les pros trouveront la parade (indice : développer le combat à distance) et que le défi est loin d'être insurmontable (surtout pour ceux qui ont déjà fait le jeu). Aussi, le support Steamworks et la présence de succès, au demeurant bon esprit, permettent d'adoucir l'addition. Mais c'est un peu maigre, surtout quand on considère le downgrade artistique plutôt sensible par rapport à l'original. Quand on aime, on ne compte pas, et cette édition a le bon goût d'arriver dix ans après le mythe, ravivant le feu d'une passion qu'on prendra plaisir à alimenter de nouveau ; mais franchement, chez Lionhead, on se dit parfois qu'ils filent un mauvais coton.