Il m'arrive de considérer de mettre des jeux dans la catégorie BGE (Best Game Ever) de manière implicite, sans vraiment avoir besoin de le dire à personne. Ceux qui ont eu tellement de succès que l'adoration n'a plus besoin d'être exprimée, elle semble juste évidente. Et pourtant ne s'agit-il pas là du meilleur moyen de les oublier ?
En ce sens, Fallout 3 occupe une place particulière. C'est une de ces œuvres qui paraissent tellement grandes que tu sens qu'elles dépassent ton amour singulier. Tu ne ressens que ceux que tous les autres ressentent. "Ah oui, c'est un grand jeu !" pas "OMG C'EST TROP UN MUST".
N'empêche que dernièrement je développe un rapport plus personnel à Fallout 3. Je me remémore mes expéditions dans le Capital Wasteland et je ne peux éviter avoir un sourire nostalgique. C'est pas parce que c'est mainstream que ça peut pas être intime. J'y réfléchis de plus en plus, à mon expérience. Peut être que j'y ai passé tellement d'heures qu'il faut que je me justifie : l'idée d'avoir versé plus de 200 heures dans un truc qui ne m'a pas fait bouger est terrifiante. Mais non. Fallout est spécial. Même si mon temps passé dans cette apocalypse se fait de plus en plus lointain et que je ne compte nullement m'y replonger, j'y repense souvent, je développe des idées, des idées que j'aimerais partager.
Ce qui m'a frappé c'est que Fallout 3, c'est le mythe de la caverne. Tu finis par te dire que peut être que l'esprit humain à tendance à répéter les mêmes histoires sans réellement s'en rendre compte, en les plaçant juste dans des contextes différents. La caverne de Platon se veut une métaphore de la vie et de nos expériences quotidiennes. Enchaînés dans les ténèbres au fond d'un grotte, tout ce que nous pouvons percevoir ne sont que les ombres projetés sur les murs quand la lumière provenant de l'extérieur daigne se montrer (on pense à notre connaissance imparfaite). Un jour un bienheureux se verra libéré de ses fers et sortira de la caverne. Ébloui par la lumière, il finira par s'y habituer et une fois qu'il comprendra le plaisir de baigner dans le soleil (soit la vérité des choses), il retournera dans la grotte pour libérer ses confrères. Ça vous est familier ?
Tout est là dans Fallout 3. La vie dans l'Abri pour cette vie fausse et mensongère plongée dans une bienséance stupide et hypocrite ; l'exil du héros qui semble tomber du ciel ; l'éblouissement. Je suis d'ailleurs surpris par à quel point ce dernier moment m'a marqué. Je ne connaissais pas Platon à l'époque, mais le premier éblouissement du héros, pendant quelques secondes, avant d'être confronté à la réalité extérieure s'est montré inoubliable. C'est dans l'avis qu'elle pose sur la vérité que j'aime particulièrement Fallout, pour le tour qui est joué. Un volte-face philosophique habile et effroyable. Quand on repense au jeu, impossible de ne pas s'attarder sur l'univers si atypique : forte en humour noir, la saga nous place dans un univers post-apocalyptique naturellement horrifiant mais qui est néanmoins gai et enjoué. Un rapport contradictoire des plus fascinants, car insufflant tout moment vécu dans ce monde d'une tension qui est bien là mais qui ne peut être comprise. Fallout 3 baigne magnifiquement dans l'absurde. Il nous jette face à un monde ravagé et laid, où l'homme est un loup pour l'homme (cannibalisme, banditisme, viol, esclavage, l'habituel du post-apo). Tout ça, mais sans se prendre au sérieux. Le monde de Fallout 3 est tristement gai, que ça se sente dans l'humour absurde des dialogues, dans la musique sautillante qui nous accompagne quand on commet nos propres atrocités (exploser une cervelle au ralenti sur fond jazzy bien joyeux est une expérience à vivre), ou tout simplement dans la foire des personnages rencontrés. Ils tous plus étranges les uns que les autres et ils font du mieux qu'ils peuvent pour trouver un bonheur dans ce grand rien. D'une façon géniale et étrange, cette ridiculisation ne fait que rehausser l'horreur de ce monde. Les comédiens peuvent vous le dire, l'humour est un mécanisme de défense, le dernier retranchement face aux pressions du monde. Rien n'a de sens, mais c'est si bon.
Alors ? C'est ça la magnifique vérité de Platon ? Dans toute son absurdité, Fallout 3 se fiche de tout, y compris du philosophe le plus important de l'Histoire occidentale. A l'origine, le mythe posait l'extérieur comme une sorte de paradis. Le lien entre Vérité et Bien semblant naturel, le bienheureux qui sort de la grotte est épanoui dans un bonheur suprême, comprenant la vérité des choses. Pour Fallout 3, la sortie de la caverne n'est pas si glorieuse et le monde réel n'est pas si glamour. Et pourtant les histoires suivent le même schéma : si au début, la lumière est aveuglante (symbole d'un premier rapport désagréable à l'extérieur) l'adaptation fera que le protagoniste finisse par se trouver lui même dans ce vrai monde et s'épanouisse, comme l'oblige tout jeu vidéo qui force le héros (et le joueur) à monter en puissance. Il est même curieux de remarquer que Fallout 3, dans les rencontres hasardeuses que l'on peut complètement louper de son gigantesque monde ouvert, propose de retrouver les rescapés de notre Abri. Après avoir effectué une quête où le héros retourne au point initial pour libérer ses confrères de leur prison de bienséance tournée au cauchemar, on découvre que les rescapés n'ont que mépris et haine envers leur "sauveur", nostalgiques de leur grotte. Comme dans le mythe.
Fallout 3 m'a ainsi prouvé qu'au delà d'une expérience jouissive, c'est dans son absurdité étonnamment profonde, que j'avais toujours adoré mais peut être superficiellement, que j'ai fini par trouver la flamme qui s'allume dans mes yeux quand j'en discute.