Faire ce qu'on aime, et le faire avec ce qu'on a : une pensée que les barbus d'Obsidian ont dû nourrir lorsqu'ils ont obtenu les droits nécessaires à là réalisation de ce hors-série, en reprenant temporairement la main sur un univers de leur création et en réutilisant le moteur bricolé, buggé et daté de Fallout 3. Mais si le gameplay continuera probablement à déplaire aux fans les plus endurcis, si les performances sont toujours aux fraises et si la qualité des graphismes semble aller à reculons, l'écriture est bien celle d'un Fallout.
L'histoire prend place dans la région du Nevada, environ trente-neuf ans après les événements de Fallout 2, tandis que deux armées se disputent les restes du Vieux Monde, et, en particulier, le barrage Hoover : la République de Nouvelle Californie, un régime démocratique émanant de la petite communauté épanouie des Sables Ombragés, et la Légion de César, un rassemblement d'esclaves et d'esclavagistes unis par la loi du plus fort, véritable imposture anachronique.
Alors oui, pour le coup, décrit comme ça, ce manichéisme ne donne pas franchement envie. Il faut cependant avancer un peu dans l'histoire du jeu pour se rendre compte que la réalité n'est pas aussi simple, avec d'un côté un monstre administratif, inefficace et corrompu, qui ne se préoccupe de l'intérêt de ses citoyens que lorsque ceux-ci n'entrent pas en conflit avec les siens, et, de l'autre, un régime totalitaire et brutal, faisant fi des droits individuels, mais assurant sécurité et droiture par la discipline, l'abrogation des stupéfiants et une violente répression du crime.
Cette absence de profondeur apparente est d'autant plus regrettable qu'un voyage censé se dérouler en Arizona et présenter l'un des « bons côtés » de la Légion n'est finalement pas présent dans l'aventure. Que serait un jeu Obsidian sans une partie de son contenu taillée à la tronçonneuse ?
Mais même sans cela, après avoir dépassé ses à-priori initiaux pour rejoindre la Légion et en apprendre plus sur son but, le thème principal, enrichi de deux autres « factions » plus ou moins clandestines, n'en est pas moins intéressant : avec une humanité le dos au mur, la liberté individuelle est-elle plus importante que la discipline ? La propriété individuelle a-t-elle réellement un sens ? Est-il bénéfique de chercher à remettre en place les régimes du passé, ceux-là même qui ont conduit à une crise mondiale dévastatrice ?
César ressemble finalement beaucoup au Maître du premier Fallout, tant par la noblesse de ses motivations que de la monstruosité de ses méthodes, et ce n'est pas le seul point commun avec le vénérable ancêtre, auquel NV emprunte davantage la noirceur que le côté haut perché de sa suite, avec de très nombreuses références à Wasteland et à Van Buren au travers d'éléments-clefs de l'histoire, dans laquelle on incarne un simple courrier ayant tout juste fait l'erreur d'accepter un boulot qu'il n'aurait pas dû accepter et se retrouvant face au canon d'un revolver, le pied dans le tombe. Inutile de dire que New Vegas, tout comme ses deux prédécesseurs, joue la carte du mérite au détriment du droit inné, dans un monde où l'histoire se construit village après village, au détriment du caractère épique et rythmé du scénario : ce sont surtout vos actions, à une échelle locale, qui vont compter. Et ce sont leurs conséquences qui vont avoir un impact sur la suite des événements et sur le ton de l'épilogue.
Denses et intéressants, drôles et matures, les dialogues ne sont pas en reste et enterrent sans difficulté ceux de Fallout 3, avec de nombreux jets sur les caractéristiques, compétences et réputation de votre avatar, réputation qui refait surface, mesurée sur deux indicateurs distincts pour dissocier les actions bienveillantes des crimes, et nous donnant aussi la possibilité de revêtir l'uniforme d'une faction hostile pour pouvoir traverser son territoire sans être attaqué à vue.
Et le monde est vaste, plus ou moins fidèle à la véritable carte du Nevada, avec de nombreux lieux à explorer, de quêtes à accomplir et une petite pincée de compagnons charismatiques à enrôler.
Loin de faire du fanservice facile dans l'espoir de réconcilier les fans aigris et désabusés de la première heure, New Vegas dépasse le stade du gimmick, malgré une réalisation qui laisse parfois à désirer et des choix de conception qui ne feront toujours pas l'unanimité, et surprend par la qualité de son écriture et par la myriade de petits éléments enrichissants ajoutés tels des rustines sur une vieille carrosserie (gestion de l'hydratation et de la faim, artisanat, réputation locale et générale à deux branches, uniformes, ironsight...).
Finalement, la bande son est peut-être l'exception qui confirme la règle, avec un mélange des musiques originales composées par Mark Morgan et de compositions d'Inon Zur (qui se fend également de quelques pépites en contraste avec la purée qu'il avait produite pour Fallout 3) qui semble jouée de façon un peu aléatoire là où les premiers opus associaient un lieu à une ambiance sonore, une alchimie qui contribuaient beaucoup à marquer les endroits les plus mémorables (souvenez-vous du Rayon, du camp des Khans et de la base militaire !).
Malgré tout, ce nouvel opus représente ce qu'Obsidian aurait probablement pu produire de mieux avec les moyens du bord, tout en étant empreint d'une identité propre et forte, des qualités qui lui confèrent le droit d'être considéré comme la véritable troisième itération de la série.