Si on liste les jeux indépendants cultes, Fez prône parmi eux. Jeu sorti il y a plus d’une dizaine d’années, qui a fait énormément parler de lui à l’époque et qui a réussi à marquer à tel point qu’aujourd’hui encore, les internautes traitent du sujet pour résoudre certaines énigmes. Pensant faire un jeu léger, basé entre le jeu de plateforme et le puzzle game, je me suis rendu compte que Fez était bien plus ingénieux qu’il ne laisse croire.
Fez se joue en plusieurs temps. Primo, on obtient la capacité brillante de changer les perspectives pour créer un jeu de plateforme fertile avec une certaine dimension puzzle. On retrouve ici les poncifs du genre : plateformes qui bougent, plateformes invisibles, plateformes limitées dans le temps… Rien de nouveau sous le soleil. L’objectif est simple : visiter différents tableaux pour trouver des petits cubes pour former des gros cubes, voire directement trouver des gros cubes. Avec notre mignon petit personnage, Gomez, on découvre de magnifiques décors reconnaissables grâce à cette direction artistique unique. On est emporté par les musiques très réussies ainsi que le remarquable sound design. On découvre qu’il existe des « mondes » avec des thèmes différents. Plus on avance et plus le jeu est curieux sur certains points : certaines salles sont juste vides et on ne sait pas quoi y faire, des dizaines de symboles reviennent à plusieurs reprises, tantôt des traits, tantôt des carrés, tantôt des tétrominos... On découvre une élégante narration à partir d’éléments du décor, sans utiliser aucun mot. Au bout d’un moment, on peut accéder à la fin du jeu sans avoir résolu toutes les énigmes. La cinématique finale est originale. Puis, on peut faire un New Game +, conserver notre progression dans notre quête de petits cubes et partir à l’aventure des nouveaux petits cubes qui nous manquent.
Cependant, c’est ici que l’expérience prend une nouvelle tournure. Les énigmes finissent par se corser sévèrement et on finit par comprendre qu’il va valoir se pencher sérieusement sur plusieurs éléments laissés de côté durant notre partie. Fez se joue de deux manières. Si vous avez du temps, de la chance et un gros cerveau, alors vous chercherez à résoudre énigmes après énigmes pour obtenir tous les petits cubes. Si vous êtes perdu, que vous tournez en rond et ne comprenez pas le sens de tout ça, vous irez voir un guide. Je doute peu que l’immense majorité des joueurs et joueuses sont passés par cette seconde option. Comprendre les trois codages du jeu nécessite une aide extérieure, même ponctuelle. Toutes les vidéos que j’ai observées expliquent une démarche avec laquelle un point n’est pas clair. « Comment savoir qu’il faut lire dans ce sens ? », « Comment savoir que ce symbole est un nombre et non une lettre ? » et j’en passe. J’ajoute que pour nous, francophones, la tâche est complexifiée puisque nous n’avons pas l’habitude de faire de la cryptographie dans la langue de Shakespeare. En cela, le jeu me semble être davantage un jeu communautaire. « Comment tu as trouvé ça ? », « Tu sais ce que ça signifie ? », « Regardez, j’ai une piste, qu’est-ce que vous en pensez ? ». J’en veux pour preuve qu’une énigme du jeu n’a toujours pas été résolue. Nous connaissons aujourd’hui la réponse, car on a essayé toutes les combinaisons possibles, mais personne n’a su l’expliquer. Aujourd’hui encore, on ne sait pas si l’ensemble des problèmes est résolu parce qu'on arrive à 209,4%, pourcentage peu satisfaisant. Je reconnais, encore une fois, une certaine ingéniosité de la part des développeurs. Moi qui m’attendais à jouer tranquillement dans mon coin, j’ai été déçu de devoir ouvrir des pages Google pour comprendre des symboles. Ayant eu la flemme de faire les conversions à la main avec une feuille et un stylo, j’ai vite abandonné l’idée d’aller à la vraie fin du jeu. Je me contenterai de la « mauvaise fin ».
Bref, Fez est un jeu surprenant, qui va plus loin qu’il ne peut laisser paraitre. Il ne s'arrête pas à la brillante idée de jouer avec les perspectives. Il y a plusieurs lectures du jeu et plusieurs façons de jouer. Quand on a fini par apprivoiser le système de plateforme, le jeu remet une couche avec des énigmes plus compliquées qui étaient sous notre nez. Lesdites énigmes qui utilisent des méthodes diverses et tordues. Je reconnais les bonnes idées, mais je ne m’attendais pas à tomber sur cet escape game vidéoludique. Et ce n’est pas comme si c’était tout, l’ambiance visuelle et sonore est tout aussi remarquable. En somme, c’est ce qu’est Fez, un jeu remarquable. Une leçon de game design.