J’ai 11 ans. Je feuillète les yeux plein d’étoiles l’un de ces magazines papier qui étaient légions à cette époque-là. Ils étaient surtout la seule source d’infos dans un monde où internet était encore rare chez les particuliers.« L’âge d’or de la presse papier » avec ses Cd de démos qu’on rejouait des dizaines de fois afin de décider quels jeux finiraient sur la liste de Noël. A l’intérieur de ce magazine un test de Final Fantasy VII. Nous sommes en 1998, Pâques approche et mes parents sont en désaccord. Mon père pense que moi et ma sœur ainée sommes devenus trop grands pour avoir quelque chose en cette occasion. Ma mère, elle, pense que les chocolats c’est effectivement passé mais que l’on pourrait avoir un cadeau « de grands » quand même. De cette simple bataille sur la vision de l’éducation des enfants a découlé une bifurcation dans ma vie, du genre qui marque l’avant et l’après au marqueur.
The Prelude
Car cette bataille c’est ma maman qui l’a gagnée. Et vous l’imaginez bien ledit cadeau fut Final Fantasy VII. Je me souviens encore de tout. L’endroit où je l’ai acheté par exemple. Pas une boutique spécialisée, pas une grande surface… Je l’avais acheté dans un commerce de réparation informatique qui se trouvait sur le trajet entre la maison et le collège. Ils avaient un de ces présentoirs en forme de tourqui pivote pour balayer tous les jeux. « 369 Francs ». Le matin ma mère m’avait confié la lourde tâche de garder la somme d’argent dans mon sac et d’aller l’acheter à la sortie de l’école. J’ai tenu mon sac à dos très fort tout le long des 25 minutes de marche qui m’amenait jusqu’au collège et la journée fut interminable. 17H01 je fonce acheter le jeu, une grosse boite avec 3cd et un logo qui déjà provoquait un truc magnétique chez moi. J’échange la pression de me balader avec cette somme pour celle de me balader avec le st graal dans le sac à dos. Sur le retour je tiens mon sac encore plus fort que lors du trajet matinal. Enfin je rentre. La mission est accomplie signant en même temps le début des vacances.
Je mets le jeu dans la console, pas de fioritures, de mise à jour à télécharger, de code pour un dlc cosmétique à la con ou d’installation sur le SSD. Ça commence et je me prends LA fameuse introduction. La musique, le mako, Aerith, dézoom, aperçu de midgar avec la musique qui s’emballe, rezoom, le train et boom on y est… L’incompréhension ! Car quand on a 11 ans et qu’on n’a jamais joué à un JRPG de sa vie c’est tout un tas de jauges et de chiffres qui nous tombent dessus sans que l’on ne comprenne vraiment qu’en faire. Pas d’internet ou de smartphone pour se reposer sur l’instantanéité de l’information et des zilliards de vidéos youtube.L’apprentissage à la dure tel un héros de shonen qui se relève sans cesse face à l’adversité. Un vrai récit de méritocratie vidéoludique qui pourrait presque faire bander l’électorat de Macron.Les heures défilent, puis les jours, les semaines et les mois. Crédits de fin. Ma courbe de vie est définitivement changée par la passion naissante du genre JRPG et le coup de foudre musical du travail de Uematsu. J’étais devenu ce gamin monomaniaque dont les conversations tournent autour de Final Fantasy et dont les copains moquent gentiment cette obsession dévorante. Aujourd’hui j’ai une liste qui s’appelle « Journal d’un dévoreur de JRPG ». Vous venez d’en lire l’origin story.
Le bon moment pour rappeler ma relation conflictuelle avec Square Enix dont je n’attends plus rien depuis belle lurette. Leurs sous-traitants peuvent accoucher de choses excellentes (Nier, Octopath Traveler) mais en ce qui concerne la branche principale…. La confiance est morte depuis bien longtemps. J’étais même certains qu’ils allaient se vautrer lamentablement sur le Remake de 2020. Et c’est là qu’ils m’ont bien eu car je fais partie des joueurs plutôt convaincus par le premier épisode. J’ai particulièrement apprécié le discours meta sur l’exercice du remake via les fameux fillers (plus communément appelés serpillières volantes). Le système de combat Action RPG était également une réussite à mon sens. Certes le jeu n’était pas sans défaut mais il proposait une relecture intéressante du mythe en prenant assez d’initiative pour justifier l’existence d’un remake sans rendre caduc le jeu originel. Deux visions d’une même œuvre et pas une simple mise à jour graphique et scolaire d’un jeu, c’est ainsi que je perçois un remake également. Et puis il faut bien se le dire c’était un sacré rêve mouillé de voir ces personnages arborer des milliers de pixels et ces musiques MIDI avoir droit à des réorchestrations qui puent le fric sur chaque note.
Comment allaient-ils aborder cette seconde partie après un message final de la première qu’on pouvait traduire comme « la prochaine fois on s’autorise à toucher à certaines choses ». La question était tout autant valable sur le plan narratif que sur le plan du gameplay. Le jeu allait il céder aux sirènes de l’open world ? Garder une structure très narrative en couloir ? La fameuse fin du CD1 serait-elle intacte ou modifiée ? (Pour rester vague si tant est qu’on puisse spoiler 25 ans après l’un des twists les plus connus du médium). 890 mots et 4257 caractères plus tard, il serait peut-être temps que j’apporte des éléments de réponses.
*Il se peut qu’un individu surgisse pour vous proposer des activités durant votre lecture et je m’excuse d’avance pour la gêne occasionnée.
La Fantasy Ubisoftisée
Après une introduction qui revendique définitivement une démarcation avec l’original en brouillant les cartes, nous retrouvons nos personnages dans la ville de Kalm. Retranchés dans l’auberge locale nos personnages profitent d’un moment de paix pour évoquer avec Cloud son passé. Une des séquences marquantes de l’original qui a servi de vitrine via la démo du jeu (que j’ai volontairement choisi de zapper pour découvrir l’ensemble). ÇA VOUS DIT UNE PETITE PARTIE DE CARTES ???
Rapidement vous découvrirez votre première grande zone ouverte dans laquelle vous serez initiés aux activités qui constitueront le canevas de ce type d’environnements. La première a même des allures d’harcèlements tant tout semble nous tomber dessus d’un coup d’un seul. Des tours, des chasses aux monstres, des autels d’Espers, des cristaux de Mako, des quêtes annexes, des ennemis uniques…. Autant d’excuses pour vous faire courir d’un marqueur à l’autre et remplir tout cet espace. La fameuse « formule Ubi » comme on l’appelle. Chaque zone tourne autour d’une mécanique de chocobo aux capacités uniques, une bonne idée en soit pour donner un peu de variété mais qui ne change pas drastiquement la donne. Sur cette première zone j’ai parcouru la map en long, en large et en travers car que voulez-vous, on ne lutte pas contre des habitudes de joueur complétiste. Puis j’ai enchainé sur la suite de l’histoire plus resserrée jusqu’à aboutir sur une nouvelle zone ouverte. Et là j’ai compris comment allait s’articuler tout le jeu, en alternance entre liberté puis goulot d’étranglement. Au fond pourquoi pas, la seule vraie question étant « est que ça fonctionne ? ».ÇA VOUS DIT UNE PETITE PARTIE DE FORT CONDOR ??? Et bien pas vraiment et ce pour plusieurs raisons. La première c’est que la lassitude arrive très vite. Dès la deuxième zone ouverte je me forçais déjà et le jeu en comporte un paquet…Pourtant j’ai un seuil de tolérance élevé à ce genre d’activités répétitives mais pour ma part, je trouve que les récompenses ne sont pas assez alléchantes pour justifier tous ces efforts. Les vrais objets importants, les armes etc se trouvent dans l’aventure principale. Et même si par faute d’inattention vous loupez de l’équipement, vous pourrez l’acheter chez les marchands. Alors pourquoi se farcir tout ce contenu qui prend des heures et des heures à chaque zone ?
Ce qui ne fonctionne également pas c’est que faire tout ça créé de vraies ruptures avec l’aventure principale. On espace tellement les moments importants que le rythme se fait flinguer par toutes ces activités. Donc un conseil : Ne vous forcez surtout pas ! Misez sur le NG+ pour faire tout le contenu si ça vous tient à cœur mais sur votre première partie maitrisez votre rythme, picorez et ne faites rien par « peur de louper un truc ». L’épisode Remake s’était vu critiqué pour son aspect couloirs liberticide mais ça lui permettait au moins de maitriser rythme et intensité de fort belle manière là ou Rebirth peut devenir si fatiguant (pour ne pas dire ennuyeux) selon la façon dont on l’aborde. Alors on pourra me rétorquer que tout l’annexe est « à la carte » mais je pense tout de même que les mondes ouverts doivent être pensés pour tout profils de joueurs et fonctionner pour chacun. Le fait qu’il y ai trop de choses peu passionnantes est tout de même, à mon sens, une forme d’échec dans la façon de penser tout cet espace nouvellement intégré.
S’il y a un autre point qui confère son identité à ce FFVII Rebirth c’est sa profusion de mini jeux en tout genre, un peu comme si on avait lorgné du coté de chez SEGA et sa série Yakuza. ÇA VOUS DIT UNE PETITE PARTIE DE QTE DANS UN MINI JEU DE MUSCU ??? Impossible d’évoquer ce point sans parler de l’incroyable Queen’s Blood, la nouvelle itération du jeu de carte made in Final Fantasy. C’est facilement le meilleur jeu de cartes de la saga. Riche, plein de subtilités et hyper plaisant à jouer c’est LA réussite incontestable du côté des mini jeux.
Leurs niveaux qualitatifs sont fatalement assez inégaux car il y en a des tonnes et des tonnes. Trop. Cela va occasionner une fois encore de créer de la distance avec l’aventure principale. Mais ce n’est pas la seule conséquence, ce qui me permet de faire la jonction avec l’écriture du jeu.
Le Gilgamesh du Rire
Et la c’est le point avec lequel j’ai un véritable problème. CA VOUS DIT UN MINI JEU DE TIR ??? Déjà largement entamée par Remake, l’invasion des personnages secondaires inutiles reprend de plus belle et l’on retrouvera sans surprises nombre d’entre eux (sans compter les nouveaux venus tout aussi inutiles). Des personnages qui pourtant semblaient avoir toujours vécus à Midgar mais qui se retrouve miraculeusement catapultés aux quatre coins du globe pour multiplier les clins d’œil dont on aurait volontiers fait l’impasse. La bande de Beck qui ferait passer les teletubbies pour des prix nobels ? De retour. Chadley et sa coupe mulet qui fout des « my friend » à chaque fin de phrase ? De retour. Les persos useless du Wall Market ? De retour. Kyrié le modèle eco+ de Yuffie dans le genre survolté ? Bref vous aurez compris. J’ai beaucoup de mal avec tous ces personnages exagérément excentriques qui débarquent en dansant ou en gueulant sous fond d’une musique moderne qui se veut décalée mais qui n’est qu’agaçante… L’aspect grand guignolesque de l’ensemble fout un sérieux coup à l’ambiance générale. Cette volonté d’étoffer un univers qui l’était déjà suffisamment et de « lolifier » chaque passage plombe totalement le récit. Et si ce n’était que ça…ÇA VOUS DIT UN MINI JEU DE VAISSEAU SPATIAL ???
Car même les personnages principaux ont subi une réécriture qui ne les met franchement pas en valeur. Et ça devient tout de suite bien plus problématique. Aerith par exemple en est réduite à n’être qu’une belle écervelée qui s’émerveille de tout et de rien sans arrêt. Que ce soit une composante de sa personnalité pourquoi pas. Mais elle n’est presque que ça. Tifa l’amoureuse transie, humble et binôme d’Aerith dans l’hébétement quasi permanent permettant des mimiques de collégiennes bestas à la moindre occasion. Et vas y que ça se prend dans les bras, que ça ricane comme des gamines, que ça sautille partout… Même Red XIII s’est fait « mascotisé » et n’a de cesse de servir de ressort humoristique avec des grognements risible doublés à la bouche…. Ça fait mal.
Cette profusion de scène gratuite voulant faire rire lourdement et bêtement plombe Final Fantasy VII Rebirth. Comment croire à l’urgence d’une planète mourante quand chaque coin de rue est l’occasion de faire les guignols dans un énième mini jeu ? Avant le Gold Saucer était dans le jeu. Désormais le jeu est devenu un grand Gold Saucer. Final Fantasy VII est devenu un parc d’attraction dans lequel un clown bien insistant vient sans cesse vous interrompre en pinçant son gros nez rouge jusqu’à ce que vous riez puis vous traine jusqu’à une autre distraction car « Il faut absolument que tu vois ça ». ÇA VOUS DIT UN MINI JEU DE COURSES DE CHOCOBO ??? Est-ce une tentative de séduire les plus jeunes ? Même si c’était là l’objectif n’y a-t-il pas plus valorisant comme narration que de faire (vous me pardonnerez l’expression) une « gogole édition » d’un jeu mythique ? Est-ce que les développeurs ont craint que des cerveaux gavés aux micros contenus et aux formats courts s’emmerdent s’il n’y a pas un mini jeu ou un perso clownesque toutes les heures ? Je ne sais pas, je ne comprends pas.
Let the Battle Begin !
Par contre s’il y a bien un point qui fonctionne toujours c’est le système de combat. C’était déjà un des gros points fort de Remake, il est ici agrémenté de quelques nouveautés comme les attaques combinées qui viennent étoffer les possibilités. J’ai trouvé que le curseur de difficulté était monté d’un cran (en normal) poussant à maitriser un maximum d’aspects. Pour les joueurs d’Intergrade on retrouve aussi Yuffie, notre Ninja survoltée du Wutaï, hyper efficace pour mettre les ennemis en état de choc. Red XIII lui se repose sur la toute nouvelle mécanique de contre parfait pour entrer dans un mode vengeance dévastateur. Même Caith Sith dispose d’un gameplay bien sympa lui permettant d’avoir des attaques différentes selon qu’il soit monté sur son mog ou non. ÇA VOUS DIT UNE PETITE PARTIE DE ROCKET LEAGUE AVEC RED XIII ??? On arrache toujours les victoires face aux boss de façon gratifiante en balançant tout ce qu’on a. A tel point que j’ai fini par m’interroger. Je n’arrive pas vraiment à déterminer si c’est dû à un véritable équilibrage savant ou si la customisation et les levels ne sont finalement qu’illusoire afin d’arriver à ce résultat en toute circonstance… Quoi qu’il en soit ça marche à fond. Question de ne pas totalement jeter la pierre à la structure ouverte du jeu, l’exploration donne forcément un peu plus l’occasion de jouer la baston et d’en profiter que sur Remake et ses affrontements scriptés. Je ne vais pas détailler ce qui était déjà présent sur le précédent, le système de materias toujours au top etc. Même le vieux con indécrottable du tour par tour que je suis y trouve du plaisir c’est dire.
Techniquement le jeu est paradoxalement très beau et très inégal. Les personnages ont une fois encore été au centre de toute l’attention mais je regrette cependant que certaines animations soient parfois saccadées, comme si quelques frames sautaient. Les décors sont plutôt jolie mais on retrouve comme pour Remake quelques textures assez dégueux. Les biomes sont variés mais il se dégage un truc assez froid de l’ensemble, comme si les décors étaient des démos techniques pour un quelconque moteur graphique sans âme. Comme si on avait demandé à une IA de créer ici un décor de désert, ici une forêt etc… Parfois on a un joli panorama mais dans l’ensemble tout cela est assez générique et c’est dommage quand on a un univers tel que celui-ci. Je pense qu’il y avait artistiquement mieux à faire. Le passage sur PS5 ne se fait pas vraiment sentir, Remake était déjà très beau en son temps. C’est surtout l’ouverture des zones qui a profité de ce gain de puissance. Je pinaille un peu mais pour ma part je ne prête pas beaucoup d’importances à la technique, le jeu est largement assez beau pour mes attentes à ce niveau la.
Musicalement, l’héritage auditif d’Uematsu est à nouveau mis à l’honneur de fort belle manière. Cependant dans une volonté d’émancipation toujours plus assumée on peut également découvrir plus de pistes originales que dans Remake. Les morceaux d’ambiances lors de l’exploration des zones ouvertes sont souvent de nouvelles créations (qui arborent parfois certains motifs ou mélodie familière mais de façon très légère). N’étant pas Uematsu qui veut on sent immédiatement la différence avec des thèmes peu mémorables mais qui ne dénotent pas non plus avec l’esprit des lieux qu’ils habillent. La encore Remake m’avait plus marqué.
Reunion
J’ai 36 ans. Quand j’ai reçu ce 2éme opus du remake le plus ambitieux que le jeu vidéo ai connu à ce jour (en terme d’envergure j’entends), j’étais tout aussi fébrile que pour le premier épisode. Tout aussi excité mais tout aussi inquiet. 25 ans séparent ma découverte de l’original et celle de Rebirth. 25 ans séparent l’introduction de ma critique et sa conclusion. Ce qui a changé c’est que ma maman n’est plus la… Elle qui a sans le savoir fait naitre ma passion d’un genre. Elle qui par ruissellement a fait que ces mots emprunt d’une petite déception arrivent sous vos yeux. Vu le storytelling que je vous ai balancé et la teneur émotionnelle que j’entretiens avec FFVII, il n’aurait pas fallu grand-chose pour que je sois content et pourtant j’en ressors un peu « chafouiné ».
Ce qui est embêtant c’est que je n’ai pas non plus passé un mauvais moment sur le jeu. Je me suis laissé porter par l’aventure mais en pilote automatique, sans jamais être complètement emballé par tout ce qu’on me faisait faire. C’est un bon jeu, généreux, mais dont les choix de conception ne me semblent pas pertinents car ils éludent certaines qualités de l’original. J’étais venu pour la nostalgie, la magie et l’écologie. J’ai eu la japoniaiserie et une pointe d’ennui. Dans ma grille de notation, je définis un 7 comme : « La note fourre tout universelle pour les œuvres qui étaient intéressantes mais auxquelles manquent le petit truc en plus. Provoquera probablement un moment sympa. Puis un jour, on vous en reparlera, et vous aurez du mal à vous souvenir de tout. Alors vous y retournerez sans déplaisir». Un NG+ dans 2 ans afin d’aller à l’essentiel sans le gras autour m’en donnera peut être un gout un peu moins amer qui sait…
Oh et sinon… CA VOUS DIT UN JRPG ENTRE 2 MINI JEUX ???