Final Fantasy VII, l’original, est un objet sacré du jeu vidéo et plus encore, de la culture populaire. Réaliser un remake, au sens le plus profond du terme, c’est-à-dire le recréer, le réinventer, tenait tout autant du fantasme que de de la profanation. Car on ne peut pas refaire ni remanier ce qui est intouchable.
Le recréer, c’était forcément trahir la vision de l’original. Pour s’autoriser un tel acte, il fallait d’abord avoir la légitimité de le faire. C’est ce qu’a fait Square Enix en alignant, à quelques ajustements près, l’intégralité des créateurs originaux. Mais le coup de génie tient à avoir inscrit dans la diégèse même du remake cette question fondamentale du respect du récit pour au final, mieux s’en écarter. Plutôt que d’ignorer cet élément, les équipes de Square Enix, et en particulier le scénariste Nojima Kazushige, ont su prendre le taureau par les cornes, affronter le mythe et le renverser. Tout d’abord en jouant sur un méta-texte – Sephiroth, le grand méchant du jeu, se présente en ami content de nous retrouver ; Aerith, personnage clé, semble en connaître long sur ce qui va se produire – mais aussi en intégrant une idée originale, les fileurs. Ces nuées de capes noires vides de corps qui virevoltent dans les airs sont les gardiens du destin, ou pour le dire plus simplement, les gardiens du récit originel. Dans la diégèse du jeu, ils peuvent être des créatures liées à Sephiroth. Mais là n’est pas le plus intéressant. Les fileurs sont aussi une image des joueurs orthodoxes soucieux de retrouver à la virgule près une expérience réactualisée mais scrupuleusement fidèle au jeu d’antan. Tout au long de l’aventure, les personnages affrontent ces créatures encapuchonnées qui les guident bien malgré eux vers leur destin, avant que l’équipe ne parvienne, dans un final inutilement grandiloquent, à briser les chaines de la fatalité. Un jour nouveau se lève alors, avec pour conclusion la promesse d’une aventure qui pourra s’affranchir du premier Final Fantasy VII. Une démarche salvatrice, iconoclaste, qui permet au jeu d’être ce qu’il prétend, un remake. Une expérience qui se passe in utero en quelque sorte, dans cette ville dystopique de science fantasy qu’est Midgar, avant que les personnages naissent enfin pour la suite, le bien nommé Rebirth.
En choisissant de concentrer l’aventure à ce qui était jadis qu’une introduction de 8h, Remake permet une exploration fine de la ville de Midgar sur une durée de près de 50h. Plutôt que de jouer sur la variété des environnements (les biotopes classiques de type désert, forêt, montagne, etc.), le jeu approfondit le rapport à cette ville. Poisseuse, sale, profondément inégalitaire avec sa plaque inférieure et supérieure, Final Fantasy VII Remake propose de visiter Midgar de la cave au grenier, en jouant sur les nuances, ce qui donne un caractère et un relief tout particulier à l’œuvre. Chaque secteur visité est l’occasion de découvrir une vie de quartier qui lui est propre, son organisation, son paysage, son histoire. Le niveau de détail transparaît dans la description tout en détail de la vie des habitants, occupés à (sur)vivre dans un quotidien sous contrôle mais non sans espoir. Si certains rêvent d’une ascension sociale qu’ils n’auront pas, d’autres s’organisent (écoles, aires de jeu, commerces, maison pour les aînés, bars, etc.) et déjouent l’emprise de la Shinra, entreprise privée qui contrôle tout dans cette ville-prison dont la tour centrale du siège ressemble à un panoptique. Ainsi, Midgar n’est pas qu’un décor, c’est une ville qui parle, qui porte en elle un discours, sur le Japon d’hier et d’aujourd’hui (remake oblige), sur le monde, le rapport à la catastrophe, au capitalisme, à l’écologie, à la désinformation. C’est une fantasy désenchantée proposée par la directrice des environnements Takake Miyako, qui permet à cette ville imaginaire d’être aussi vraisemblable.
Final Fantasy VII Remake pourrait être considéré, quelque part, comme un spin-off appartenant à la galaxie de titres parus – jeux vidéo, romans, films – autour de la franchise. Pourtant, s’il n’avait pas prétendu reprendre l’univers du jeu original, il aurait pu très bien s’appeler Final Fantasy XVI ou XVII. Car Final Fantasy VII Remake se situe dans la continuité de jeux comme Final Fantasy XIII ou Final Fantasy XV, avec un niveau de production supérieur. Il reprend et affine le système de combat développé dans ces deux jeux et parvient à trouver un équilibre action/tactique comme la série n’en a jamais connu. Il reprend l’idée lumineuse et intemporelle des matérias (orbes magiques débloquant des compétences auprès des personnages, que l’on peut associer et combiner entre elles) ou dépoussière la jauge ATB (Active Time Battle, un système de combat qui existe depuis Final Fantasy VI). De Final Fantasy XIII, il hérite en particulier de son sens du rythme, avec ses effets d’urgence, ses pauses bienvenues. De Final Fantasy XV, il récupère l’idée de la bande d’amis. S’il développe moins l’incroyable travail d’animation qui avait été fait alors, Final Fantasy VII Remake permet de switcher entre les différents personnages et de jouer avec leurs spécificités. Tous les personnages sont décisifs en combat et le joueur n’est jamais aussi efficace quand il les considère comme un groupe.
Là-dessus, le jeu rejoint son propos initial. Final Fantasy VII, ce n’est pas tant l’histoire de Cloud, le héros hanté par sa propre existence, c’est l’histoire d’un collectif indigné. Dans un paysage vidéoludique enclin à laisser toute sa place au relativisme et au cynisme dans un monde où les pensées rétrogrades et réactionnaires sont à la mode, la fraîcheur de ce groupe de personnages révoltés venu tout droit de la fin des années 90 fait un bien fou à ceux qui, encore, se battent pour un idéal.