C’était l’un des premiers jeux à hériter de cet étrange qualificatif : celui de « walking simulator ». Un genre aussi étrange que le nom qu’on lui a associé, mais un genre qui, moi, me parle énormément. Avec « Firewatch », pas de défi de dextérité, de « die and retry » en pagaille ou bien encore de gameplay complexe à assimiler. « Firewatch » est avant tout une histoire qu’on parcourt plutôt qu’une épreuve qu’on surmonte. L’expérience de jeu est en conséquence épurée à l’extrême. Pas de mort. Pas d’opposant. Juste le choix des chemins empruntés, des regards portés et des paroles prononcées… Exercice synthétique s’il en est et donc, forcément, exercice très délicat.
Heureusement pour nous, « Firewatch » révèle assez rapidement tout son potentiel. Premier gros point fort : l’univers. Nous isoler dans cette tour de guet au milieu des bois est un parti pris fort. Or, l’utilisation du cell-shading et des couleurs chaudes mais peu agressive contribuent clairement à poser un espace vidéo-ludique agréable et séduisant. C’est reposant. C’est balisé. C’est un petit cocon dans lequel on accepte aisément de se lover. Cela colle parfaitement à la démarche du héros qui vient chercher de la douceur en fuyant son quotidien. Cela peut être aussi le cas du joueur qui, le temps d’une partie, est à la recherche d’une évasion apaisante.
Et puis côté narration ce « Firewatch » fonctionne aussi très bien. Au cœur du dispositif vidéo-ludique se retrouvent d’un côté des « missions » nous invitant à la balade et à l’exploration de l’intrigue, et de l’autre toute une série d’interactions avec un personnage clef de l’intrigue : notre superviseuse Delilah. Le mix entre ces deux éléments apporte une réelle fluidité à la narration, oscillant entre dialogues sur lesquels nous pouvons (plus ou moins) interragir d’un côté et découvertes de pans de l’intrigue par une exploration des lieux de l’autre.
Or, dans sa manière de gérer tous ces aspects là, « Firewatch » se montre très habile et assez fin. L’écriture des dialogues est suffisamment percutante pour qu’on puisse vite s’attacher aux protagonistes et les deux premières missions ont le mérite de savoir très promptement nous plonger dans une intrigue qui a de quoi capter les esprits curieux. A cela s’ajoute une carte suffisamment réduite et balisée pour qu’on puisse rapidement trouver ses marques, ce qui est pour le coup – je trouve – un très bon exemple d’optimisation d’espace. Sur tous ces points là, franchement, « Firewatch » accomplit selon moi un « presque sans faute ».
Oui, « presque sans faute » parce que le jeu n’est pas non plus exempt de tout reproche. Premier gros souci : Henry n'est pas des plus agréables à déplacer. L'assignation par défaut des commandes sur le clavier oblige à une vraie gymnastique digitale, rendant certaines actions basiques assez pénibles à réaliser. D'ailleurs, dans le même genre, il est parfois rageant de voir que notre cher Henry se révèle régulièrement incapable de passer au-dessus d’un relief de 10 centimètres ou bien encore qu’il lui faille des cordes pour grimper ou descendre des pentes qu’on pourrait aisément gravir avec les mains ou descendre avec sur les fesses. Bien sûr, une fois qu’on a intégré la mécanique du jeu, on l’accepte. Cela n’en reste pas moins un détail frustrant quand on bloque quelque part ou que l’envie d’exploration nous prend.
L'autre gros problème, c'est que cette rigidité se retrouve aussi pas mal dans la narration. Et même si la qualité d'écriture permet de masquer en grande partie cet aspect, « Firewatch » est malgré tout un jeu qui laisse peu de marge de manœuvre au joueur, que ce soit aussi bien dans les dialogues que dans les missions. Et pour quelqu'un comme moi qui considère que l'interaction est le cœur du jeu vidéo, forcément ça me froisse un peu...
Mais au final, à bien tout prendre, la grosse limite que je trouve à ce « Firewatch » ça reste dans la manière de ficeler son intrigue qui se révèle en définitive assez confuse.
Parce qu’en fin de compte, tout le cœur du mystère tourne autour de l’histoire de Ned Goodwyn et son jeune fils Brian. Deux personnages dont on nous parle vaguement tout au long de notre aventure. Trop vaguement d’ailleurs à mon sens. Personnellement, quand j’ai découvert le camp de Brian, je me souviens que je me suis dit « mais c’est qui au fait Brian ? ». Ce nom, ainsi que celui de Ned, je les avais déjà entendu, c’est vrai, mais sans jamais me rappeler à qui ils renvoyaient vraiment. Delilah avait dû aborder le sujet à un moment où je devais être mobilisé à autre chose et je n’y ai pas forcément prêté attention. Alors certes, c’est de ma faute. Mais d’un autre je n’ai jamais senti au cours de l’intrigue l’importance réelle que pouvait avoir ce détail dans les discussions entre les deux veilleurs. La narration n’a pas suffisamment marqué ou insisté sur la chose pour que je la perçoive comme étant un élément notable de l’histoire. Du coup, et fort logiquement, mon implication sur la révélation finale s’en est retrouvée altérée.
La frustration est d’autant plus grande que je trouve ce dénouement peu cohérent au regard de l’intrigue globale.
On a l’air de nous dire qu’Henry et Delilah se sont faits un grand film avec (presque) peu de choses. Seulement, tout ne peut être expliqué par les agissements de Ned. Il y a tout d’abord ces fameuses clôtures dont personne ne peut justifier l’existence. Et ces appareils ultra-sophistiqués sur lesquels Henry met la main. Et aussi ces « Docteur Machin » et autre « Professeur bidule » qu’on évoque à la fois dans les relevés de garde de la zone cloturée mais aussi dans les notes des pompiers. Peut-être que tout cela n’a rien à voir avec Ned et que Henry et Delilah ont corrélé ces choses à tort. Sauf que – je le rappelle – on retrouve des dossiers au sujet de Delilah et de Henry dans la tente des scientifiques ! Les mêmes, mot pour mot, que ceux qu’on retrouvera dans la cache de Ned. Et ces scientifiques ne peuvent pas être Ned. Il y a trois couches dans la tente des scientifiques. Ned est seul et vit ailleurs : la fin nous le montre. Donc rien n’explique pourquoi ces scientifiques se renseignaient sur Henry et Delilah, disposaient d’informations qui dataient d’avant leur arrivée dans le parc, ni pourquoi ils évoquaient dans l’un de leur document une possible expérience menée sur Henry !
Du coup, forcément, au regard de ces incohérences d’écriture, j’ai fini ce jeu avec un vrai goût d’inachevé, passant en partie à côté de ce qui semblait être la vraie démarche du jeu ; démarche qui présentait pourtant le mérite d’être osée et pertinente.
Au fond, j’ai l’impression que le jeu voulait nous confronter à la réalité d’une vie construite sur la fuite. Henry est un personnage qui n’affronte pas les problèmes, qui les subit et qui finit par les fuir. Le jeu oriente volontairement nos choix en début de partie pour qu’on assume cette posture là. Nous sommes un personnage qui fuit le réel ; qui va chercher la quiétude ailleurs. En cela d’ailleurs c’est reproduire la posture du joueur lambda attiré par « Firewatch ». Ce jeu est une promesse d’univers, dès le départ. Pas une promesse de challenge. Y aller c’est fuir un monde pour un autre. Or, vouloir nous confronter à notre posture fuyante de joueur en passant par un enchainement de désillusions pour le personnage d’Henry, je trouve ça puissant. D’autant plus puissant que c’est très méta.
Avec le recul, je dois bien avouer que j’ai fini malgré tout par beaucoup apprécier cette fin, le générique conclusif aidant à cela. L’impact et la nature de notre aventure prend tout son sens ; tout son relief. Et même si j’ai encore aujourd’hui l’impression qu’avec une base comme celle-ci on aurait pu me raconter les choses bien mieux, cela n’efface en rien le ressenti que ce « Firewatch » a su générer au cours de ma partie. Ce sentiment d’apaisement au-delà de l’angoisse et de la pesanteur du réel. Cet environnement à la fois enjoleur et désespérément vide. Ce désir d’isolement compensé en permanence par cette soif de partage avec l’autre. Cette expérience-là, les approximations de l’intrigue ne l’ont clairement pas entamée.
C’est en cela qu’en fin de compte, je garde un très bon souvenir de ce « Firewatch ». Un souvenir frustré certes – cette frustration de ne pas avoir connu le brasier qu’aurait pu être ce jeu – mais une satisfaction malgré tout. La satisfaction d’avoir parcouru un jeu qui a su habilement posé les bases d’un genre si mal nommé. La satisfaction d’avoir joué à un très bon walking simulator…