Same shit, different day : craquer pour un open-world AAA en se disant qu'il fera mieux que la concurrence. Que, forcément, avec le label Sony dessus, ce sera une belle expérience - nous autres, joueurs PC, avons quand même une chance inouïe de pouvoir profiter des exclusivités PlayStation depuis quelques années, avec l'arrivée de jeux qui, même s'ils ne sont pas forcément exceptionnels en tant que tels, rendent accessibles à nos machines de bourgeois une agréable philosophie de jeu console à gros budget qui finit de compléter l'offre pléthorique à laquelle nous avons accès. Et puisqu'il faut bien comparer Ghost of Tsushima à l'un de ses confrères, après avoir poncé quasiment tous les portages PlayStation sur PC, depuis God of War à Uncharted en passant par Returnal, Spider-Man, Horizon, The Last of Us et ce bon vieux Days Gone, force m'est de constater que c'est de ce dernier qu'il est le plus proche, avec une philosophie d'open-world, un gameplay d'action/infiltration et une dimension "RPG light" quasiment identiques. A ceci près, donc, que les zombies sont troqués contre les guerriers mongols du Japon féodal, que notre héros samouraï va dézinguer dans une succession de camps à libérer et autres drapeaux à déployer. Forcément, ça marche super bien : c'est rythmé, toujours fluide dans l'enchaînement des activités, avec un habillage élégant et une ergonomie bien pensée, bref, on ressent le classique "Sony seal of quality" habituellement à l'œuvre, que les éditeurs tiers peinent à atteindre.


Cela étant, la première déconvenue pour un habitué des portages PlayStation sera l'aspect technique, une première dans l'écurie Sony sur PC. De tous ses confrères, Ghost of Tsushima est le plus modeste visuellement ; contrairement à ses confrères, il accuse le poids des années en évoquant plus un The Witcher 3 qu'un Horizon Zero Dawn. A ce niveau, ça pique quand même un peu les yeux, avec des textures grossières, une faible densité d'éléments à l'écran (la nature japonaise y est étrangement proprette, un peu comme si toute la map était un jardin zen à la pelouse parfaitement tondue) et des personnages aux traits grossiers, que la caméra évite d'ailleurs de fixer en gros plan pendant les cinématiques pour plutôt les centrer en tout petit dans le paysage, histoire de masquer leur stoïcisme facial et corporel. Comme pour masquer le retard du jeu sur son versant purement technologique, les développeurs ont également bien forcé sur les effets météo, totalement exagérés, avec des conditions et des effets de saturation d'image insensés qui sont presque fatigants pour l'œil (il vaut mieux aimer les orages avec un ciel noir d'ébène et les couchers de soleil rouge fluo, bien souvent avec des transitions de l'un à l'autre de quelques secondes tout au plus). Ca fait quand même un peu bizarre, même sur la durée. Et c'est la première fois qu'un portage PlayStation sur PC se retrouve handicapé par sa technique ou ses choix artistiques un peu grotesques, car il faut bien admettre que sur nos supports de bourgeois, les graphismes de n'importe quel Assassin's Creed depuis Origins (2017, tout de même) enterrent sans effort Ghost of Tsushima.


Le même n'échappe pas non plus, à mon grand désespoir, à la grande tare du genre des années 2015, à savoir une scénarisation presque exclusivement illustrée par des enchaînements de champs/contrechamps provoquant un profond ennui dans les (nombreuses) cinématiques d'introduction et de conclusion de quêtes, au point qu'on en oublie rapidement de faire attention à ce qu'il s'y raconte. En effet, passée une introduction efficace qui semble opter pour une mise en scène cinématographique, le récit change bien vite son fusil d'épaule pour revenir à une forme de narration lourdement mécanique, anti-spectaculaire, et pas aidée par l'absence totale d'expressions faciles des différents personnages, héros comme PNJ. Toute cette dimension donne la désagréable impression de faire un bond de 10 ans dans le passé, et il faut vraiment s'armer de tolérance pour ne pas s'assoupir devant la posture narrative du jeu au sens large, qui n'attend pas longtemps avant de démissionner. Aussi, quand une forme d'intensité narrative reprend le dessus (ce qui est réservé, comme dans tous les jeux du genre, à la quête principale, très diluée dans une montagne de contenu secondaire peu ou pas mis en scène), c'est alors la gratuité qui s'invite à la fête. C'est notamment le cas dans le dernier tiers du jeu, qui se plaît à enchaîner les coups de théâtre totalement incohérents que ce soit gameplay-wise (notre héros qui trucide tout le monde sans effort passe pourtant son temps à se faire kidnapper par de pauvres randoms qui le ligotent et lui volent son équipement ; le grand méchant, malgré ses apparitions inquiétantes, est concrètement impotent et incapable de mettre à exécution ses plans les plus basiques), ou story-wise (des personnages changent de camp, de moralité, ou disparaissent de façon totalement artificielle, y compris notre propre héros que les scénaristes affublent ponctuellement de dialogues ou d'attitudes over-the-top, en totale contradiction avec ses actes). Du point de vue narratif au sens large, la comparaison avec d'autres jeux de l'écurie PlayStation sur PC ne joue vraiment pas en la faveur de Ghost of Tsushima : Days Gone, au hasard, soigne incomparablement plus sa mise en scène, ses cinématiques, ses dialogues, il articule beaucoup mieux sa narration et son gameplay que le jeu de Sucker Punch, qui nous fait tranquillement une "Ubisoft 2015" au demeurant fort éloignée des standards Sony d'aujourd'hui comme d'il y a 5 ans.


Les efforts réalisés par Sucker Punch pour proposer une narration plus mûre que chez la concurrence, notamment en prenant soin de justifier la violence du héros qui doit à la base répondre à un code d'honneur, non contents de se heurter à cette mise en scène bien terne, souffrent également du grand mal ubisoftesque qui avait été pourtant été relativement esquivé par Days Gone produit chez les mêmes Sony : la duplication illimitée du contenu. En faible nombre et consistant essentiellement à buter du méchant avec une liberté d'approche qui ne masque pas la répétitivité du concept sur la durée, les ateliers de gameplay sont copiés/collés non seulement sur une carte immense, mais aussi sur une infinité de trames principales et secondaires dont les enjeux dramatiques finissent vaporisés sous la prévisibilité des tâches. Car c'est malheureusement bien de tâches qu'il faut parler, Ghost of Tsushima se jetant tête la première dans cette philosophie de rétention/complétion plébiscitée par les Assassin's Creed modernes : une interminable check-list dont les délicats motifs orientaux ne sont que la fragile feuille d'or sur le métal rouillé servant d'ossature à l'ensemble de l'expérience. Plus ramassée sur la durée, l'expérience aurait pu attirer la sympathie ; mais avec son scope complètement déraisonnable (la centaine d'heures pour compléter le solo, passée donc à faire et refaire les 2 ou 3 mêmes activités en boucle), elle donne l'impression de chercher à gaver le joueur à l'entonnoir pour en faire du foie gras.


C'est bien triste de constater cela de la part d'un éditeur qui se débrouille en général pour subvertir ou anoblir un minimum la recette moderne du AAA d'action/aventure, mais voilà : dès qu'on jette un œil derrière ses élégants kanji, dès qu'on prête l'oreille au bruit de fond qui sourde derrière les paisibles morceaux de flûte ou les impeccables doublages japonais (voire anglais ou français, équitablement excellents), la mignonne peinture zen de Ghost of Tsushima s'écaille pour dévoiler un squelette ultra-banal de recette occidentale plus rincée que rincée, qui ne tentera jamais le plus petit pas de côté pour s'extraire de sa condition. Il y a dans ce jeu une sombre ironie à l'œuvre, s'agissant d'une soi-disant lettre d'amour à l'Orient, tant Ghost of Tsushima est un jeu finalement bien de chez nous dans ses tics et automatismes. Quelque part, on y trouve ce que j'appelle le syndrome "The Evil Within 2", de cet autre jeu japonais en apparence, mais concrètement leadé par des équipes très occidentales confortablement engoncées dans leurs petits cahiers des charges d'acquisition/rétention, où on ne fait finalement guère qu'essayer de maintenir le joueur captif sur le temps long, en le conditionnant pendant des dizaines, des centaines d'heures si on s'attarde sur ses modes annexes, à réaliser en boucle exactement la même chose, exactement de la même façon, pour le simple plaisir de voir monter des petites jauges et de voir apparaître des petites coches sur la carte du monde.


Vient, évidemment, le moment de conclure sur le fait que Ghost of Tsushima réussit quand même dans sa mission de maintenir le joueur devant son écran. Les mécaniques de rétention sont en place. Les enchaînements sont fluides. Les combats, au cœur de l'expérience, sont clairement bien pensés, agréables à jouer, avec un bon mélange d'arcade, de technicité et de fidélité thématique à l'univers samouraï. Sans grosse surprise, ceux-ci finissent par devenir beaucoup trop faciles, même en mode de difficulté maximal, et même en jouant comme une grosse quiche, à cause de la montée en puissance monstrueuse de notre personnage au fil de l'aventure (surtout si on passe par son DLC, qui offre en quelque sorte des cheat codes "légaux" qu'il nous encourage à utiliser dans le jeu principal). Mais ces combats demeurent malgré tout réussis et fun. C'est pour moi sur cet unique point que le jeu se hisse au-dessus du tout-venant des Assassin's Creed-like, tout le reste n'étant finalement que gentille fumisterie conceptuelle ou narrative. Mais dans ce cas de jeu pop-corn interchangeable, à ennui narratif et à mécaniques de rétention identiques, mieux vaut-il privilégier celui qui a une plastique globalement bien meilleure, ou celui qui a un gameplay "juste meilleur par endroits" ? C'est sûrement pas très gentil, mais entre les deux, mon cœur balance.

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le 9 juin 2024

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Seb C.

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