Je n’ai jamais aimé God of War. Mou, pas bien profond, et d’un gout très discutable, la saga de Santa Monica ne m’inspirait pas de l’indifférence mais bien de l’antipathie. Le comble a été atteint avec cette scène de rapport sexuel hors champ en QTE pendant que deux suivantes se caressaient en regardant Kratos et Aphrodite. C’était juste beauf. Alors même sans être fan de l’école Naughty Dog, voir The Last of Us donner des envies de subtilité à Kratos a réussi à attirer mon attention.


Le premier contact avec ce nouveau départ à le mérite d’être hautement déstabilisant. Loin de la Grèce et de toute bataille, Kratos n’abat qu’un vulgaire arbre à coups de hache, dans une colère froide et contenue. Puis avec cet arbre, il prépare un bûcher funéraire pour la mère de son petit garçon. L’heure est au recueillement et au silence, le tout avec un incroyable travail sur les animations et sur l’atmosphère. God of War est devenu un jeu d’ambiance où les premières stars sont la voix profonde de Chris Judge et la musique folle (j’insiste, folle) de Bear McCreary. Même l’arrivée contractuelle du système de combat, d’exploration pas dégueux, d’énigmes académiques ou du premier boss n’y changent rien. Au contraire, tout se mélange de façon homogène dans cette intro entre deuil familial et panthéon nordique qui frappe à la porte. Dix heures plus tard, on déplorera peut-être une caméra un peu trop proche du personnage, mais pour l’instant, la magie opère.


Sauf que, une fois l’introduction terminée, j’ai fait une bêtise. Alors que rarement un jeu n’avait été aussi fluide et naturel, avec juste ce qu’il faut de systèmes, une histoire en un seul plan séquence et la promesse d’un voyage vers le sommet d’une montagne pour disperser les cendres de la femme/mère selon sa dernière volonté, j’ai voulu ouvrir un menu. Catastrophe : les sous-menus et sous-systèmes s’enchainent, équipement, équipements pour l’équipement, arbres de compétences multiples, même le fiston Atreus a droit à ses options d’IA alliée. Bien loin d’un game design qui servirait de canevas à l’écriture, celui-ci s’impose, sans doute trop. Les équipements font varier par poignées de 2 ou 3 points des statistiques à trois chiffres, tout se collecte, se customise et se combine, et tout indique son niveau de rareté, seul moyen pour les joueurs de comprendre la valeur de ce qu’ils ont obtenu, ou simplement de s’en rappeler. God of War révèle son autre visage, celui d’un jeu qui se force à se conformer à l’idée que l’on se fait d’un action-RPG à systèmes, comme pour éviter qu’on l’accuse d’être un non-jeu, quitte à ce que ces systèmes ne soient pas bien originaux ni intéressants. Et d’un voyage en ligne droite, il passe à un jeu structuré comme un Ocarina of Time, plutôt malin, bien exécuté, mais un brin trop procédurier.


Le game design de God of War est cependant loin d’être exempt de très bonnes idées. Les attaques runiques par exemple, qui permettent de personnaliser sa palette de mouvements, ou encore les talismans pour une compétence active ou passive en renfort. Voilà des idées simples qui ont un impact concret. Était-il nécessaire de pouvoir personnaliser jusqu’au pommeau de cette foutue hache ? God of War a une tendance à confondre compliqué et complexe alors que son système de combat est déjà riche de nuances et bigrement plaisant (en partie grâce au travail fait sur les animations qui donnent un vrai poids aux coups portés). Au point que son plus gros défaut, c’est l’incroyable manque de variété de son bestiaire, boss en têtes. Un comble quand le contenu annexe à l’histoire s’est malgré ça réservé neuf boss de qualité.


God of War n’est pas un blockbuster qui se rêve en jeu d’ambiance, c’est un jeu d’ambiance enfermé dans des conventions de blockbusters. Ces réflexes un peu artificiels de jeu grand public viennent systématiquement amoindrir une expérience qui n’en avait pas besoin. Le personnage de Mimir en est le meilleur avatar : tête coupée et portée par Kratos, il vient combler chaque silence avec des récits mythologiques à foison, un audiolog permanent s’interrompant de façon robotique dès que le bateau de nos héros accoste. Comme si le silence était un vide à combattre et pas un outil à employer. Et comme si cet artifice grossier était une alternative plus pertinente. Il n’y a donc pas que dans son game design que God of War est inutilement académique, mais l’écriture et la mise en scène restent dans l’ensemble des réussites. Cette relation père-fils qui se construit dans la douleur, ce rapport à la colère et au deuil, ce besoin de devenir meilleur, et ces dieux et déesses dans lesquels se reflètent les tourments du duo… Même quand il s’agit de convoquer l’imaginaire de la première trilogie, il réussit à me donner des frissons. À moi. Putain. Au final, c’est bien par l’écriture qu’il marque, jusque dans ce final d’une étonnante maitrise. Aussi impressionnant soit-il, le boss ne fin n’a pas cette valeur de résolution. L’apothéose, c’est bien la (longue) fin du voyage et pas le dernier obstacle sur la route.


Kratos n’en n’avait pas après le panthéon nordique, celui-ci n’avait seulement de cesse de se mettre sur son chemin. De la même manière, les réflexes de blockbusters empêchent God of War d’être iconoclaste jusqu’au bout. Mais quel incroyable bond en avant, et quelle réussite même, que de réussir à me faire passer 40 heures dessus et de les apprécier autant. « Boy », me voilà attaché à ce grand barbu.

Ensis
8
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le 27 mai 2019

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Ensis

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