Gods Will Be Watching est le puzzle game le plus dingue, original et éprouvant auquel j'ai eu l'occasion de jouer ces dernières années. Porté par une esthétique singulière, des thématiques 'adultes' et un gameplay hérité des point 'n click d'antan, ne vous y trompez pas cependant, le titre est à mille lieux d'un jeu d'aventure classique. Il y a beaucoup d'éléments repris au genre, évidemment, mais dans les faits cela ne représente qu'un gros enrobage conférant au jeu son aura particulière. Un malentendu qui pourrait s'avérer gênant pour le titre, puisqu'en l'état celui-ci se rapproche davantage d'un Portal 2 que du Walking Dead de Telltales dans sa structure narrative.
L'autre problème de Gods Will Be Watching, c'est qu'il est difficile. Très difficile. Je dirais même plutôt dur, puisque le jeu ne vous fera aucun cadeau et possède une tolérance plutôt faible au compromis. Même en choisissant la difficulté simplifiée, pourtant véritable crève-coeur pour l'égo, on y meurt énormément, souvent plus que de raison. La plupart des séquences, la deuxième ainsi que la troisième en tête, sont d'ailleurs conçues avec une mécanique die & retry nous confrontant à de multiples morts avant de pouvoir comprendre toutes les ficelles. Frustrant, mais en même temps étrangement exaltant quand enfin la sortie semble poindre du bout de son nez. Car malgré ses mécanismes en apparence proches du jeu d'aventure à clics, le titre ne laisse pas le temps au joueur de souffler. La plupart des actions entraînent une réaction immédiate de la part de l'adversité, introduisant un facteur-temps pour le moins stressant, d'autant qu'en cas d'échec aucun checkpoint ne viendra au secours du joueur. Autant vous dire que perdre à quelques minutes de la fin d'une séquence, à cause d'une erreur de jugement ou d'un simple coup du hasard, a quelque chose de particulièrement frustrant (euphémisme) ; ceci dit, l'inverse en cas de réussite est aussi proportionnellement jouissif. Gods Will Be Watching ne vous fera aucun compromis, les abysses de désespoir y sont aussi profondes que les sommets d'allégresse d'une hauteur vertigineuse. Le secret est d'avoir suffisamment de pugnacité afin de surmonter les multiples échecs jalonnant les 6 tableaux du jeu.
Si le titre paraît tant difficile, c'est aussi parce qu'il appelle à des capacités rarement sollicitées de concert auprès des joueurs dans ce type de jeu : résolution de problème et gestion de crise. Si l'une ou l'autre, prises indépendamment, n'auraient rien de dangereux pour les méninges, sur le papier en tout cas, elles peuvent cependant faire des ravages une fois requises en conjonction. Imaginez jouer au tennis, face à un adversaire renvoyant systématiquement la moindre de vos balles, à chaque coup plus fort encore, tout en ayant à rattacher vos lacets, menaçant à chaque instant de vous faire tomber et perdre le point. Dans le cas présent, gagner la partie serait un objectif bien utopique, on se contentera davantage de perdre le moins de points possible. Gods Will Be Watching adopte une philosophie identique, plutôt que d'y gagner la partie on cherchera surtout l'issue la moins mauvaise au milieu des nids de guêpe et embuches que l'on nous envoie à la figure en permanence. Cette recherche du 'moins pire' permet aux développeurs de jouer habilement sur les nerfs du joueur en le confrontant régulièrement à des dilemmes moraux oscillant entre le pervers et le monstrueusement dégueulasse. Entre la peste et le choléra, mon coeur balance.
Contre toute attente, il est possible de relancer un chapitre et d'obtenir des conclusions radicalement différentes malgré un jeu d'actions similaire entre deux parties. Beaucoup de variables entrent en jeu, renforçant la difficulté ainsi que le sentiment (illusoire) d'être vraiment aux commandes de la situation. Tout comme deux parties d'échecs peuvent prendre des tournures éloignées suite à une action particulière, une approche différente ou une négligence peuvent transformer l'issue d'un chapitre, la réussite d'un objectif n'étant tenue qu'à la capacité du joueur à échapper, voire contrecarrer à la vigilance omnisciente de la machine. La victoire sur ce dieu (ou plutôt ces dieux, car comme le suggère le titre ils doivent être un sacré nombre à surveiller) se fait au prix de beaucoup de sacrifices de la part du personnage principal. Véritable coquille vide, puisqu'il s'agit de l'unique personnage à ne bénéficier d'aucun développement psychologique au cours de l'aventure, ce héros a la neutralité parfois perturbante opère un lien cathartique entre le joueur et le jeu. On le voudra méchant, vicieux, ou au contraire prévenant et attentionné, mais jamais celui-ci n'aura de prise sur le Grand Scénario Cosmique, parfois contraint à effectuer les pires saloperies dans l'intérêt du bien commun. Le joueur, à ce titre, n'est rien d'autre qu'une marionnette, contraint par le biais de son avatar à renvoyer la balle en permanence, privé de la moindre initiative, il ne peut qu'assister impuissant au délitement d'une situation tout en essayant de sauver les meubles.
Jouer à Gods Will Be Watching, c'est la promesse de beaucoup d'heures de frustration derrière son clavier, mais si vous parvenez à passer outre c'est aussi la béatitude de s'abandonner pleinement dans un univers intransigeant, hostile, un univers ou ne sommes pas les bienvenus mais où, en échange d'un sens aigu de l'observation et de prises de risques incongrues, on nous promet une once de contrôle. L'Histoire, elle, est déjà tracée, c'est à vous de voir ce que vous serez prêt à sacrifier pour infléchir sur son chemin. Pour ma part, mon humanité et un mal de dents qui sans doute ne s'éclipsera jamais. Pas si cher payé pour pouvoir s'essayer à une pièce de jeu vidéo si intense.