« Gravity Rush », jeu en plein air
Ses cheveux et son écharpe sont les seuls indices qui permettent de savoir dans quelle direction se trouve le sol. Affranchie des contraintes de la gravité, Kat, l'héroïne de Gravity Rush, s'envole et virevolte. Mais c'est elle le référentiel, et c'est donc le décor qui tournoie et semble se retrouver la tête en bas. Kat est une « gravitéenne » qui débarque, amnésique, dans la ville suspendue de Hekseville. La tempête gravitationnelle a emporté des pans entiers de la cité et d'étranges ombres malveillantes, les Névis, terrorisent la population. Avec son chat Poussière, qui lui confère ses pouvoirs, Kat va découvrir cet univers qui lui est étranger, et tout faire pour ramener la sérénité dans les rues.
Les gamers chevronnés (et souvent un peu blasés) ont tendance à vouloir ranger les jeux vidéo dans des boîtes, souvent en fonction de leur gameplay, de leur narration, de leur univers. Et ils y arrivent très bien, tant la production semble normée. Ainsi fleurissent les « TPS militaires », les « RPG médiévaux », et autres « FPS futuristes ». Et dans ces conditions, avoir Gravity Rush entre les mains, c'est une bouffée de jeu frais.
Certes, on retrouve quelques ingrédients connus, comme le système de ville ouverte où les missions et les avancées de l'histoire se déclenchent au bon vouloir du joueur. Mais le gameplay en apesanteur permet de transcender les genres. Le dynamisme qu'il apporte aux phases de combat contre les Névis rapproche Gravity Rush d'un titre d'action pure, tandis que les phases d'exploration sont très naturellement planantes et contemplatives. On prend un plaisir fou à se perdre dans les entrailles de la ville à l'architecture rétro futuriste inspirée du travail du dessinateur Mœbius, à côtoyer les cimes des immenses tours du quartier de Vendecentre, ou à plonger sous la surface pour aller récolter quelques précieuses gemmes. Gravity Rush permet aussi, au fil du jeu, de faire évoluer les pouvoirs de Kat (ou de jouer sans eux, c'est plus coton), de participer à des contre-la-montre en glissade gravitationnelle ou d'entreprendre de longs périples verticaux (en chute ou en ascension) dans des décors organiques.
L'exploit de Keiichirō Toyama, à l'origine de ce petit bijou (et du tout premier Silent Hill, ce qui pose le personnage), est d'avoir réalisé un titre au gameplay protéiforme, mais en insérant à chaque mécanisme une touche d'inédit, une impression de jamais joué. Il a aussi su s'emparer des capacités technologiques de la PS Vita, la toute jeune console portable de Sony, mais en restant d'une exquise subtilité, notamment en terme d'interface. Ainsi, l'écran tactile est-il mis en avant pour les menus et les plans. Le gyroscope, lui, est intégré dans les phases d'apesanteur, le système de visée, et lors des transitions qui se déroulent sous forme de BD numérique, où les cases s'inclinent avec la console. Discret et de bon goût. Seul le pavé tactile arrière est oublié, mais on attend toujours le titre qui saura vraiment en faire quelque chose.
La puissance de la Vita est elle aussi utilisée à bon escient, avec une direction artistique brillante. Et s'il faut vraiment contrebalancer ce catalogue de louanges méritées, on pourra râler sur le scénario qui n'arrive pas à se mettre au niveau de la poésie visuelle et ludique proposée par Gravity Rush. On comprend à peu près les enjeux, mais l'ensemble est brouillon. C'est naïf tout en restant inutilement compliqué. L'univers, pourtant original, n'a pas été suffisamment ciselé et il manque un travail narratif digne de ce nom, surtout lorsque toute explication sérieuse est reportée à une éventuelle suite. La palme revient à cette nunuche de Kat qui gagne sans peine sa place au panthéon des jolies héroïnes de jeux vidéo qui subissent et ne comprennent pas leur histoire. Dommage, mais on oublie vite ces défauts à chaque pression sur la gâchette droite, celle qui permet de léviter. Celle qui permet de reprendre le voyage. Celle qui permet de s'envoyer en l'air.