Haven
6.1
Haven

Jeu de The Game Bakers (2020PlayStation 4)

« Mais qu’est-ce qu’il est trendy notre jeu tout vide ! Hihihihi ! »

Pour être honnête, je ne sais même plus comment ce jeu s’est retrouvé dans ma liste d’envies.
Sûrement cela n’a-t-il tenu qu’à une citation parmi les jeux à suivre dans Pixels, la rubrique jeu vidéo du journal Le Monde
…Et le fait a voulu que je me sois retrouvé à sec en ce milieu de mois de septembre 2021, tandis que cet Haven continuait à me faire de l’œil sur le menu de ma PS4.
L’icône de lancement m’envoyait l’image d’un jeu d’atmosphère plutôt apaisant. Un genre de bon point pour moi qui ressortais tout juste de cette coloscopie à la bûche d’érable que fut Bloodborne
Je me sentais donc ouvert à l’expérience, quelle qu’elle puisse être…
Je n’en attendais rien…
…Et pourtant j’ai quand-même trouvé le moyen d’être déçu.


Il faut dire que, dès les premières minutes de Haven, il y a quelque chose dans ce jeu qui saute aux yeux et qui a de quoi augurer du pire.
Entre le générique qui ouvre notre session et les premiers dialogues par lesquels s’amorce notre partie, une terrible impression générale se dégage très vite : celle d’ambitions exclusivement superficielles, faites d'affichages et de postures dans la tendance du moment.


D’un côté on se bouffe un générique digne d’une pub Fanta qui concentre deux minutes d’images de bisous qui clignotent sur fond de musique deep house bas-de-gamme (Je vous laisse d’ailleurs juger par vous-même en cliquant ici…) tandis que de l’autre on enchaine tout de suite avec l’échange le plus plat du monde entre deux jeunes adultes de teen movie-témoin.


Le pire d’ailleurs avec cet échange, c’est qu’on ne sait pas laquelle des deux places on est censé occuper en tant que joueur.
D’un côté on se retrouve à choisir parmi les répliques du type. Puis l’instant suivant on choisit ceux de la nana. Du coup qui joue-t-on ? L’un ? L’autre ? Les deux ?
Mais si on joue les deux, à quoi ça rime de faire et les questions et les réponses au juste ?


De toute façon on s’en fout vite tant les possibilités de dialogues (avec un choix d’options de réponse qui s’étend à chaque fois au nombre incroyable de deux) ne sont absolument pas susceptibles d’impacter le contenu d’une discussion de toute façon insignifiante.
Car lors de ce premier échange, que se passe-t-il et que se dit-il au juste ?
Kuku fait la cuisine pendant que Gaga revient de faire la mécano pour interpeller son bien-aimé.
« Alors mon amour, est-ce que c’est bientôt prêt ?
– Bientôt ma petite péronnelle des bois. Huhu.
– Qu’est-ce qu’on mange ?
– Une tarte de pommiel au coulis de pommiel avec un gratin de pommiel.
– Mais dis donc, ça fait beaucoup de pommiel tout ça ! Hihihuhu !
(Rires enregistrés dans le public d’ How I Met Your Mother.)
– Je fais avec ce qu’on a mon lapinou des prés… T’ai-je déjà dit aujourd’hui à quel point je t’aimais ?
– N’empêche que je crois que je ne vais plus accepter de voir un seul arbre à pommiel en peinture avec tout ça… Et sinon, est-ce que moi je t’ai dis à quel point j’aimais tes bisous ?
– Si vraiment ma cuisine te met en indélicatesse mon hirondelle des îles, la prochaine fois je te laisse le tablier … Qu’en dis-tu ?
– Oh ça non mon chaton des sables, car nos appétences progressistes totalement spontanées font que moi, la fille, je préfère faire de la mécanique quand toi, le garçon, tu es astreint aux tâches ménagères… Mais si tu veux la prochaine fois on pourra faire…
[Question à choix multiples : A. …Faire la cuisine ensemble. B. …Cuisiner tous les deux.]
(Pffff… Euh… B.)
…Cuisiner tous les deux ?
Gling ! Bravo ! Gaga vient de gagner un point d’assurance !
(?)
– Oh c’est tellement chou comme proposition ma douce tortue des Galapagos… Tout ça me donne envie de te répondre…
[Question à choix multiples : A. …Ouuuiiii (avec trois U et trois I). B. …Ouuiiii (avec seulement deux U mais en revanche quatre I.]
(B. Achevez-moi…)
– Oh ça te ferait plaisir toi aussi ? Ooooh qu’est-ce que je suis heureuse !
("Ooooh" repris par le public ému de Punky Brewster.)
– Moi aussi je suis heureux ma galinette cendrée. Viens là que je te prenne…
[Question à choix multiples : A. …Dans mes bras. B. …Sur cette table.]
(B.B.B.B.B.B.B…)
– Ooooh… Oui volontiers mon petit écureuil de Prypiat… Viens donc m’embrasser contre cette table en suggérant que va certainement s’ensuivre un coït mais sans qu’on aille plus loin pour ne surtout pas sortir de ce romantisme digne de One Tree Hill.
– Mais avec joie… De toute façon, puisqu’on a l’air manifestement tous les deux totalement asexués, je n’en espérais pas plus.
– Viens là moyen fou…
(Nouvelle émotion émise par le public d’ Hélène et les garçons.)


Alors vous allez peut-être me dire que je m’étale vraiment beaucoup sur pas grand-chose…
…Mais le problème c’est que cette mise en bouche est à l’image de tout le jeu qui suit.
C’est à la fois représentatif de l’intrigue qui nous attend – lisse au possible – avec des échanges dignes d’ados prépubères a qui on aurait offert du space cake mais c’est aussi représentatif des phases de jeu en elles-mêmes…
…Désespéremment vides.


Parce que c’est quoi jouer à Haven ?
Eh bah ça consiste juste à planer dans de vastes plaines vides à la recherche de pommiels à prélever, de trainées d’énergie à suivre, de ressources à collecter, d’animaux à apaiser et… Rien d’autre.
Alors c’est sûr que dit comme ça on pourrait encore envisager une éventuelle possibilité de fun ou de plaisir mais même pas.
D’accord DJ Orangina essaye de poser une ambiance chillax avec ses quelques pistes électro. D’accord les couleurs sont douces et les mouvements sont fluides…
…Mais tout se fait dans des décors incroyablement limités en tout et de tout.


Les premiers lieux qu’on est amené à arpenter sont de vastes cailloux vides où on collecte ad nauseam ce qu’on est censé collecter.
On ne peut ni sauter ni tomber ce qui fait qu’on se déplace en se tapant sur un peu tout ce qui se présente – que ce soit des murs invisibles ou des rebords de 30 centimètres de haut – si bien qu’on a vite l’impression de contrôler deux boules qui se baladent dans un flipper géant qui ne serait doté que d’un seul bumper et de deux kickers.
Seulement voilà, de temps en temps on tombe sur des ennemis ; ennemis qu’on combat en tour par tour avec un entrain digne de celui que j’ai pu avoir dans Child of Light
(…Pour ceux qui ne savent pas de quoi je parle, cliquez là. ^^)
…Et tout ça s’enchainant avec un rythme saccadé au possible, la faute à un espace de jeu fragmenté comme jamais.
Car oui, jouer à Haven c’est devoir régulièrement passer d’un rocher à un autre, lesquels sont séparés par des temps et des écrans de chargement aussi fréquents que redondants…
…Et des temps de chargement on s’en bouffe d’ailleurs parfois plus que de raison parce que tous les rochers se ressemblant dans ce jeu de par une absence cruelle de narrative design, il n’est pas rare de devoir faire demi-tour puis encore demi-tour parce qu’on s’est tout simplement paumé…
(…Parce que oui, en plus il faut que ce jeu soit dépourvu de carte. Un régal.)


Ce niveau de néant – franchement – y’a vraiment longtemps que je ne l’avais pas rencontré dans un jeu.
…Et au fond ça ne m’a presque pas surpris aux regards des fameuses premières minutes dont je vous parlais quelques paragraphes plus haut.
Car – comme je vous le disais en amorce de cette critique – c’est juste FLAGRANT que la démarche de ce jeu ne repose que sur de l’affichage de posture et de tendance ; de l’enrobage.


Parce qu’en fin de compte qu’est-ce que cet Haven passe son temps à mettre en avant ?
Première grande source d’intérêt : on ne contrôle pas un joueur mais un couple. (Ouaaah !)
Deuxième grande source d’intérêt : ce couple partage les tâches, ne genre aucune activité, s’épanouit dans le fait de cuisiner ensemble, de discuter ensemble, de collecter des trucs ensemble…
Troisième grande source d’intérêt : tout l’enjeu du jeu va consister à renforcer la complicité au sein du couple qui, à force d’enchainer les activités en commun, va être encore plus soudé, plus chill, plus fusionnel, plus heureux, plus « hihihihi », plus ma petite perdrix des terrils…
Or, de tout ça, qu’est-ce que Haven en fait en terme de proposition de jeu ?
Q-U-E—D-A-L-L-E.


La possibilité de contrôler un couple ?
Bah concrètement ça n’apporte rien. Soit on contrôle le mec et dans ce cas la meuf suit. Soit on contrôle la meuf et dans ce cas là le mec suit.
On peut switcher de l’un à l’autre comme on veut pendant la partie mais ça ne change foutrement RIEN.


Combattre à deux ?
Au premier abord ça aurait pu être une nouveauté. Mais dans les faits c’est juste qu’on engage deux attaques en même temps plutôt qu’une. Aucun intérêt. Et surtout aucun enjeu.
D’ailleurs pour la petite blague, il faut savoir qu’à un moment donné j’ai renversé accidentellement un verre d’eau pendant ma partie en plein combat. Je n’en avais tellement rien à faire de ma partie que j’ai juste posé la manette sans faire pause et je suis parti chercher une éponge et du saupalin pour nettoyer.
J’ai bien pris le temps, astiqué chaque recoin, puis j’ai tout bien rangé avant de revenir devant mon écran. Il s’était facilement passé deux à trois bonnes minutes avant que je ne reprenne ma manette. Pendant tout ce temps-là, Kuku et Gaga avait continué à prendre des attaques selon un rythme des plus lénifiant et…
…Et ça n’avait au final rien changé à quoi que ce soit.
J’ai repris la manette et j’ai fini le combat comme si de rien n’était…
…Et j’ai gagné.
Pathétique.


Alors quoi ? Que reste-t-il après ça ?
Cuisiner à deux ? Discuter à deux ? Bricoler à deux ?
Tu maintiens deux boutons et la chose se fait tout seul… Et quand du lien se tisse – bim – un écran « prêt » s’affiche et…
…Et bah c’est tout.
Prêt pour quoi ? On ne sait pas…
Parce qu’autant les auteurs de cet Haven te prennent pas la main quand il s’agit de te rappeler en permanence comment planer et tourner (alors que bon, au bout de cinq minutes ça va), autant par contre pour les menus c’est du « démerde-toi ».
OK je viens de remplir une barre d’affinité là, mais j’en fais quoi maintenant ?
Il y a un système d’XP dans le jeu ? Il faut que j’implémente les caractéristiques de mes avatars ou pas ? …Si oui comment ? Et surtout où ça ?
J’ai appuyé partout avec tous les boutons il ne s’est rien passé.
Et puis – tiens d’ailleurs ! – dans l’inventaire j’ai voulu en profiter pour utiliser une trousse de soin afin de me soigner de mes quelques minutes de nettoyage au saupalin…
…Sauf que j’ai appuyé sur tous les boutons et il a juste été impossible d’utiliser cette foutue trousse de soin.
…Du coup on fait quoi ?
…On n’a pas réfléchi à ça à The Game Bakers ?
On a trop abusé sur le space cake en écoutant en boucle de la deep house, c’est ça ?


Pour être honnête avec vous, c’est à partir de cet instant-là, survenu après deux grosses sessions de deux heures chacune, que j’ai commencé à me dire qu’il serait sûrement bon d’arrêter les frais…
…Parce qu’à un moment donné il faut savoir faire les comptes.
Quand après quatre heures, tout ce qu’un jeu a été capable de te mettre sous la dent ça a été du vide, de la collectionnite de bas-étage, encore du vide, des mécaniques de gestion RPG light et random, à nouveau du vide, des dialogues incipides à longueur de temps, toujours du vide, et en bout de course même pas un minimum d’explication ou de logique dans l’usage des mécaniques de base du jeu… Eh bah au bout d’un moment ça te fait comprendre ce qu’il y a à comprendre.
Ça te fait comprendre que ce jeu ce n’est pas un jeu…
…Ce jeu c’est juste du vent.
De l’apparat.


Et le pire c’est que même ce putain d’apparat c’est du vent !
Même cette vitrine qui n’a l’air d’être là que pour se faire mousser par la TeamProgress se réduit à de l’ornement impersonnel et transparent sans nom !
Mais putain The Game Bakers, vous ne pouviez pas y mettre au moins un peu de texture à votre foutue romance ?
…Genre – idée toute con hein – faire en sorte qu’au départ Kuku et Gaga ne se piffrent pas ?
Parce que bon, de ce que j’ai compris de votre histoire, nos deux loustics ont quitté une société asseptisée où chacun devait vivre en étant « appairé » à celui ou celle qu’on lui avait autoritairement associé. Soit…
Mais dans ce cas au lieu d’avoir fait s’enfuir ensemble un couple de deux personnes déjà folles amoureuses l’une de l’autre, est-ce que ça n’aurait pas été plus pertinent de nous laisser CONSTRUIRE progressivement cette relation ?
Est-ce que ça ne vous ait vraiment jamais venu à l’idée que ça aurait pu être sympa de nous laisser une petite marge de manœuvre dans la manière de tisser du lien, ou bien tout simplement de nous confronter à des choix cornelliens nous obligeant à devoir assumer des postures complexes ?
…Et puis – juste ça – est-ce qu’à un moment donné, ça ne vous a pas tenté de produire des personnages moins asceptisés ?


Non mais voilà quoi…
Qu’est-ce que tu peux espérer de notre engagement dans cette histoire si, déjà, les deux personnages sont aussi creux, stéréotypiques et désincarnés ?
Après quatre longues heures d’échanges, qu’est-ce que j’ai appris pour singulariser ces deux personnages ? Gaga est visiblement la gourmande du groupe et aime jouer de la guitare… Et ?
Rien ne ressort de ces deux gugusses totalement fades.
On ne sait pas ce qui les anime, ce qu’ils veulent, ce qui les tourmente, ce qui a forgé leur personnalité…
Ils n’ont même pas envie de baiser putain !
JE n’ai même pas envie qu’ils baisent !
Ce couple c’est juste le NEANT.
Tout ce jeu est un néant…


Et Pixels a cru donc bon de promouvoir ce jeu ?
Sérieusement ?
Non mais quelle farce quoi…
A un moment donné la posture ça va deux secondes et les enrobages de surface – quand bien même sont-ils tendance –ne constituent pas une substance.
Au fond, ce jeu résume à lui tout seul la culture milléniale qui aime s’exposer sur les réseaux sociaux : beaucoup de prescriptions morales, mais sitôt passe-t-on à l’action derrière qu’il ne reste plus que quelques cailloux sans consistance.


Bien plus qu’un « havre » de paix, pour moi Haven a surtout été un pet navrant.
Une flatulence qui s’évente vite malgré l’emballage trendy.
Car aussi clinquante et à la mode sera une beaudruche qu’elle n’en restera pas moins qu’une poche d’air amenée à se rabougrir sitôt l’ouvrira-t-on.
C’est ce qui s’est passé me concernant avec ce Haven.
En espérant donc que The Game Bakers sache à l’avenir en tirer une quelconque leçon…
…Au risque de se transformer très rapidement en simple et triste usine à vents.

lhomme-grenouille
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le 25 sept. 2021

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