La ligne éclaire
https://www.youtube.com/watch?v=NwlWL1legEQ Inside, l'histoire d'une fuite. Celle d'un garçon sans visage, une anomalie colorée dans un monde monochrome. Dès le départ, dès cette naissance, expulsée...
le 6 sept. 2016
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20
Je ne vais pas m'étendre sur les qualités de ce jeu. Cela prendrait trop de temps, et surtout, cela a déjà été fait. Inside est un jeu magnifique, de tous les points de vue (scenario, direction artistique, level design, musique et atmosphère). J'avoue avoir été d’abord émerveillé, puis frustré par la fin, et finalement un peu déçu par la fin alternative. Je m'attendais naïvement à une "résolution" de l'énigme, répondant à toutes mes questions. J’apporte ici quelques petites observations. Point de développement vraiment organisé et cohérent mais des remarques, et parfois des questions.
Particularité significative de Inside, le jeu se relance automatiquement à la suite de la fin alternative (tout comme après la fin principale d'ailleurs). Elément discret mais efficace qui laisse à penser que le petit garçon au haut rouge est lui-même une aberration parmi tant d’autres, l’élément d’une série peut-être infinie, voué(e) à atteindre la créature immergée. Ce garçon sortirait alors directement de la zone « 1 ».
Dans ce cas :
Je reviens aussi sur ce passage au cœur du jeu : les différents tableaux parcourus de vents magnétiques, une espèce de pulsation ultra-violente qui semble interdire toute vie organique. J’ai vraiment le sentiment — sans pouvoir toutefois le prouver — que c’est le seul moment où le jeu dévoile l’« outside », l’extérieur : ce serait l’unique preuve d’un univers dévasté, post-apocalyptique, inhabitable. Cette révélation de l’univers « réel » à l’extérieur du complexe justifierait la nécessité de ce dernier pour permettre la vie « sous cloche » et réaliser toutes sortes d’expériences destinées à relancer une espèce humaine confrontée à de nouvelles conditions de (sur)vie. Au passage, dans ce moment du jeu, un des tableaux joue avec le rapport entre intérieur et extérieur et avec le principe même de l’expérience « sous cloche » : rappelez-vous ce moment où l’on doit traverser une salle aux grandes baies vitrées, et où des silhouettes sont assises sur des chaises : au premier essai, on peut se croire en intérieur, et « rusher » vers la droite… … avant de découvrir que cette salle est ouverte aux quatre vents et de mourir sous une impulsion ! Au deuxième essai, on découvre que les silhouettes sont attachées aux sièges et qu’il s’agit de « dispositifs anthropomorphes d'essai », autrement dit de mannequins de crash test : on le voit nettement à leurs tempes marquées d’un cylindre. Référence appuyée aux sujets d’expérience qui parcourent le jeu — et que le garçon au haut rouge serait lui-même, selon moi. Ceci pourrait d’ailleurs être une autre allusion au précédent « Limbo » (en sus des vers, les lettres des enseignes lumineuses au sommet des immeubles et des changements de gravité) : les « crash test dummies » sont aussi familièrement appelés « fantômes », ce qui peut renvoyer à la quête impossible que présentait « Limbo » à savoir celle d’un « Orphée » (petit garçon) à la recherche de son Eurydice (en l’occurrence de sa petite sœur), par-delà la mort, sur fond d’accident de voiture…
Enfin, je reviens sur le principe même de « l’observation » : vous avez remarqué comme moi que le jeu met en scène l’observation, et plus particulièrement le fait de voir et de savoir regarder : l’observation de l’environnement (et pas seulement la découverte des « actionnables ») est la clé de toutes les énigmes et obstacles qui constellent le parcours du petit garçon ; cf. à cet égard l’épisode où le garçon doit se faire passer pour un « zombie/humain artificiel » en se tenant dans une file d’autres prototypes ; cf. également le « un, deux, trois, soleil » macabre avec la sirène (d’ailleurs pourquoi est-elle agressive dans le noir, mais passive en pleine lumière, presque fascinée ?).
Cette perpétuelle référence au fait de voir et d’être vu est mise en abyme à la fin quand les scientifiques se ruent sur la « couveuse » géante dans laquelle se trouve le « blob/chose/tetsuo ». Pour la première fois du jeu, le petit garçon ne prête aucune attention à ce qui attire tous les regards autour de lui et amorce, comme cela a été remarqué un étonnant parcours à rebours, c’est-à-dire résolument vers la gauche, remettant ainsi en cause la linéarité et la logique du jeu (le side-scrolling).
Au milieu de l’histoire, le jeu semble insister sur le fait que le parcours même du garçon est observé à distance (donc non seulement accepté, mais aussi prévu et attendu). On voit notamment à un moment un scientifique assis à son bureau derrière une vitre qui semble tourner la tête au passage du garçon (cf. aussi le moment très fugace du regard jeté par une silhouette au travers d’une porte entrebâillée).
Pourquoi et pour qui, enfin, les « chasseurs » du début du jeu sont-ils tous masqués ?
Le garçon pourrait être la métaphore d’une cellule tumorale. En partant de ce principe selon lequel nous n’incarnons pas un petit héros vulnérable et désarmé, mais bien une cellule initiatrice d’un cancer, on comprend mieux la « chasse » qui ouvre le jeu.
En progressant, nous nous inflitrerions progressivement dans l’organisme et nous nous diviserions indéfiniment (cf. prises de contrôle des clones par le casque). D’ailleurs le terme « métastase », en grec, signifie « je change de place », ce que fait en permanence le petit garçon (par notre intermédiaire). Remarquons d’ailleurs que l’ultime moment (en fait les deux moments : les deux fins) où le garçon (ou le blob/chose/tetsuo) est empêché de se mouvoir, il meurt. Les nombreux déplacements furtifs, sournois, et notamment aquatiques pourraient figurer le déplacement des cellules par le système lymphatique ou le système sanguin…
Si l’on creuse cette hypothèse, le passage central des « vents magnétiques » pourrait figurer les différentes séances de radiothérapie subies pour enrayer la multiplication des cellules cancéreuses : chaque « vent » serait ainsi un des rayonnements en faisceau destiné à supprimer une tumeur locale.
Quant aux sirènes et autres chiens, il pourrait s’agir de différents types d’anticorps
. Cette hypothèse reste valable si l’on prend en compte la fin alternative et le bunker secret : je cite Wikipédia :
>
« Théoriquement, une métastase est toujours la conséquence d’un cancer
primaire, puisqu’il s’agit d’une tumeur dont le point de départ se
trouve dans une ou plusieurs cellule(s) cancéreuse(s) située(s) dans
une autre partie du corps. Malgré tout, plus de 10 % des patients qui
se présentent aux services de cancérologie ont des métastases sans
qu’on trouve une tumeur primaire. Dans ce cas, les médecins parlent
d’une tumeur primaire « inconnue » ou « occulte ». (…) Dans certains
de ces cas, un cancer primaire apparaîtra par la suite. »
Cette idée que l’origine du cancer apparaisse plus tard est assez intéressante puisque le « début » de la diégèse du jeu (la forêt) n’est pas son début chronologique (que l’on peut supposer être le bunker sous le champ de maïs), comme pour le cas de la tumeur « occulte ».
Si la maladie a conscience d’elle-même il est normal qu’elle « surprenne » le corps, mais qu’elle connaisse elle-même son évolution future, d’où les photos développées dans le bunker, mais la suprise des scientifiques, abandonnant leurs postes pour courir aller voir le monstre !
*Last but not least * : dans le cas de la métaphore filée de la maladie, le titre du jeu fonctionne tout simplement parfaitement ! "Inside » : à l’intérieur du corps humain ! après l’expérience du deuil avec « Limbo », l’expérience de la maladie avec « Inside ». Bref, « Playdead » : toujours une bonne ambiance !
Reprenons la suite de la citation de Wiki :
>
"Une description par stade reposant sur l'étendue et le volume de la
tumeur est parfois utilisée. Elle distingue quatre stades :
>
le stade 1 qui correspond à une tumeur unique et de petite taille,
>
le stade 2 qui correspond à un volume local plus important,
>
le stade 3 qui correspond à un envahissement des ganglions
lymphatiques ou des tissus avoisinants,
>
le stade 4 qui correspond à une extension plus large dans l'organisme
sous forme de métastases."
Le parallèle est intéressant si l’on remarque que le jeu comprend différentes zones, numérotées - de 1 à 4, si je ne m’abuse.
En tant que méta-jeu, "Inside" pose nécessairement la question de la liberté et renvoie donc au concept de déterminisme. On remarquera d'ailleurs que le seul moment du jeu où le joueur peut se sentir "invincible" est celui où, en réalité, les choix sont les plus restreints, et où le side-scrolling est le plus appuyé en tant que contrainte (on "peut"/"doit" : foncer/casser/écraser/arracher/détruire) avec çà et là quelques possibles supplémentaires qui se retournent contre nous (je pense ici tout particulièrement à l'utilisation du cube, clin d'œil à Portal, autre méta-jeu qui posait des questions similaires et renvoyait lui aussi à l'expérience vidéo-ludique elle-même).
Bref, un univers angoissant et sombre, parcouru de labyrinthes et/ou de "strates" de pensée ou de rêve comme chez Nolan, un principe de progression linéaire qui rappelle les longs plans-séquence à la Tarkovski ; un univers constellé de détails symboliques : tout est fait pour suggérer une foule de choses, de références et d’hypothèses variées et contradictoires. Un jeu qui appelle à penser !
10/10, sans hésitation. A jouer et à rejouer. Les hypothèses sont infinies.
Un jeu incroyable, qui ravira ceux qui ont aimé se faire peur avec Limbo, qui ont expérimenté la série Oddworld et savent, depuis Portal, que "the cake is a lie" !
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Créée
le 16 janv. 2017
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