Kentucky Route Zero, c'est d'abord un travail d'écriture incroyable, à la croisée des chemins (nécessairement tortueux) qui séparent Twin Peaks d'En Attendant Godot. Un univers d'une inventivité folle, un lore hors du commun, d'une richesse exemplaire, des personnages touchants, exceptionnels, une vraie substance, une vraie profondeur littéraire sous forme de road trip gentiment acide, fiévreusement déjanté, aux frontières du réel, où se distillent à l'aube les vapeurs de l'alcool et de la nostalgie.
Kentucky Route Zero, ça vous parle de chercher sa place, se chercher soi, errer à l'aveuglette, faire des rencontres, grandir, mûrir et perdre ses illusions, c'est un pur concentré de rêverie lucide, de solitude, d'espoir, de réflexions absurdes, profondes, et souvent les deux à la fois.
Un voyage sans retour sur une autoroute qui n'existe pas, ou plus, ou pas encore, et qui s'enfonce dans les profondeurs de la terre entre les cristaux et les âmes en peine. A chaque étape, certains s'en vont, d'autres s'en viennent, c'est le voyage, on se salue et on se quitte, pour mieux se retrouver (ou pas).
Seulement voilà. Au-delà de toutes ces belles considérations, Kentucky Route Zero, c'est chiant. Et pourtant, je m'en suis infusé des jeux indé qui avançaient à deux à l'heure, SAUF QUE KENTUCKY ROUTE ZERO CA DURE DIX HEURES (deux cent, en ressenti intérieur). Et c'est tragique parce que tout est génial, à quelques petites fautes de traduction près, on ne peut que sourire ou s'incliner devant telle ou telle réflexion, telle ou telle petite phrase, tel ou tel dialogue inspiré. Littérairement, c'est un travail remarquable. Seulement voilà, dans les faits, jouer à Kentucky Route Zero, ça se limite à appuyer sur un bouton pour faire défiler du texte à la vitesse d'une tortue au galop, effectuer quelques choix multiples qui n'ont aucune incidence sur la suite et se déplacer jusqu'au prochain dialogue pour faire avancer l'aventure.
Non seulement on a connu plus palpitant (quelques énigmes de ci de là n'auraient pas été du luxe) mais la longueur des textes, leur omniprésence, associées malgré elles à une absence quasi-totale de mise en scène, finit vite par avoir raison de la patience du "joueur", et par prendre le dessus.
Je me suis haï de vouloir rusher cette merveille et en même temps, j'ai eu beau le prendre dans tous les sens, avec toute l'indulgence dont je suis coutumier, je n'ai pas trouvé par quel bout le rendre intéressant.
La fin douce amère est superbe, quand bien même ne résout-elle rien (on s'en doutait), et le jeu laisse une marque. A posteriori, on ne se souvient que de ses bons et beaux aspects. Mais sur le moment, bon sang : quel supplice !
Quel dommage que les auteurs n'aient pas choisi d'en faire un livre à la place. Je l'aurais rangé à côté de moi, tout près, sur la table de chevet.