Née en 1991 sous l'égide de DMA Design (aujourd'hui Rockstar North), la série Lemmings a connu un paquet de versions et de portages sur à peu près tous les supports existants jusqu'à l'ère PlayStation. Depuis ce temps, c'est Sony qui est devenu propriétaire de la marque... et autant dire qu'il n'a jamais tenu à en faire grand-chose. Sans doute gardés pour nourrir les gammes de petits jeux et d'applications pour mobiles, les Lemmings ont enchaîné, depuis les années 2000, les apparitions anecdotiques dans des épisodes ne bénéficiant d'aucune publicité, quasiment dans des versions no-name, presque comme s'ils avaient honte d'exister encore. Récemment, on a donc eu droit à un jeu sobrement baptisé Lemmings sur PSP, et un autre portant le même nom sur PlayStation Mobile - vous savez, ce format dont tout le monde se moque et dont la plupart ignore même jusqu'à l'existence. Même les assets se refourguent d'un épisode à l'autre, d'un développeur à l'autre : pour Lemmings PSM, d3t avait repris comme un cochon le contenu créé par Team 17 sur la version PSP (musiques, menus, animations, décors, tout y passait).
Dans ce contexte de l'exploitation morose d'une licence autrefois incontournable, Lemmings Touch ne surprend pas vraiment. Bien qu'officiellement édité par Sony Computer Entertainment, il s'agit d'un épisode à la manque, qui malgré quelques efforts ne réussit pas à être beaucoup plus que l'ombre de ce qu'il aurait pu être. d3t, ce studio de développement parfaitement inconnu, a donc abattu un "demi-boulot", puisqu'une nouvelle fois on retrouve une partie du contenu de Lemmings PSP (qui lui-même repiquait certains éléments de l'épisode original... on n'en sort plus). Beaucoup de niveaux sont identiques, la plupart des musiques (atroces) n'ont pas changé d'un pouce. La nouveauté de cet épisode Touch réside dans la présence de niveaux inédits qui incluent de nouveaux éléments de gameplay, ce qui en soi aurait pu constituer une petite révolution mais ne parvient, au mieux, qu'à être tout juste sympathique, et au pire, légèrement agaçant. On en compte deux, principalement : des sortes de canons orientables au doigt qui propulsent les bestioles dans la direction indiquée, et des méchants Lemmings à crête rouge qu'il faut empêcher d'atteindre la sortie. Dans l'idée, c'est plutôt bien, mais le design plutôt bâclé des niveaux qui utilisent ces éléments empêche d'en profiter pleinement. Les éléments tripotables, notamment, sont trop petits et on se retrouve souvent à faire scroller l'écran comme un imbécile alors qu'on espérait simplement manipuler un canon ou un trampoline.
Le gros problème, c'est que Lemmings est typiquement un jeu dont la qualité est très, très étroitement liée à celle de son level design. Un peu comme les niveaux inédits du Lemmings de la Team 17, ceux de Touch sont assez quelconques, souffrant de surcroît d'une difficulté en dents de scie. L'aspect graphique des niveaux est tout aussi préjudiciable que le challenge (souvent bizarre) prévu par les développeurs. On a rarement l'impression d'être totalement maître de la situation, avec des passages très faciles qui succèdent à d'autres qui rendent fou. Dans les niveaux de difficulté supérieure, c'est la fête du slip, avec un besoin absolu d'agir avec rapidité et précision alors que la plupart des niveaux possèdent un scroll à la fois vertical et horizontal qui devient une plaie à appréhender au tactile. Quand on est presque à la fin d'un niveau interminable et que le pouce cache la moitié de l'action simplement parce qu'on essaie de bouger un morceau de décor ou qu'on veut voir ce qu'il se passe hors-champ, il y a de quoi péter une durite. Le challenge de la plupart des niveaux réside dès lors dans la bonne compréhension d'un fatras de plates-formes agencées sans réel à-propos. Il faut, en outre, faire abstraction d'une esthétique flashy, avec des décors très (trop) détaillés et colorés, qui nuisent à la lisibilité de l'action.
En général, d3t a abattu un boulot en quantité respectable, et on sent qu'il y a une certaine volonté de dépoussiérer le mythe. Mais c'est souvent cette volonté de bien faire qui pénalise Lemmings Touch, car tout ça est au final assez mal canalisé. Il y a les graphismes donc, qui, d'un point de vue purement technique, font effectivement honneur aux capacités de la Vita : c'est incontestablement de la HD, c'est fin et détaillé, les lemmings sont modélisés en 3D et ça ne rame jamais. Les arrière-plans dépotent comme pas possible avec une foule d'animations, l'accéléromètre sert à les faire se mouvoir comme dans Tearaway. Côté fonctionnalités, on peut, à l'issue de chaque niveau, partager son score sur Facebook ou Twitter. On peut aussi personnaliser ses Lemmings dans une boutique (changer la couleur de leurs cheveux, de leur robe, leur ajouter des chapeaux débiles) avec l'argent que l'on gagne en remplissant des mini-missions façon Jetpack Joyride. On sent qu'il y a, pour la première fois depuis trois millénaires dans la série, une vraie volonté de s'adapter aux modes actuelles. Le problème, c'est qu'on s'arrête précisément souvent au stade de la réflexion : l'exécution laisse dubitatif. Ces décors trop détaillés, cette boutique dont on se fout royalement, ces mini-missions aux objectifs si débiles et fastidieux qu'on ne pense jamais à les accomplir (creuser un trou sous un bloqueur, construire des escaliers par-dessus l'arrivée), ce bouton Facebook qui apparaît à chaque fin de niveau... Et puis, il y a ces foutues musiques, sortes de remix bidon de morceaux classiques qui, contrairement à l'original, n'ont absolument aucun charme et donnent envie de couper le son. Il est possible de jouer avec les musiques enregistrées sur la console, mais pourquoi n'avoir toujours pas inclus les musiques de l'original alors que Sony en possède toujours vraisemblablement les droits ?
Au final, si on s'attendait à un nouveau Lemmings qui fasse enfin honneur à son héritage, on est une nouvelle fois laissé mi-figue, mi-raisin. Il y a des idées, une volonté évidente de bien faire de la part d'un studio de développement qui ne maîtrise malheureusement pas complètement son sujet. Malgré des ajouts intéressants, rien n'est vraiment complètement probant, tout est hésitant, fragile. Bien sûr, avec sa durée de vie élevée, ses nombreux petits plus et ses fonctions inédites toujours moins mauvaises que celles introduites par les Lemmings 3D, Lemmings Touch n'est pas honteux. Il s'agit même du meilleur épisode de la série depuis Lemmings 2. Les fans vont donc doucement apprécier, les nouveaux venus vont y être tout aussi indifférents, et Sony a encore raté l'occasion de remettre sa licence morte-vivante sur le devant de la scène. Il va sans doute falloir se faire à l'idée : cette licence, tout le monde s'en fout. Depuis qu'ils ont été abandonnés par Rockstar, les Lemmings continuent de bander mou. Sans plaisir ni dégoût, l'amateur de l'original continuera à mastiquer ces resucées tout juste décentes dans l'espoir que se réveille un jour le vrai goût des bonnes choses. Pas sûr que ce temps vienne...