Le passé est un trou béant. Vous essayez de le fuir, mais plus vous courez, plus il devient profond et terrible derrière vous, ses bords baillant sur vos talons. Votre seule chance est de vous retourner et de lui faire face. Mais c'est comme regarder dans la tombe de votre amour, ou embrasser la bouche d'un pistolet, une balle tremblant dans son nid sombre, prête à vous faire sauter la tête.
Si j'aime une chose, ce sont les monologues teintés de déprime. Les envolées lyriques trempées de noirceur. Le cynisme désinvolte, qui dissimule derrière ses paroles des plaies béantes, aussi bien sentimentales que réelles.
Max Payne, c'est ça. C'était déjà ça dans le premier opus, mais Remedy, dans ce second volet, s'est surpassé. On retrouve Max, revenu dans les forces de l'ordre, mais toujours dans l'incapacité de faire le deuil de sa femme et sa fille, tuées par un toxico. Pour lui, c'est de sa faute. Il n'était pas là pour les protéger. Quelque part, c'était un peu lui le meurtrier.
Il n'y a pas de choix. Rien d'autre qu'une ligne droite. L'illusion vient après, quand on se demande "pourquoi moi ?" et "et si ?". Quand on regarde on arrière, on voit ses branches, tel un bonsai taillé ou un éclair fourchu. Si vous aviez fait quelque chose de différent, ce ne serait pas vous, mais quelqu'un d'autre qui regarderait en arrière et poserait d'autres questions.
Max est perdu, et contemple la mort comme on contemple la porte de sortie au cours d'une réunion de bureau, un vendredi soir à 20h. Il veut en finir. Soudain, le central l'appelle : des coups de feu ont retenti dans un entrepôt. L'âme en peine, il s'y dirige. Max investigue les lieux, retombe sur un vieil associé mafieux à lui, Vladimir, et découvre des meurtres commis par des criminels en tenue de nettoyage. Max décide de remonter la piste.
Mais tout change quand il retombe sur Mona Sax, la femme fatale qu'il croyait morte dans le premier opus. La flamme dans le cœur de Max, qui s'éteignait, se rallume brusquement. C'est l'amour. Un amour complexe, pervers, que Mona partage à moitié. Mais comme la femme fatale qu'elle demeure, rien n'est vraiment clair, et la trahison, les illusions fantasques et autres tromperies constitueront l'arsenal de Mona Sax.
Sans l'aide de Mona, je serais un homme mort. Soudain, pour la première fois depuis je ne sais combien de temps, j'ai réalisé que je ne voulais pas mourir.
L'histoire se suit avec une palpitation certaine. Les dialogues, écrits avec une justesse et un cynisme effroyable, sont toujours aussi bien illustrés dans ces sortes de comics strips animés. Max remonte la piste de Mona, s'aidant de miettes qu'elle lui laisse, les dévorant à même le sol. Il ne devrait pas se sentir comme ça. Il n'a pas le droit d'aimer, sa femme et sa fille le regarde. Et pourtant, il continue de suivre Mona, ses regrets se mélangeant à sa passion dévorante. De trahisons en désillusions, de délires surréalistes en échanges de tirs bien réels, Max continue son enquête. Il chute, s'écroule au sol, et même endolori, blessé au corps comme à l'âme, il se relève. Il faut qu'il résolve l'enquête, qu'il ouvre la porte sur toutes les réponses qu'ils lui sont cachées. Et Mona est la clé.
L'apparition de Mona avait déclenché une dislocation. La schizophrénie. J'ai ressenti de l'exaltation, mais aussi la peur que tous les maux du passé soient revenus.
Les graphismes, qui montrent leur âge, sont très respectables pour l'époque. Les personnages sont très bien modélisés, et l'on s'éloigne du mythique, mais trop peu sérieux, visage du premier Max Payne. Les doublages anglais y sont excellents : la voix de James McCaffrey est basse, lasse, déprimée mais incroyablement puissante et marquante. Les autres doubleurs n'ont pas à rougir également, notamment Mona ou Vladimir. La musique est discrète, mais le thème principal joué au piano permet de plonger encore plus profond dans la mélancolie et la dépression qui habitent Max Payne.
Votre passé a une façon de se faufiler dans votre vie. Vous en entendrez des échos brisés partout, comme un mauvais replay. Vous en voudrez à tout le monde de vous le rappeler, même si tout demeure dans votre tête.
Du côté gameplay, c'est aussi une grande amélioration. Les shootdodges (les sauts en ralentis à la Matrix) sont mieux pris en main, plus réactifs et encore plus jouissifs. On entre, on saute de partout et on dézingue du salaud à tout bout de balles. Le jeu est malgré tout plus court, et moins inspirés au niveau des décors. On retourne souvent aux mêmes endroits (le parc d'attraction, le club de Vladimir), mais sont très bien désignés dans l'ensemble. New York, plongée dans une nuit obscure et terrifiante, est ainsi le parfait reflet des pensées de Max Payne.
Il y avait un angle mort dans ma tête, un trou en forme de balle là où les réponses devraient être. Appelez ça du déni. Je voulais creuser à l'intérieur de mon crâne et gratter la douleur.
Max Payne est un chef-d'œuvre, aussi bien sur le plan technique, gameplay et surtout narratif. C'est un jeu noir, où la finesse d'écriture côtoie les réflexions existentialistes. Le mot "Fall", chute, dans le titre, n'y est pas pour rien. Le jeu en est une allégorie. Max chute tout du long, et nous offre dans sa descente sa meilleure prestation de poète maudit, dont on apprécie, à chaque instant, ses envolées cyniques.
Ils étaient après moi, c'était ma faute. On ne peut pas fuir son passé, on finit par tourner en rond. Jusqu'à ce que l'on retombe dans le même trou dont on essaye de s'échapper. Sauf que le trou est devenu plus profond.