Je concède que ce titre peut sembler bien trop sérieux et détonnant pas mal avec une série de jeux que l'imaginaire collectif veut comme étant un peu enfantine. Pas forcément au sens péjoratif du terme, seulement on entrevoit Mega Man sans doute par une histoire d'un manichéisme primaire, mettant en scène un héros chatoyant à l'apparence juvénile. Surtout que ce type de jeu marqué sous l'égide de "l'école du gameplay" a rarement une quelconque velléité de propos. Ma vision ne se limite pourtant pas à cela.
Également pour poser les choses, ceci est le premier Mega Man dont je viens à bout, ceci est ma première critique sens critique, je suis un vrai bleu pour ainsi dire ;-).
L'univers de pile AA à Z
Le jeu commence en nous introduisant deux brillants étudiants en robotique faisant la paire mais qui bien vite divergeront par leurs idées dans un antagonisme naissant. Ou plutôt l'un des deux s'érigera de lui même en parfait antagoniste, une arrogance non feinte et un menton proéminent rendant son début de carrière de méchant très prometteuse. En effet on comprendra que si Light met son ego au service de ses projets, Wily lui met ses projets au service de son ego. Si le premier veut développer la pensée autonome des robots pour leur faire valoir la reconnaissance qu'ils méritent, Wily lui veut par son invention, le "double gear", développer la puissance des robots, qui seraient alors de parfaits outils pour accroître sa propre reconnaissance.
Mais une toute autre vision de ce binôme est possible qu'il m'est difficile de départager de la précédente: Light et Wily souhaitent tous deux que l'humanité reconnaisse les robots mais leur divergence se fera sur le comment. Light en optimiste un peu utopiste pense que le don de la conscience aux robots nous permettra de nous rapprocher de ceux-ci dans une compréhension mutuelle. Wily plus pessimiste pense qu'il est naïf de procéder ainsi et que la reconnaissance des robots ne peut se faire que par une démonstration de force qui inspirerait le respect à leur égard. Une dualité qui n'est pas sans rappeler celle du professeur Xavier et de Magnéto et par extension celle de Martin Luther King et de Malcom X qui l'a originellement inspiré.
Je dirais qu'il y a sans doute un peu de Light et un peu de Wily en chacun d'entre nous. Pour ne reprendre qu'une facette de leurs personnalités respectives: "il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté" comme le disait un certain Antonio Gramsci.
Ces deux interprétations ne sont pas incompatibles, je pense personnellement que Wily étant jeune fut sincère dans ces intentions progressistes puis que par la suite son rapport à l'autre a changé, dans une transformation autant physique que mentale.
Wily, poussé par le manque d'adhésion de ses pairs scientifiques et ce qu'on peut imaginer comme étant une certaine aigreur, fruit de longues années de réminiscences, va dérober 8 robots au Dr Light et les reprogrammer pour servir ses sombres desseins: vengeance, conquête du monde, prouver sa supériorité intellectuel = prouver sa supériorité à la face du monde tout en se vengeant du Dr Light en volant ses créations. Dans l'intervalle il a complété sa panoplie de savant fou d'une coupe de cheveux emprunté à Einstein et d'une moustache grisonnante de circonstance, lui procurant un faciès n'ayant rien à envier à un casting de Sergio Leone. Habile procédé montrant comment la frustration maturant en lui toutes ses années a rejaillit sous la forme d'une réelle transformation physique.
Sauf que [c'est pas vraiment un spoiler] tel est pris qui croyait prendre puisque pour vaincre les robots dopés au "double gear" de Wily, notre Mega Man international emploiera lui même cet engin infernal conçu par Wily pour contrecarrer ses plans.
[là on peut considérer que c'est un spoiler]
Ce qui aura un effet néfaste:
Le Dr Wily battu par son propre gadget interprétera cet échec comme une démonstration de la grandeur de son invention, entérinant sa vision chimérique de supériorité qu'il compte bien imposer dans un prochain épisode. Volonté se traduisant de sa part par clamer son besoin de revanche et déguerpir.
S'attitrer des honneurs légitimes pour ses travaux, tout en minimisant systématiquement l'apport d'autrui? Bel exemple de la psychologie des prétentieux.
D'ailleurs la comparaison entre le "double gear" et le dopage est assez pertinente puisque ce système en démultipliant les performances fait encourir de graves risques à celui qui en fait usage en surmenant l'organisme de nos chères têtes silicées. De la à dire que le "double gear" (dénomination regroupant "power gear" + "speed gear") est l'équivalent du combo de molécules de synthèse créatine + EPO mais pour organisme de synthèse justement, il n' y a qu'un pas. Que je ne franchirais pas de peur de tomber dans une fosse hérissé de pointes (chacun sait que ça tue en un coup).
A partir de là, on peut constater que si c'est bien Mega Man qui endosse le rôle de héros, ce n'est pas par la manifestation d'un élan volontariste de redresseur de tord. Si le bombardier bleu le fait effectivement, bombarder, c'est avant tout par la force des choses. Il n'a aucune nature ou fonction belliqueuse à l'origine si je ne m'abuse. Le job doit être fait et il est le seul à pouvoir le faire (même si sa soeur Roll semble être en capacité de le faire également, un jeu "Roll Woman" pourrait être intéressant non?)
Ce coté héros par défaut, parce que quelqu'un doit bien le faire, peut rappeler un autre personnage du même coloris, Sonic. Même si la ressemble s'arrête là puisque le hérisson, contrairement à Mega Man, joue la carte du jeune rebelle cool avec toute la confiance en soi et parfois la suffisance qui va avec (en fin psychologue que tu es probablement, tu auras deviné, avec tous mes laïus sur l'arrogance de Wily et maintenant Sonic, que j'ai du mal à blairer ce genre d'attitude dans le meatspace).
Ce petit bonhomme est donc fait d’héroïsme pur et condensé. Mais attention d'un héroïsme de héros du quotidien, que toi et moi pouvons revendiquer. C'est pas celui de l'inné qui va avec des prédispositions naturelles pour le règlement de compte et la glissade. C'est celui qui t'inspire et t'incite à porter idéaux et valeurs pour incarner toi même le changement que tu veux voir survenir dans la société. Le genre de sentiment qui magnifie une personne et attise les passions. Oui.
Déja en moi l'espoir renaît de reprendre un Mega Man X, délaissé depuis bien trop longtemps
Si j'avais eu raison alors de l'araignée impitoyable, à l'usure, cet affrontement m'avais alors laissé épuisé face à une mâchoire mécanique qui acheva ce qui restait de ma persévérance. Mais maintenant ragaillardi, il me faut sans plus tarder donner un sens au sacrifice de Zéro resté depuis trop longtemps vain.
Si quelque uns ont pu reprocher a Mega dans cet épisode son design et ses animations, surtout une expression et une démarche manquant de dynamisme. Pour faire suite au raisonnement, c'est exactement ce que j'apprécie. Je trouve que cela renforce ce coté héros du quotidien, fait ressortir une espèce de décalage entre Mega et son environnement. Le rendant un peu gauche,donnant corps à l'impression qu'il assume une immense tache à laquelle il n'a pas été préparé.
Cet univers rend nostalgique. D'un temps, fantasmé peut être, où le monde paraissait moins complexe. Le mal avait encore l'honneur de se dévoiler au grand jour. Le progrès pouvait encore libérer l'humanité. Que raconterait Astro ou Mega s'ils étaient emplis du nihilisme contemporain?
Le reste du jeu
Bon tachons de parler un peu du jeu en lui même, tout de même. La mécanique de gameplay ;-) de l'épisode est donc l'utilisation du "power gear" nous rendant plus puissant et du "speed gear" nous rendant plus rapide? Non en fait il permet de ralentir le temps, même si en y réfléchissant bien cela revient au même, car tout est relatif m'voyez. D'ailleurs un certain Albert Wily, dont le prénom et l'apparence viennent d'Einstein, inventant un objet tirant profit de la relativité générale, c'est beau de coïncidence tellement je suis certain que c'est complètement fortuit, mais holà mon digresse sens s'affole.
Apprivoiser ce système permettra de surmonter bien des épreuves, surtout que les boss peuvent eux aussi en faire utilisation dans un seconde phase de combat bien souvent éprouvante.
Voila une fameuse qualité, les boss. Ils sont réussis. Que ce soit leur design ou leur mode opératoire pour nous mettre K.O, ils en imposent. La victoire en est d'autant plus solennelle que leur déchéance - cris déchirants emportés par le souffle de l'explosion finale suivant un ultime soubresaut - est grandiloquente. Ces moments sont d'autant plus émouvants que le joueur sait que ce sont de pauvres hères privés de leur libre arbitre.
Les armes qu'ils nous lèguent possèdent des effets et des trajectoires complémentaires, rendant leurs utilisations utiles et agréables. Il faudra bien entendu déterminer intuitivement quelle arme constitue la faiblesse de l'ennemi qui se trouve en face de nous.
Les niveaux précédant ces formidables adversaires ne sont pas en reste non plus. Les embûches ponctuant le parcours sont variés et inspirés, bien qu'on pourra postuler que certains obstacles sont des classiques, mais bon on peut pas réellement demander à Capcom de réinventer la roue crantée à chaque épisode.
La difficulté est comme on l'attend d'un Mega Man, le challenge relevé permet ce sentiment de satisfaction qu'on pourrait résumer: à vaincre avec péril, on triomphe avec gloire. De plus cette difficulté est homogènement repartie entre les ennemis, les phases de plateformes et les boss donc. Cependant le jeu reste très accessible aux débutants et aux impatients de l'apprentissage de patterns puisque la difficulté est paramétrable et que le laboratoire du Dr Light permet de s'équiper en modules et consommables permettant de faciliter la progression, tout en laissant le joueur libre de son dosage de power-up.
Attention trêves de louanges, des lacunes il y en a. Si j'ai adoré incarner Mega Man, Rock Man lui est manquant à l'appel. Hormis la musique du menu, aucune musique ne bounce autant que Bounce Man, ce qui est assez décevant.
Les derniers boss des stages de Wily sont moins inspirés et se partagent même des attaques parfois similaires. Puis ils font pale figure ;-) après le passage d'un Yellow Devil magistral, dont la classe n'a d'égale que la capacité à démolir l'être représentant sa couleur complémentaire.
Au final je me suis peut être trop appesanti sur des détails quitte à sculpter de la fumée et brasser de l'air chaud (dommage qu'il n'y ai ni Smoke Man ni Air Man dans cet opus)
Ce fut ma façon de crier mon amour pour un jeu qui a su me happer dans cette alchimie subtile et souvent indescriptible qu'est l'ambiance. J'arrive tout de même à percevoir certains défauts encore visibles du haut de ma subjectivité.
Le pire dans tous ça, c'est que l'histoire du jeu se résume peut être à 3 scènes cinématiques de 40s chacune, à tout casser ^^'