Le titre du bouquin est raccord
L'achoppement est présent.
Hypérion c'est nickel chrome. Malheureusement, à défaut de galvaniser l'alliage, celui-ci finit piqué par la rouille. Quand ce n'est pas l'auteur qui lamine lui-même la trempe. OK j'ai tout donné, je vais m'arrêter là pour le champ lexical.
Le "spoiler" sera de mise ici bas.
le principal intérêt du tome 1 c'était indéniablement le tissage des récits personnels des pèlerins. Chacune de ces histoires exposant un concept ou dévoilant un point de vue permettant d'appréhender peu à peu l'intrigue globale. Le tout en adoptant un style différent pour chaque. Le tour de force pour moi étant que l'auteur évitait l'aspect inégal inhérent à la forme recueil d'histoires courtes. Tout en flexant sur sa panoplie stylistique et l'éventail des connaissances apportés.
Donc le puzzle se reconstitue avec chaque morceau qui est individuellement excellent. Avec un jeu astucieux d'interaction pour imbriquer les récits et remettre en perspective comment chaque témoignage devra être mis à profit pour tirer son épingle du jeu. Un suspens se forme à mesure que se dévoile une trame de fond complexe.
Nous voici à la fin du tome 1, où ça se permet une scène digne d'un grand western pour épaissir la tension à son maximum avant climax.
La chute d'Hypérion décontenance. Tout est sur-iconisé d'avance, et au moment où nos héros se confrontent à l'objet et à la destination de leur pèlerinage...rien.
"Je reconnais" me dis-je, j'ai pas le terme filmique, mais dans la continuité de l'approche western, là l'auteur retarde le moment de délivrer le climax pour accroitre encore la tension.
Mais au bout d'un moment force est de constater, que ce n'est pas vraiment le cas. Il se passe des évènements, importants même, enfin ils devraient l'être, mais ça me fait l'effet d'être sur le mode mineur.
Ces personnages si bien épaissis, tombent comme des mouches un à un face au Gritche de manière très anodine. A mon sens, ça marche pas. Ils avait tous un enjeu propre dans leur rencontre du Gritche, c'était littéralement personnel. De l'autre coté, on attend du Gritche qu'il interagisse de manière singulière avec eux. On nous a montré pendant des centaines de pages l'existence d'un lien privilégié entre eux et la bestiole. On nous a même dit que ça allait exaucer des voeux hein. De ça il ne sera plus jamais question d'ailleurs.
Bon il y a mensonge sur la marchandise comme on dit, et ça occasionne quelques dégâts sur la cohérence du récit, mais à la limite si c'est une ruse de prestidigitateur pour faire un beau tour en nous prenant à rebrousse poil, j'applaudirais à la fin comme les autres.
Le fait de nous proposer une narration plus contemplative et désenchanté en guise de suite avait du potentiel. Mais c'est là qu'à mon sens Simmons atteint ses limites:
-La richesse des personnages du groupe se réduit à peau de chagrin à mesure qu'ils sont évacués du récit.
-La multiplicité des apparitions du Gritche, dont certaines pratiquement de l'ordre du burlesque, banalise cette figure.
-La puissance évocatrice des tombeaux du temps s'amoindrit au fur et à mesure jusqu'à n'être qu'un vague décorum inexploité.
-Les marées temporelles anentropiques sont traités comme un petit mal de mer passager , seulement capable d'étoffer des péripéties consistant souvent en déambulation pour nos personnages à faire des allées et venues entre 2 bâtiments de la vallée. Ouch.
-même la restriction d'accès aux tombeaux pour les engins aériens, devient caduque sans justification, de mémoire.
-Kassad se retrouve pris dans un interminable affrontement, qui ne sera permis et conclut que par l'utilisation de power up et de Deus ex Machina.
-De manière générale la structure narrative étant moins cadré, le répartition du point de vue est très aléatoire, rendant la lecture plus confuse. Quand les révélations arrivent, elles n'ont pas l'impact qu'elles devraient.
En dehors du théatre d'Hypérion, 2 personnages prennent de l'importance dans ce récit choral. Le second cybride du poète John Keats qui sera une bonne partie du livre un personnage témoin et la présidente Meina Gladstone. Cette dernière introduit une sphère géopoliticienne à l'ensemble.
Il n'y a pas d'enjeux de politique intérieure du Retz puisque Gladstone surclassant très largement toute la clique politicienne, ne se verra jamais opposé à un rival ou une coalition visant à la destituer, même pendant la crise.
La guerre contre les Extro aurait pu se prêter à faire de la SF militariste, autour de plans de bataille de flottes spatiales ou de répression des émeutes inhérente à la situation.
Ces 2 suggestions ne vise pas à critiquer le livre pour ce qu'il n'est pas. Seulement quitte à jouer sur tous les tableaux, autant le faire réellement. Le livre réussit l'exploit à mon sens d'être à la fois moins diversifié et moins unifié que le précédent. Ce sentiment vient de la forme décousue évoqué plus haut.
On assiste de manière répétée à des passages dans le cyberespace. Dans Hypérion, cela me semblait un bel hommage à William Gibson tout en servant le déroulé. Ici il y a un phénomène d'essoufflement, ça souffre de la comparaison avec l'original. en parlant d'essoufflement quand j'y réfléchis, déja sur les 3 dimensions présentés, l'infosphère et la mégasphère sont tellement semblables qu'elles justifient à peine d'être des concepts différents. Alors quand la métasphère est évoqué, sa description lapidaire sonne pour moi comme un renoncement.
De manière générale, et c'est peut être la traduction qui est à mettre en cause, le livre aurait gagné à être plus solide sur les descriptions.
La lecture présente tout de même de l'intérêt, au détour de quelques retournements de situations ou au chevet d'un poète à l'agonie, entre autres. Il y a même quelques propos autour de la théologie de Teilhard de Chardin ou la poésie de Keats qui font mouche. Peut être Simmons aurait il pu développer plus pleinement ces thématiques, s'il n'était pas tant engoncé dans ce dispositif qu'il a lui même mis en place. J'ai eu le sentiment après avoir terminé, qu'il s'en garde sous le coude pour la suite, le bougre. Je ne la lirais pas.
La poussée du vaisseau Hypérion était si phénoménale, que même ainsi, réacteur éteint, il dispose par inertie d'une allure tout à fait correcte.
Tout de même, c'est curieux de voir Dan Simmons exceller pour raconter à hauteur d'homme, mais se prendre les pieds dans le tapis lorsqu'il décentre son action à une échelle macroscopique. On dit en général des écrivains de SF, qu'ils sont profilés à l'inverse.