Artyom le petit train et ses amis mutants
L'aventure de Metro 2033 de Dmitry Glukhovsky, adaptée en jeu vidéo, aurait pu fournir des séquences mémorables. Au sein du réseau souterrain moscovite se terrent les derniers survivants de l'humanité, condamnés à vivre dans l'obscurité et la moiteur étouffante des tunnels de béton. Sauf que les humains encore debout ne sont pas du tout sur la même longueur d'onde. Néonazis, satanistes, fanatiques de l'époque soviétique, universitaires, révolutionnaires, mafieux... Le monde de l'Homme se résume désormais à un maigre échantillon, toutefois concentré, répandu sur une trentaine de stations de métro, prêts à s'entretuer si nécessaire.
Que pouvait donc proposer l'adaptation vidéoludique de la traversée de Moscou par le jeune Artyom ? Comment résoudrait-il la situation des "Noirs", menaçant VDNKh, la station où il vivait ? Aura-t-il à rencontrer le Gman pour traverser le temps et les époques ?
Tout d'abord, faut-il préciser que le jeu doit être impérativement joué en mode Ranger. Teinté d'un meilleur réalisme, les balles et les coups portés aux ennemis, qu'ils soient mutants ou humains, transpercent leur derme en un éclair. Par contre, Artyom risque aussi de manger les pissenlits par la racine s'il décide de se la jouer à la Call of Duty. Attention également aux munitions : le HUD étant absent, il faut compter précieusement les salves déployés et rationner son équipement en jouant la furtivité et ne tuant qu'en situation inévitable. Les armes de mêlée, dont le fabuleux couteau de lancer, jouissent donc d'une utilité extraordinaire : un jet digne d'un médaillé d'or aux Jeux Olympiques délivre bon nombre de situations embarrassantes. Par ailleurs, une fois la maîtrise de cette arme effectuée, nul besoin de gaspiller son temps à éprouver l'effroyable sensation des fusils d'assaut. D'une extrême mollesse, ils peuvent révéler votre position à l'ennemi, alertant lui-même les gardes postés ailleurs, ne laissant que la seule option de recharger le point de sauvegarde précédent. Car si les corridors blindés de caisses et autres palettes de bois permettent a priori de se dissimuler après une alerte ennemie, il faut être au courant du sixième sens des humains : le wallhack. Un seul poil de fesse dehors, et c'est la fête aux balles traçantes.
Le level design ne procure pas beaucoup de variété : le métro ne peut pas soudainement devenir un vaste parking. Les couloirs se suivent et se ressemblent, seule la faction ennemie résidente change, du moins le ton de noir des fascistes. De même, les opérations à l'extérieur, malgré les risques encourus, apparaissent dirigistes, voire monotones. Un comble pour une visite dans un Moscou délabré.
Quant à la tonalité de l'adaptation, disons que le périple de Artyom ressemble ici à une boucherie des films hollywoodiens, non pas dans le compte des morts, mais dans la taille du scénario. Exit le trio infernal des stations néonazis de Tchekhovskaya, Pouchkinskaya et Tverskaya, oublié le casino de Kitaï-Gorod, scindée par deux gangs, adieu les révolutionnaires trotskistes de la Avtozavodskaya, dans la poubelle les abominations de Park Pobedy... Le circuit établi par Artyom dans le jeu vidéo semble fade et réducteur. Le personnage même ne se lie pas suffisamment avec les protagonistes comme Danila le brahmane, Uhlman, le commando du même âge que lui et Melnik, le colonel expérimenté. Seul Khan, le mystique voyageur, représente correctement, voire mieux par moments, l'image reçue à travers le livre de Glukhovsky. On aurait pu avoir des rôles féminins plus présents que les minces lignes dédiées par l'auteur original, que nenni.
La plus grande horreur réside dans les visites à l'extérieur : tandis que l'œuvre manuscrite précise que les sorties ne s'effectuent que de nuit à cause de la mauvaise acuité visuelle des humains, ici, aucun pépin pour visiter les ruines moscovites en plein jour. Même les grands méchants loups néonazis ont installé un avant-poste sans être dérangés par la faune vorace ou les "Noirs", autant retirer le masque à gaz et faire des galipettes sur les toboggans encore en état.
Bien que Glukhovsky ait autorisé THQ à prendre des libertés sur Metro 2033, l'adaptation souffre de nombreux maux difficiles à gommer durant la partie : feeling des armes honteux, intelligence beaucoup trop artificielle, personnages revus ou totalement effacés... L'atroce atmosphère marquée par le livre laisse place à une intrigue tiède et peu mémorable en jeu vidéo. Une impression amère de l'expérience des réseaux souterrains de la capitale russe.