Qu'elles qu'aient pu être ses influences et aspirations initiales, prenons-le tel qu'on le trouve : Mirror's Edge est un fast-paced cinematic platformer. L'anglicisme est barbare mais va au plus précis, délaissant au passage les notions ici nulles et non avenues d'action/aventure ou de tir subjectif "orienté" plate-forme.
DICE, fabricant de shooters subjectifs de haute tenue technologique a fortiori depuis son rachat par EA, change ici de registre sans renoncer à son savoir-faire spécifique, aussi l'approche de la plate-forme cinématique s'opérera à la première personne et sur le rythme habituellement pratiqué dans le FPS. Les mots-clés de "body-awareness" et de "freeruning" affleurent tout naturellement à l'esprit dès lors qu'on décompose le jeu en ses éléments fondamentaux (vitesse du FPS + cinematic platforming = parkour !).
Un rappel de circonstance puisque le terme n'est jamais parvenu à la même démocratisation que d'autres expressions pourtant plus alambiquées (MMORPG ?) : le cinematic platformer est ce faux jumeau du jeu de plate-forme traditionnel inventé par Jordan Mechner (Prince of Persia) au crépuscule des années 80 et où le réalisme physique est de mise en toute circonstance. Une telle ambition impose de redéfinir intégralement le gameplay centré sur le parcours d'obstacles qui est le caractère du platformer depuis toujours (une définition de travail simple : l'ennemi qui était l'Autre devient l'environnement) dans l'optique de respecter un peu de cette force de gravité terrestre et autres propriétés corporelles dont Mario et ses copains avaleurs de vide n'ont jamais fait grand cas.
Mirror's Edge est souvent l'objet d'une méprise qui ouvre à un monde de critiques à vrai dire impropres compte tenu de sa proposition ludique : on le prend pour un jeu d'aventure. Or s'il n'a rien du jeu d'aventure, il a tout du jeu d'action. La réussite est d'ailleurs radieuse à cet égard puisqu'il assume son propos sans (trop) se compromettre dans d'inutiles associations de genres pourtant toujours plus vendeuses dans les communiqués de presse ; on imaginait aisément des séquences d'enquête active, du puzzle, de l'infiltration... DICE a heureusement su imposer une certaine conception à son éditeur probablement effrayé par avance de voir son produit taxé de "court" et "répétitif", ce que la presse ainsi que les joueurs, engoncés dans des "critères qualité" ineptes (la première) ou prisonniers parfois de leurs ludo-fantasmes (les seconds), n'ont pas dû manquer de vociférer...
En fait d'aventure linéaire par trop modeste dans ses appétits ludiques, on trouve un gameplay entièrement voué à l'intuition, à la teneur soutenue, dynamique, fluide et où les points de progression doivent être rapidement identifiés, ce à quoi le level design intelligible et surtout la direction artistique très à propos (possibilité de désactiver un "sens urbain" qui ne contredit pas cependant l'intention du projet) assistent sans faillir. De permettre de vivre son "moment" et de le conserver coûte que coûte, c'est aussi l'unique vocation des milices lancées à nos trousses en charge de maintenir la pression sous laquelle un joueur un peu trop flâneur ne songera peut-être pas à se placer de lui-même... Dommage qu'une poignée de fusillades obligatoires surviennent, surtout vers le bout du tunnel, mais là encore, aucune raison de ne pas tout faire pour les intégrer dans le flow continu du jeu tel qu'il a été envisagé ce qui nécessite de faire montre d'application et d'un certain talent - preuve de respect de la part du jeu à l'endroit d'un joueur subtilement canalisé plutôt qu'il n'est assisté.
Mirror's Edge, promis à un cycle de réitération sempiternelle jusqu'à acquérir la maîtrise parfaite de ses divers parcours avec comme perspective ultime le sanctifié speedrun (à la manière d'un jeu de plate-forme classique), n'a donc pas à rougir quant à sa durée, résultant de choix menés sans concession ou presque. On se plaindra anecdotiquement d'une narration calamiteuse ou d'un objectif annexe de ramassage d'objets cachés contre-productif au possible, impératifs de cahier des charges ou solutions pour rentabiliser un peu mieux l'univers joliment poli(cé)...
Mais le fait est que ME,
- est fort d'un discours ludique propre
- s'y tient avec le minimum de contraintes
- offre une exécution exemplaire
Un AAA qui décroche les deux premières médailles du premier coup, c'est plutôt un phénomène inexpliqué (la dernière est dans le contrat-type), aussi on applaudit des deux mains la pépite incomprise dans l'attente d'une suite qui, bien inconsidérément m'est avis, se risque à l'open world... En tout cas pour moi qui suis très friand du genre, voilà une aubaine bien tardivement saisie !