L'Art transcende le réel. Si l'on s'en tient à ce principe, alors Okami en est un superbe exemple. Dans le jeu du studio Clover Game (dirigé par Hideki Kamiya, aka Monsieur "Bayonnetta" et "Devil may Cry") on incarne le loup Shiranui. Équipé des pouvoirs divins du Pinceau Céleste, notre ami canin se voit capable de modifier le décor en le peignant. Le virtuel devient un réel lui même altéré...
Mais si le jeu ne se veut peut être pas comme un manifeste explicite des vertus de l'Art (et ici du jeu vidéo), c'est en tout cas une merveilleuse aventure qui n'a de cesse de vouloir louer les beautés de la culture japonaise et de ses paysages, et le pouvoir évocateur de la peinture.
Le jeu prend place dans la contrée du Nippon (bien sûr version fictive du Japon). Alors que cette dernière baigne dans une relative quiétude le terrible démon Orochi, terreur des légendes d'antan, refait surface. Sous le joug de ce terrifiant dragon à huit têtes, le pays retombe aux proie des ténèbres. Face à cette situation dramatique, il n'y a plus qu'un seul rempart pour préserver la lumineuse paix : Amateratsu la déesse du Soleil, s'incarnant dans le loup Shiranui, héros du "bien" déjà pourfendeur par le passé du terrible Orochi. Affaiblie par de longues années de sommeil, elle se voit accompagné du courageux (bien que minuscule) Issun, guerrier-peintre. A ses côtés, Amateratsu-Okami va apprendre une à une les différentes techniques du Pinceau Céleste, pour espérer pouvoir éradiquer le mal à jamais des terres du Nippon.
Pour accomplir son objectif, notre protagoniste va devoir traverser les différentes zones qui composent le monde d'Ōkami. L'occasion pour nous d'admirer de sublimes décors, servis par une direction artistique onirique et inspiré. Point ici de photo-réalisme, écarté au profit du cel-shading, donnant aux paysages une apparence d'estampe japonaise. On a réellement l'impression d'évoluer dans une toile d'Hokusai (certaines zones du jeu font d'ailleurs directement référence à l’œuvre de l'artiste japonais), entre montagnes enneigés et villages typiquement japonais. Mais ce qui est d'autant plus intéressant, c'est la manière dont le gameplay nous fait jouer avec ce décor.
Car oui, si l'on peut regretter le manque de maniabilité dans certains passages de notre ami canin (que nous contrôlons à la troisième personne), il n'empêche que le gameplay est un point fort d'Ōkami. Si Amateratsu-Okami peut se défendre avec ses griffes et ses crocs, le véritable fond de son pouvoir est ce fameux Pinceau Céleste. D'une simple pression sur la gâchette, il apparaît. C'est alors à nous de le manier dans le but de peindre certaines formes, chacune ayant une utilité propre. Dessiner une ligne sur un ennemi le découpera, un cercle sur de l'eau fera apparaître un nénuphar (qui prend ici fonction de plateforme pour le protagoniste), ou encore peindre une bombe permettra de faire exploser certains passages jusqu’alors fermé. Ainsi, par l'usage de ce Pinceau, on est libre d'ajouter sa propre touche au monde qui nous entoure, de le peindre. Bien sûr, impossible de changer complétement ce dernier, de faire apparaître ce qu'ils nous plait, les possibilités de ce pouvoir étant évidemment prédéfini par les développeurs, mais il y a quelque chose de formidable à faire fleurir un cerisier alors calciné, et à observer avec tendresse les feuilles roses qui retombent doucement sur le pelage de notre amie Amateratsu-Okami.
De manière évidente,on ne commence pas le jeu avec toutes les techniques de pinceau à disposition (il y en a au total 13), et c'est au fur et à mesure que l'aventure avance qu'on les récupérera, une par une. On peut y retrouver un côté métroid-vania , mais c'est surtout du côté de Zelda : Ocarina of Time que le jeu tire ses influences ludiques, dans la progression même du jeu. Oui, il y a pire comme modèle.
Clover Studio n'hésite tout d'abord pas à s'inspirer franchement de certains passages du jeu de Nintendo, à l'image d'un "donjon" prenant place dans le ventre d'une créature marine, faisant bien évidemment penser à Jabu-Jabu dans "Zelda : Ocarina of Time". Mais l'importance de ce dernier pour Ōkami ne se limite pas qu'à de sympathiques références. Comme chez son glorieux aîné, l'architecture du monde d'Ōkami s'organise autour de zones "hubs" (à la manière de la Plaine d'Hyrule) reliant à elles les différentes espaces (ville, auberge, caverne, forêt) composant le jeu. Ces sortes de carrefour faisant office de croisée des chemins sont plusieurs, décomposant le jeu en ses différentes parties. S'il ne faut pas non plus forcer la comparaison, Zelda et Ōkami partage dans leur narration une forme de manichéisme bienveillant, où le bien, pur et lumineux, se jette à corps perdu dans une lutte pour vaincre le mal, absolu et vampirique.
Mais si Ōkami est merveilleux, c'est qu'il baigne dans une intense et éclatante pureté. Lorsque l'on traverse les paysages du Nippon, on voit la beauté de ce monde, la candeur magnifique de la vie, par ses villageois fantasques et originaux, ou ses animaux que l'on retrouvent partout. On réalise ce pourquoi on se bat, ce que l'on cherche à préserver. La force du jeu d'Hideki Kamiya est de désintéresser le joueur d'un propre intérêt personnel. Je m'explique. Ōkami nous permet de nourrir ces animaux, de faire fleurir des endroits asséchés par les ténèbres, de redonner vie à divers arbres corrompus... Le faire ne nous récompense pas vraiment, si ce n'est de quelques misérables points d'expérience qui ne sont pas entièrement nécessaire, la quête principale nous en délivrant suffisamment au cours de l'aventure. Mais cela nous procure une satisfaction intérieure, une fierté de donner un sens à la beauté du jeu. Il y a quelque chose de vraiment unique à insuffler cette vitalité dans ce monde, à guérir ce dernier du mal bout par bout, coup de pinceau par coup de pinceau... Bien évidemment, Ōkami est empreint d'un fort propos écologiste, et malgré certain propos d'Issun (le compagnon d'Amateratsu) à tendance sexiste qui m'ont plus d'une fois fait grincer des dents, il n'empêche que c'est un jeu d'une grande actualité...
Ōkami est une superbe aventure. Une sorte de fresque inarrêtable que l'on peint sans arrêt, par le fait même d'être dans l'acte de jouer. Des personnages attachants, une trame narrative sensible, un gameplay mis en avant par cette superbe idée du Pinceau Céleste (véritable cœur du jeu), tout ça donne au jeu cet aspect si particulier qui fait de lui une très belle épopée. C'est véritablement, comme le jeu l'expose dès son introduction, la légende d'Ōkami ...