Outlast
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Outlast

Jeu de Red Barrels (2013PC)

Le témoin est une figure de l’horreur aussi importante que le monstre : il est celui qui assiste aux événements, comme le lecteur/spectateur, mais aussi celui qui perpétue la peur par son témoignage, comme le narrateur. Outlast s’empare de ce personnage et le relie au renouveau indé du survival horror par le First Person Avoider et son paradoxe intrinsèque : un jeu qui prive le joueur de son pouvoir d’action.


Mettre la main dans l’engrenage


Le joueur incarne Miles Upshur, un journaliste qui, après avoir reçu une lettre anonyme, s’introduit dans l’asile de Mount Massive armé de sa seule caméra en quête de scoop. Autant dire que ni le personnage ni le joueur ne sont pris au dépourvu. Le jeu multiplie les avertissements intra et
extradiégétiques, bien conscient qu’ils ne sont qu’autant d’invitations à la curiosité. C’est ce désir
de voir qui pousse le joueur et le personnage à insister alors que l’horreur se refuse d’abord à lui. La porte d’entrée est fermée, il faut passer par une brèche menant à l’arrière du bâtiment, la porte de service ne s’ouvre pas davantage, il faut escalader des échafaudages pour s’introduire par une fenêtre ouverte. Même à l’intérieur, l’horreur se dérobe et ne laisse apparaitre que ses traces : désordre, tâches de sang, silhouette furtive puis les cadavres … lorsque le monstre apparait, c’est
pour nous projeter à travers une vitre. On a découvert ce qu’on était venu chercher et on ne peut déjà plus s’échapper. « L’étrange est une tentation : face à sa menace, le courage consiste dans la fuite et la lâcheté dans l’affrontement » écrivait Louis Vax dans La séduction de l’Étrange. Maintenant que nous avons cédé, nous sommes enlisés et cette première projection du corps virtuel dans le hall en contrebas préfigure la suite de la progression.


Le regard comme seule puissance


Ce n’est pas tant le joueur qui explore l’asile que l’asile qui joue avec lui. L’espace avant tout vertical et organisé autour de l’ascenseur est dominé par le motif de la chute. On est jeté dans le vide, on se laisse tomber à travers des failles obscures, le sol se dérobe sous nos pieds … On ne remonte que pour mieux s’enfoncer, comme pris dans des sables mouvants. Le jeu module ainsi le chronotope du château, défini par Bakhtine comme une matrice verticale pour l’exploration du passé et l’introspection (on enquête dans un asile) afin que cette recherche se confonde avec une perte : l’horreur se joue de celui qui espère la capturer par son regard (ou mieux, par l’objectif de sa caméra) et le piège dans sa propre toile.


Plus que tout le jeu aime nous montrer ostensiblement l’issu toute proche mais encore inaccessible : une porte de sortie verrouillée, un ascenseur désactivé, le parc de l’asile de l’autre côté d’une grille … Les efforts du joueur pour se libérer sont systématiquement anéantis par une cut-scene le privant de sa puissance d’action et lefaisant sombrer plus profondément. Son seul véritable rôle est d’observer.


En effet, la narration d’ Outlast se développe non seulement par la compilation de documents éparpillés mais aussi par le fait d’enregistrer son périple grâce à sa caméra : les événements marquants filmés par le joueur se transforment en notes qui, peu à peu, forment le récit du jeu. De plus, c’est par la caméra et son système de vision nocturne que le joueur peut observer malgré l’obscurité qui aveugle ses ennemis et voir le Walrider, l’esprit invisible qui est la véritable cause de l’horreur. La perdre est donc plus handicapant que de se faire trancher les doigts … (il ne s’agit pas d’une métaphore).


La victime comme guide


Voir, enregistrer et raconter, voilà donc ce qui est attendu de nous, en particulier de la part du père Martin, chef spirituel des internés qui balise notre périple à travers le jeu. En tant que guide, il dépasse la distinction opposant/adjuvant, bloque nos issus et nous mène au coeur de l’horreur, vers l’esprit meurtrier. N’étant, comme les autres internés, qu’une victime de l’organisation de l’asile et de son produit, le Walrider, son unique but est de faire du journaliste le témoin de son calvaire.


Ce statut est lié à celui de tous les autres internés. Étant à la fois bourreaux et victimes, on ne sait
jamais lesquels sont inoffensifs et lesquels vont se montrer agressifs. Chaque rencontre est donc
marquée par l’incertitude et l’altérité : il y a entre le journaliste et les victimes un fossé qui se réduit à
mesure que lui-même souffre et comprend ce qui s’est passé entre ces murs. C’est que le père Martin est aussi une figure de baptiste qui fait entrer le personnage dans la communauté des pensionnaires de l’asile afin d’en ramener témoignage. A mesure qu’il progresse, le joueur rencontre des internés qui s’humanisent en racontant leur histoire et s’habitue petit à petit aux indices révélant
l’hostilité des fous dangereux. On ne témoigne pas impunément de l’horreur : comme Méduse, sa nature contamine quiconque tente de croiser son regard.


La contamination de l’observateur


Le journaliste se laisse peu à peu gagner par la folie et la violence qui l’environnent. Les abominations dont il est témoin l’amènent à douter de sa santé mentale et les tortures qu’il endure le poussent à la vengeance et au meurtre, même si ce dernier est accidentel.


Au terme de son parcours, alors qu’il touche enfin à la vérité, il n’est déjà plus observateur. Mutilé, a demi-fou (l’écran de caméra fissuré matérialisant son regard « brisé »), il fait partie de l’horreur de Mount Massive et sait que, s’il veut y mettre fin, il n’en réchappera pas non plus. Comme l’explique Roger Bozzetto (L’indicible et son portrait), l’observation directe du monstrueux est destructrice, seul un récit, une trace indirecte défiant la raison, peut subsister.


Dans son dernier acte contre l’asile, le journaliste devient ainsi l’hôte du Walrider : en abandonnant son rôle d’observateur pour devenir acteur de l’horreur, il signe son arrêt de mort et sa défaite. L’asile ne le laissera pas s’échapper et personne ne recevra son témoignage. Le voilà martyr (du grec mártus : « témoin »).

blackjack21
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le 31 oct. 2016

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