Tout commençait assez bien : un RPG hardcore fait par des fans, pour des fans. Tout était là pour plaire à l'amateur de jeu de rôle en goguette, tout était là pour draguer le barbu nostalgique de Morrowind, l'adepte de la galère en slip et des nuits noires éclairées à la torche. Issu d'un financement participatif et parrainé par la bienveillante main de Deep Silver (qui édite le jeu en boîte et nous offre une VF intégrale de bonne facture), Outward partait bien dans la vie. C'est donc avec le plus grand entrain que l'aventure a démarré. Mais qu'est-ce qu'Outward ? Rien de moins qu'une sorte de mélange entre le jeu de survie, Dark Souls, les premiers Elder Scrolls et les RPG allemands. A cet instant, un détail est censé vous faire tiquer : une recette reprenant les ingrédients des jeux les plus plébiscités par les hardcore gamers, cuisinée par des fans ? C'est un peu comme si, après avoir dîné chez Paul Bocuse, on se mettait en tête de préparer une mousse de truites alors que jusqu'ici on ne s'était fait que du riz (basmati peut-être, mais quand même). Je ne vais pas dire que je n'ai pas vu venir l'accident industriel, une part de moi était même méfiante dès le début, quand Outward a fini par sortir en loucedé sans aucun article de la presse spécialisée... mais j'y ai cru, vraiment, à la lecture des premiers retours joueurs.


J'aime les RPG hardcore. L'an dernier, c'est Elex qui a englouti mon temps libre et une partie de ma dignité, quand tout le monde me demandait pourquoi je jouais à un jeu aussi pourri et que je n'arrêtais pas de répéter "vous n'y connaissez rien, il y a des types en pagne qui se battent contre des robots en prenant de la drogue". Outward part d'un principe très similaire : le joueur y commence à poil, incapable de rivaliser avec plus d'un ennemi à la fois, il fait ce qu'il peut pour décoder l'état du monde qui l'entoure et calculer ses opportunités de s'y faire une place. En général, galérer au début d'un RPG est très bon signe, car cela tend à prouver que les développeurs ont réfléchi à la notion de progression et attendent du joueur qu'il s'astreigne à une certaine discipline. Et d'une certaine façon, il est souvent question de discipline dans Outward. Il faut contenir son énervement, son impatience, sa frustration. Ca commence très tôt, quand on fait les frais pour la première fois de ce système de progression définitif, qui interdit de charger sa partie ou de la reprendre à un état antérieur. Il n'y a pas de sauvegarde : la partie est en fait constamment sauvegardée, un peu à la façon d'un univers persistant. Cela signifie que chaque choix est définitif, que chaque combat engagé devra se solder par une victoire, que chaque randonnée commencée devra être terminée. Il faut un peu de temps pour prendre la mesure de la contrainte de ce système, qui se transformera, au fil de la progression, en véritable générateur de haine, et vous fera très probablement lâcher votre partie.


Car ce choix étrange pour un RPG est à l'image de tout le jeu. Outward commet une liste d'erreurs longue comme le bras dont il semble s'enorgueillir, un peu comme quand votre chat dépose un oiseau crevé à vos pieds en pensant vous faire un beau cadeau. Les développeurs ont volontairement concentré les contraintes pour produire une sorte de nectar de RPG hardcore, sans se préoccuper des conséquences d'un tel choix sur le plaisir de jeu effectif. Même les RPG de Piranha Bytes, pourtant réputés austères, n'ont jamais osé aller aussi loin dans les "handicaps" infligés au joueur... Il y a donc ce système de progression permanent, il y a la dimension survie qui vous oblige à gérer froid, chaleur, faim, soif, santé et fatigue, le côté périssable des aliments, la carte sans marqueurs de quête ni position du joueur, le journal de quêtes avare en indications, le poids de votre sac à dos qui empêche quasiment toute forme de loot. Jusqu'au poids même de vos propres pièces d'argent, qui, si vous êtes trop riche, vous immobiliseront sur place. Sur le papier, c'est attirant. Mais en pratique, le mariage est franchement raté et, associé à pas mal d'approximations en tous genres, n'invite pas à persévérer.


Derrière sa volonté de draguer le joueur de RPG expérimenté, Outward est en réalité une usine à idées pourries, un condensé de tout ce qui rend la production PC indé de ces dernières années fade et sans fondement. Les mécaniques de survie à la con, la course à ce réalisme anti-ludique (la gestion du poids du sac à dos qu'il faut déposer à terre pendant les combats : pourquoi ??) renvoient vers l'exact opposé de ce que les meilleurs RPG hardcore réussissent à être : des invitations à progresser, à se dépasser malgré les obstacles. Outward, lui, n'a à proposer qu'une morne litanie d'expéditions maladroites d'où l'on revient malade, faible et dépouillé, sans avoir progressé d'un iota. Si encore le jeu savait mettre un terme à cette souffrance, offrir au joueur un minimum de contrepartie, je ne dis pas. Mais tout est chiant. Alors, quand la mort finit par survenir, même avec l'espèce de résurrection scénarisée qui l'accompagne (vous êtes fait prisonnier dans un camp de brigands sans votre équipement ; vous vous réveillez dans la pampa avec des tas de maladies ; on vous vole vos affaires avant de vous ramener, etc, etc), vous n'avez qu'une seule envie, rage-quitter Outward et ne jamais y revenir.


Je me suis forcé, pourtant. J'ai enfilé une poignée de "morts scénarisées", chopé quelques maladies, dormi à la belle étoile en espérant ne pas me faire défoncer pendant mon sommeil. J'ai même réussi à accomplir une poignée de quêtes et à découvrir une nouvelle zone. Je ne vais pas mentir, je n'ai pas dépassé une dizaine d'heures de jeu, ce qui n'est normalement pas tolérable pour se faire une bonne idée d'un RPG (si j'avais arrêté Elex à ce même moment, j'aurais raté un chef-d'oeuvre), mais Outward ne fait à ce point aucun effort que je ne peux pas envisager d'y gaspiller plus de mon temps. Si encore le jeu fournissait une carotte, un petit quelque chose, la plus minuscule motivation à progresser ! S'il proposait de jolis graphismes, une scénarisation intéressante, si son système réussissait à faire miroiter l'ombre d'une évolution de personnage. Las, la seule perspective d'évolution dans Outward est celle de marcher dans des décors laids, incroyablement vides (à tel point que j'ai cru à une version en développement au début), à la poursuite d'objectifs incompréhensibles, le tout dans un univers au lore faiblard et habité par des personnages transparents dont la plupart n'ont même pas de nom. D'un point de vue artistique, le jeu n'est pas seulement quelconque, il est carrément moche. Le monde n'a ni caractère ni cohérence, et se compose essentiellement de grandes plaines sans rien à faire ni à explorer (précisément façon MMO) plantées de quelques camps de bandits ou donjons particulièrement disgracieux. Je crois que je n'ai jamais, de mémoire de joueur, arpenté des paysages aussi désespérément mornes. En plus, la nature est déjà moche, mais les constructions sont encore pires, et chaque ville ou repaire m'a donné envie d'en sortir immédiatement sans même l'explorer. Le look des zones urbaines n'a aucun sens, pas plus que celui des personnages ou des ennemis, et le tout donne l'impression de jouer alternativement à un mod RPG pour Counter-Strike ou à un J-RPG de troisième zone de la génération PS2.


En termes de scénario, je n'ai sans doute pas assez joué pour bien comprendre, mais rien ne dit, compte tenu de la médiocrité du world building, qu'on soit face à un chef-d'oeuvre à ce niveau-là. Le jeu privilégie clairement un lore réduit à sa plus simple expression, et des dialogues qui vont droit à l'essentiel, à la façon des Gothic ou Risen. C'est une très bonne chose sur le papier, mais la rareté des quêtes disponibles et l'aridité du monde ne permet pas à ce parti-pris de réellement s'épanouir. Hors des villes, on comprend vite que tout le monde est à taper ; dans les villes, que la plupart des personnages ne peuvent même pas être activés, et ne sont là que pour donner l'illusion (ratée) d'un univers pas trop mort. De manière générale, Outward est de toute façon un jeu tourné vers le gameplay plutôt que vers l'histoire, donc à la rigueur, l'effacement de la narration peut ne pas être vu comme un défaut, notamment si on prend en compte le fait que le jeu est jouable en coopération avec un autre joueur humain... par contre, le mélange affreux que celle-ci forme avec l'apparence du monde et la sévérité du gameplay donne, lui, l'impression de jouer à un produit amateur. Pour reprendre la métaphore culinaire, un plat peut être cuisiné avec les meilleurs ingrédients du monde, s'ils sont mal dosés et cuits n'importe comment, la meilleure mousse de truite ressemblera à un pavé de morue brûlé. C'est ce que nous servent, tout contents, les développeurs d'Outward : un plat indigeste, raté, une sorte de Feed® enrichi à tout ce qu'adorent les hardcore gamers, qui, en bouche, donne pourtant envie d'être recraché. On peut comprendre pourquoi le jeu trouve un écho positif chez une catégorie de joueurs adeptes de la difficulté... par contre, que le jeu se retrouve mieux coté que ses copains allemands dont il s'inspire ouvertement tout en leur restant très largement inférieur est une énigme. On oublie trop souvent de dire qu'un jeu difficile n'est pas nécessairement bon : même si cette success story de financement participatif a indéniablement quelque chose de touchant, je remercie les développeurs d'Outward pour cette altruiste piqûre de rappel.

boulingrin87
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le 28 avr. 2019

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Seb C.

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