Papers, Please est une merveille. Ce jeu nous fait vivre le quotidien d'un fonctionnaire des douanes dans un état d'inspiration soviétique, pour nous proposer une expérience dont le ton manie aussi bien l'humour que la tragédie.
Les immigrants dont on doit valider ou non l'entrée nous apparaissent à travers le filtre stylisé des graphismes pixellisés du jeu, mais leur humanité nous saute aux yeux au travers de leur diversité et de leur médiocrité, loin d'un casting télégénique : des vieux, des jeunes, des rondelets, des maigrichons, au crâne dégarni, avec un gros nez, des lunettes douteuses ou une moustache improbable, chacun a une personnalité et un vécu, étoffé par ses papiers d'identité et les quelques mots échangés au guichet.
Certains d'entre eux implorent notre aide, pour rejoindre leur famille ou fuir des criminels, mais notre inclination morale à leur venir en aide est mise à l'épreuve des logiques de rendement et de complexité administrative. Les règles s'accumulent jusqu'à l'absurde, demandant de plus en plus de temps pour traiter chaque demande, tandis que la paie, liée au rendement, nous incite à aller toujours plus vite, quitte à commettre des erreurs punies pécuniairement. On se retrouve donc presque à notre insu à mettre en place une organisation scientifique du travail, décomposant et optimisant chaque action selon une procédure nécessairement expéditive qui, ce faisant, nous amène à déshumaniser les personnes qui défilent devant nous.
On s'aperçoit vite combien il est facile de relativiser et de rentrer dans un état agentique, ou l'on se défausse de toute responsabilité.
Le jeu n'oublie pas pour autant de nous faire rire, parfois jaune, entre les journaux de propagande et les apparitions récurrentes d'un faussaire du dimanche.
C'est un jeu très humain, dans ce que cela a de meilleur comme de pire : afficher le dessin de son enfant au bureau malgré les réprimandes, et en même temps rationaliser l'incarcération systématique des contrevenants pour arrondir ses fins de mois. C'est aussi un jeu des 7 erreurs étrangement prenant et très accessible, qui redéfinit les expériences qu'un jeu peut offrir avec un simple écran.