Voilà maintenant 11 ans que je joue à Pokémon, et la première cartouche que j'ai eue entre les mains, c'était... ? Roulement de tambour, suspense, climax et deus ex machina : c'était une version jaune.
Avec du recul, je remercie mon moi enfantin de la période 1999 pour une chose : l'armada de merchandising qui tournait autour des 151 monstres (et à cette glorieuse époque, on pouvait encore dire qu'ils étaient peu nombreux et correctement dessinés), vague mélange post-pogs de "épate tes potes dans la cours de récré" et de "attrape-les tous, ça nous fera plus d'argent", ne m'aurait déjà plus impressionné si j'avais eu trois ou quatre années de plus. J'aurais sans doute aucun eu le recul nécessaire pour considérer Pokémon comme une infatigable matrice à kopeks et peut-être ne serais-je jamais tombé dans le piège à l'issue duquel mes parents, vaincus, se sont précipités dans le premier magasin de jeux vidéo pour m'acheter le Saint Graal qui allait m'ouvrir les portes du cercle fermé des enfants "in" de la cour de récré. Le fait est qu'à l'époque, j'avais huit ans et savais me montrer suffisamment convaincant - entendre par-là casse-burnes - pour pouvoir obtenir dans un délai raisonnable ce que j'attendais de mes braves géniteurs (sauvée soit leur âme).
Exercice fort périlleux que de publier, en 2010, une critique exhaustive d'un jeu dont les 16 couleurs, la sauvegarde erratique (les cartouches GameBoy disposaient d'une batterie pour les sauvegardes qui se décharge à la longue, rendant les sauvegardes impossibles à faire au fil des années) et le format préhistorique feraient certainement hurler de rire les petits pourris technologiques qui constituent mon après-génération. Cette génération lorgne sur la 3DS, nous nous contentions de la GameBoy Color à l'époque. Aussi serai-je bref et impitoyable.
Impitoyablement élogieux, plutôt, car à l'époque, un jeu Pokémon savait se faire apprécier pour ce qu'il représentait, en-dehors de toute considération marketing et de tout regard critique sur les produits dérivés de mauvaise qualité : les jeux sentaient bon la compétition et la difficulté. Qu'il s'agisse d'humilier le Conseil des Quatre, de monter un Draco au niveau 55 pour le faire évoluer ou tout simplement de passer vingt minutes à faire marcher un câble Link pour pouvoir enfin échanger un Pokémon avec le voisin de palier, l'immense somme de patience et d'intelligence requise, en dépit des parents qui considéraient Pokémon comme un fléau japonais abrutissant les jeunes masses (il faudra que je pense à leur présenter Christine Albanel, ils pourraient bien s'entendre), aura sans aucun doute possible apporté beaucoup à nos sociétés modernes.
Pourquoi donc ? A chaque question, sa réponse idoine : Pokémon nous apprenait encore la persévérance. J'imagine aisément que le choix d'une équipe de Pokémon aura permis de conditionner des milliers de jeunes pousses à apprendre à équilibrer forces et faiblesses dans leur vie courante, à déléguer efficacement, à distribuer plus tard, dans leur vie active, le travail à qui saura le réaliser le mieux.
Les défaites encaissées face à un Rival arrogant leur aura permis de persévérer face à l'échec jusqu'à la victoire finale (celle où votre rival finit en pleurs et sermonné par un grand-père doctorant en Pokésciences).
La quantité de dialogues présents dans le jeu, probablement davantage que dans le GTA ou le Street Fighter lambda du moins, aura inconsciemment forcé une frange de la jeunesse à ingurgiter une pléthore de mots correctement orthographiés. Ce n'est pas un hasard si les joueurs Pokémon de longue date que j'ai rencontrés sont plus intelligents que la moyenne, ni si ces derniers ne sont généralement pas les premiers fans de Secret Story. Un grand physicien l'a dit : "tout est relatif" - entendre par là, tout est lié.
Puisque nous en sommes aux fameux dialogues, rendons à Giovanni ce qui est à Giovanni : ces derniers étaient encore joliment relevés, dans le temps. Les responsables des scripts employaient le verlan et les "minable" à tour de bras. Les expression argotiques abondaient dans tout échange un chouia rude. Au détriment, et c'est heureux, de la paix de pacotille qui nous est servie depuis des années dans les jeux Pokémon les plus récents.
Pokémon Jaune était l'aboutissement du succès de Pokémon Rouge et Bleu, et en tant que tel, il symbolisait la quintessence de la perfection scénaristique d'il y a dix ans. Le jeu était terriblement long - on avait 8 ans, messieurs-dames - et, comble du paradoxe, indécemment complexe pour un univers à tendance kawaii où la souris jaune flashy à queue accidentée côtoyait la tortue sauce Schtroumpf aux yeux épileptiques. Nous étions si beaux, à converser entre nous dans un langage que nos parents auraient aussi facilement compris que du morse ou du volapük ! Il fallait nous entendre, nous, future élite nationale que les ancêtres prenaient pour un amassis de futurs débiles : "Je t'échange mon Dracolosse contre ton Mewtwo attrapé avec la Master Ball, j'ai oublié de sauvegarder devant le mien dans la Grotte Inconnue". Waouh.
Pokémon Jaune symbolise ainsi le jeu qui nous aura apporté distraction à l'instant présent et connaissance sur le long terme.
Pokémon Jaune nous aura permis d'apprendre à jouer sous la couette pour contourner l'interdiction parentale, facilitant ensuite notre émancipation intellectuelle et morale.
Et, enfin, Pokémon Jaune restera le patrimoine humanitaire d'une jeunesse qui barbotait dans l'essor technologique du jeu vidéo.
Pokémon Jaune, si c'était une femme, je serais déjà sorti avec elle. Et, ma modestie dût-elle en souffrir, mes goûts grandiloquents en matière de femme ne se contentent pas de la moyenne nationale !