Alors je sais, j’ai peut-être une facheuse tendance à insister là-dessus dès que je parle de jeu-vidéo mais moi je suis un indécrottable ludologue.
Vous ne savez pas ce qu’est un ludologue ?
Eh bien sachez que c’est quelqu’un qui place avant tout son intérêt dans les mécaniques de jeu plutôt que dans l’histoire racontée et l’univers développé.
Or, là, avec ce « Portal », je crois bien que j’ai mon maître-étalon.
Ce titre c’est l’incarnation la plus pure de ce qui constitue ma came vidéoludique.
Ce n’est pas compliqué, quand j’ai vu pour la première fois des trailers de ce jeu en 2007 j’étais fou. (Et pour ceux qui auraient besoin de se remettre dans le contexte, en 2007 la PS3 venait à peine de sortir et les gens passaient l’essentiel de leur temps à faire du bowling sur leur Wii.) Cette idée de double-portails qu’on peut tirer un peu où on veut pour passer en un pas d’un bout à l’autre d’une pièce, ça me rendait gaga.
Et ça me rendait gaga parce que j’imaginais tout ce que ça devait impliquer en termes de nouvelles réflexions par rapport à l’espace, en termes d’énigmes, en termes de possibilités…
Ça, c’était un vrai NOUVEAU jeu !
Pas une énième redite de « Mario 64 » de « Zelda » ou de « Half-Life » avec des skins et des histoires différentes hein ! Non. Bien de la vraie nouveauté…
Et là où « Portal » est merveilleux, c’est qu’une fois manette en main, on se rend vraiment compte que tout ce titre est centré sur l’expérience de jeu et rien que sur l’expérience de jeu.
J’admire notamment que les gars de chez Valve ait su se faire synthétique, dans l’épuration, sans jamais chercher à diluer la sauce.
Ils avaient une petite vingtaine d’idées de puzzle qui tiraient pleinement parti de leur mécanique de jeu et ils ont décidé de nous les enchainer de manière brute, condensée, pour une partie qui – en tout et pout tout – se finit au bout d’une bonne demi-douzaine d’heures (un peu moins pour les plus malins d’entre nous.)
Alors certes, c’est peu. (Et je peux vous dire qu’en 2007, la culture indé du jeu court, elle n’existait pas encore.)
Alors certes aussi, ce n’était pas forcément un choix de Valve non plus puisqu’à la base « Portal » était simplement un galop d’essai pour l’un de leurs nouveaux studios, « DigiPen », qui entendait roder là un vieux concept déjà expériementé lors d’un précédent soft très minimaliste (et assez pourri) intitulé « Narbacular Drop ».
Seulement voilà, moi quand j’ai découvert ce « Portal » en 2010, puis quand je l’ai redécouvert à chaque nouvelle partie (ma dernière date de 2020), ce fut le bonheur intégral parce qu’ici, le cœur du jeu… eh bah c’est le jeu.
Et franchement, on aura beau me dire que c’est court, il n’empêche que c’est sacrément riche. Si les premières salles sont assez faciles, le temps qu’on prenne nos marques avec les dynamiques propres à cet univers, sur la deuxième moitié on se retrouve avec des salles particulièrement retors, nous poussant vraiment à réfléchir selon TOUTES les mécaniques physiques possibles induites par cet environnement ludique.
Je ne vais pas passer ces mécaniques en revue – ceux qui connaissent savent de quoi je parle et je ne veux pas spoiler les autres – mais très régulièrement, je me suis retrouvé à faire des « Waaaaaah mais putain en fait ce que je viens de tenter ça marche ! Mais qu’est-ce que c’est malin ! »
Se le refaire n’est jamais long mais l’effet est toujours aussi efficace me concernant.
Donc déjà, rien qu’avec ça, moi j’étais déjà acquis pleinement à la cause.
Mais il a fallu qu’en plus de ça, « Valve » nous fasse une petite leçon de narration avec ce jeu.
Parce e l’air de rien, quand bien même ce « Portal » est-il un paradis pensé pour les ludologues, ce jeu arrive aussi malgré tout à proposer un univers, une histoire, une atmosphère.
Et ce qui est génial, c’est qu’un petit peu comme un jeu Nintendo, on sent bien que les gars de chez Valve ont construit tout leur univers EN PARTANT de leur jeu.
Parce que « Portal » devait être une expérimentation offerte au joueur d’une mécanique de jeu totalement nouvelle, il fallait que l’espace de jeu soit clair, épuré, facilement lisible. Il fallait que les enjeux et l’architecture soient évidents pour éviter d’égarer l’esprit et l’analyse du joueur face à des mécaniques aussi innovantes. Alors à « Valve » on a assumé le truc. On s’est dit qu’au fond, le meilleur moyen de justifier tout ça, c’était encore d’intégrer le joueur dans une histoire d’expérience, où l’objet à expérimenter serait le fusil à portails et où le cobaye serait le joueur lui-même.
(Un choix qui est effectivement bien plus pertinent que le truc à base d’univers de fantasy et de petite fée qui avait été choisi dans « Narbacular Drop ».)
Et l’avantage de ce « Portal » c’est que, puisqu’il était davantage pensé comme une démo, les développeurs se sont permis d’aller au plus direct ; de ne pas en faire trop. Ainsi tout le contexte est-il posé en moins d’une minute. On se réveille dans une sorte de cellule de verre. Une voix nous explique qu’on est un sujet de test. Elle annonce l’ouverture d’un portail. Et quand le portail s’ouvre pour nous faire sortir de notre cellule, on voit à travers le portail notre avatar en train de sortir de sa cellule. Rien qu’avec cette idée là, on nous explique plein de choses, on nous fait nous poser plein de questions, on nous interpelle…
VOILA comment on raconte une histoire dans un jeu vidéo ! Pas besoin de dialogues et de cutscenes importés du cinéma ! Dans un jeu vidéo on raconte avec les lieux ! On raconte avec les mécaniques de jeu et surtout on laisse le joueur construire l’histoire !
Personnellement je trouve ça même fascinant de voir comment le jeu vidéo peut soudainement se montrer un espace de pure création sitôt on part du jeu plutôt que de tout autre chose !
« Portal » a un univers, un ton, une originalité, une marque… Et pourtant il n’aurait pas pu exister dans un autre média. Un film « Portal » ou un roman « Portal » n’aurait pas pu raconter la même chose avec la même efficacité.
Je considère même que tout le ton décalé adopté par GLaDOS et les autres petites I.A. croisées au cours de la partie découlent directement et logiquement de cet environnement qu’on a simplifié à l’extrême pour satisfaire les exigences du jeu.
Parce qu’au fond, dans ce cadre expérimental de « Portal », le fait que le concepteur joue avec le joueur est assez flagrant. Dès lors le mépris coule de source. Et vu que dans la diégèse du jeu, certaines épreuves peuvent carrément conduire jusqu’à la mort du cobaye testé, il était pratiquement évident de penser l’expérimentateur présent dans l’histoire du jeu comme étant inhumain, voire même carrément en n’étant pas humain du tout.
Et voilà comment « Portal » nous gratifie de GLaDOS qui reste pour moi – encore aujourd’hui – l’un des personnages les plus intéressants et les mieux écrits du monde du jeu vidéo.
Tout ça pour dire que « Portal » pour moi, ce fut vraiment une claque.
Pire que ça, « Portal », pour moi, encore aujourd’hui, c’est toujours une claque.
Et même si entre temps est sorti un « Portal 2 » qui – dans les faits – est davantage une déclinaison plus développée qu’une véritable suite, il n’empêche qu’au final je me rends compte que je préfère malgré tout cet épisode-là.
Je le préfère parce qu’il est celui qui a ouvert la voie ; qui a tout posé ; qui m’a refilé la première gifle.
Mais je le préfère aussi parce qu’au fond il a ce sens de l’épure que moi j’adore. Cette idée de faire les choses avec densité, sans fioriture, de manière concentrée.
En fait, je préfère « Portal » premier du nom parce que lui, contrairement à sa suite, c’est de la pure.
Et franchement, si on prend la peine de regarder les choses avec un peu plus d’angle, on se rendra vite compte qu’en fait, cet épisode, c’est juste de la pure à l’échelle de tout le jeu vidéo.
Et moi, la pure, c’est ce que je préfère…