Abordons directement l'éléphant dans la pièce : le problème principal de Read Dead Redemption II est sa durée de vie. Ici, je ne parle pas du fait qu'il y a beaucoup de choses à faire, je parle du fait que même en se concentrant sur les missions principales, le jeu semble interminable. Pour vous donner une idée, d'après les succès Steam, seulement environ 20 % des joueurs ont terminé l'épilogue, c'est-à-dire terminer toutes les quêtes principales du jeu.
Le mois dernier, j'ai joué à Ghost of Tsushima, qui de façon similaire me semblait tirer en longueur avec tout un tas de contenu ajouté pour allonger la durée de vie de façon superficielle. Sauf que dans Ghost of Tsushima, on peut au final ne se concentrer que sur la quête principale, et alors le jeu n'est pas aussi long que ça. Dans RDR2, même en se concentrant sur l'intrigue principale, la fin semble ne jamais arriver.
Ce problème a deux conséquences. D'abord du point de vue du gameplay, on se retrouve à souvent faire la même chose, c'est-à-dire se cacher derrière une caisse ou un rocher et dégommer les ennemis avec des armes qui ont plus ou moins le même feeling. Quand ça fait 40h qu'on tue des bots, ça devient un peu toujours la même chose.
Le second problème, plus important encore à mon sens, c'est que l'histoire semble s'étirer en longueur et devenir assez répétitive :
Le coup du "On arrive dans un nouveau camp, on se la joue profil bas, sauf qu'au final on se fait repérer et on doit partir se cacher ailleurs", ça a lieu au moins trois fois dans le jeu. De même que toute la seconde partie de l'histoire après le braquage raté de Saint-Denis (qui aurait dû être plus ou moins la fin du jeu pour avoir une durée de vie correcte sans tirer en longueur) se résume à Dutch qui prétend avoir un plan, Arthur qui remet en question ledit plan, Dutch qui se plaint qu'Arthur n'a plus confiance et manque de loyauté, le plan est mis à exécution avec un résultat douteux, et on recommence à l'étape 1. Même certains dialogues lorsqu'Arthur essaie de faire sa rédemption sont répétés quatre ou cinq fois : Arthur fait une bonne action, quelqu'un lui dit qu'il est un homme bon, il répond qu'il est loin d'être une personne morale.
À mon avis, la construction de l'histoire a un problème. Je ne sais pas vraiment pourquoi ils ont voulu faire cette redite entre Valentine et Rhodes, qui me semblent deux passages très répétitifs.
Certaines intrigues semblent également assez incomplètes.
Par exemple avec Mary, on a deux missions avec elle, puis d'un coup on reçoit une lettre pour nous dire qu'elle coupe les ponts définitivement. Ça m'a vraiment donné l'impression qu'il manquait quelque chose, comme s'ils avaient prévu plus mais qu'ils avaient dû raccourcir cette intrigue.
Mais ce qui me chiffonne vraiment, c'est la logique de l'histoire, ou sa morale. Désolé je dois encore mettre du texte en spoiler.
Donc on a un gars qui a été un brigand plus ou moins toute sa vie, qui a tué tout un tas de gens, puis qui veut faire sa rédemption en voyant la fin arriver. Et c'est quoi sa rédemption ? Donner 30 $ à une veuve, 50 $ à une autre, puis dans le même temps faire péter un pont et continuer à tuer des gardes qui n'ont rien demandé pour voler de l'argent ? Désolé mais ça n'a aucun sens. Tout le discours du "vous êtes un homme bon" tombe complètement à plat quand en parallèle il continue à agir comme un criminel. D'un côté il s'excuse auprès des veuves et des orphelins, mais de l'autre il continue à tuer des hommes qui ont eux-mêmes des femmes et des enfants, donc il crée de nouveau des veuves et des orphelins ? Ça n'est pas possible cette logique si bête.
J'ai vu des gens dire qu'il n'essaie pas d'être un homme bon, mais simplement un homme bon parmi les méchants. Je ne veux pas faire le rabat-joie, mais la meilleure des raclures reste une raclure.
Le jeu force trop sur ce côté sentimental du bon Arthur qui veut faire le bien. S'il avait voulu se racheter, ce qu'il aurait réellement dû faire, c'est se rendre au shériff du coin et dénoncer tous ses potes criminels. Certes, c'est moins glamour que l'histoire qu'on nous sert, mais ça serait une vraie rédemption.
Et ce manque de logique se retrouve jusque dans le gameplay, avec ce système d'honneur/de morale qui me semble absurde. D'un côté on gagne des points de morale quand on fait une bonne action dans le monde ouvert, mais de l'autre on tue littéralement des innocents durant les missions sans subir de conséquences. C'est quoi l'idée, être un gentil criminel ? Toute cette mécanique m'a semblé très superficielle, comme s'il y avait une contradiction fondamentale entre le personnage qu'on contrôle et le personnage de l'histoire. Alors si on tue un innocent dans le monde ouvert, on perd un point de morale parce que tuer c'est pas bien, par contre tuer des innocents pendant les missions c'est ok parce que... c'est pendant la mission donc les règles universelles de morale ne s'appliquent plus ? Sans parler du fait que parfois on se retrouve à perdre des points d'honneur parce que notre cheval incontrôlable à foncé dans quelqu'un, qu'on n'a pas empêché un voleur de voler un innocent dans la rue (je suis pas la police hein, c'est pas mon taff, pourquoi ça impact mon honneur) ou qu'on n'a pas sauvé une personne kidnappée. Surtout que parfois, quand on se défend contre des personnes qui nous tirent dessus alors qu'on n'a rien fait, on perd de l'honneur, alors comment savoir si je ne vais pas aussi perdre de l'honneur en m'en prenant à tel ou tel individu agressif?
Il y a même une fois, en approchant d'une mission, une personne s'est faite kidnappée, sauf que notre personnage marche au ralenti quand on est proche d'un point de mission. Résultat, le temps que j'atteigne péniblement mon cheval, le kidnappeur était déjà parti bien loin, et le jeu m'a retiré de l'honneur parce que je n'ai pas aidé la victime. Alors que c'est le jeu lui-même qui m'a empêché d'agir...
Un autre point problématique dans la façon dont le jeu est construit, c'est qu'il y a une volonté de constamment micro-gérer les actions du joueur. Dans un jeu normal, quand on vous donne pour mission d'aller tuer tel ou tel mec, on vous dit où il est, un point s'affiche sur la carte, et vous y allez comme vous voulez. Dans RDR2, on vous dit d'aller tuer bidule, puis on vous dit de monter sur votre cheval, puis on vous dit d'aller jusqu'à telle ville, puis on vous dit de laisser votre cheval à tel endroit précis, puis on vous dit d'aller marcher jusqu'à tel bâtiment, puis on vous dit de parler à telle personne pour savoir dans quelle pièce se trouve la cible, puis on vous dit de monter à l'étage, puis on vous dit d'appuyer sur telle touche pour ouvrir la porte. Tout est comme ça, tout le temps. Comme si le jeu prenait la main du joueur pour le guider dans absolument toutes les sous-étapes de chaque événement. J'ai rarement vu un jeu aussi dirigiste, à tel point que quand vous vous déplacez avec d'autres personnages, vous devez constamment faire attention à rester à côté d'eux, sinon la mission peut tout simplement être perdue.
Il y a aussi ce truc bizarre où une même action (ou son contraire) n'aura pas toujours la même touche assignée. Par exemple, il faut appuyer sur X pour ouvrir un coffre, mais Y pour le fermer. Lorsque le coffre est ouvert, X sert à fouiller dedans où à prendre ce qui s'y trouve. Et il y a quelques cas où, sans raison, une action qui était toujours sur la même touche change pour être sur une autre touche. Du coup, là encore, il faut constamment regarder en bas à droite de l'écran pour savoir sur quelle touche appuyer. Le jeu n'a pas ce côté intuitif où le joueur sait après quelques heures de jeu comment naviguer dans l'univers.
Autrement, comme évoqué plus haut, le gameplay est paradoxalement pas mal répétitif. Je dis paradoxal parce que le jeu a ce côté bac à sable où il est possible de faire pas mal de choses, mais dans les faits, lorsqu'on est en mission, ça revient toujours au même. Il n'est pas tellement possible de tirer parti de ce qu'offre le jeu en termes de possibilités.
Pour une raison quelconque, sans doute pour des questions de réalisme, le jeu ralentit parfois les déplacements de notre personnage (comme évoqué plus haut), notamment quand on est dans notre camp. J'ai trouvé ça insupportable. Ça rentre dans cette logique du jeu qui vient s'immiscer entre le joueur et son expérience. Ainsi, on doit se taper 20 secondes de marche au ralenti pour atteindre tel ou tel personnage à qui on souhaite parler. C'est frustrant et pénible, et ça n'ajoute rien d'intéressant au jeu, au contraire.
Tous ces éléments, c'est ce qui fait que le jeu n'est pas un chef d’œuvre, contrairement à ce que je vois souvent dire. Ce qui en soit est dommage, parce que le jeu ne manque pas de qualités.
Il y a forcément le niveau de qualité des jeux Rockstar, avec, malgré tout ce que j'ai dit, une écriture plus satisfaisante que la majorité des jeux actuels, une recherche de mise en scène et de création d'ambiances uniques, la qualité des acteurs et des doublages qui donnent vie aux personnages, la volonté de créer une épopée qui a de l'envergure, une certaine variété dans les missions, etc.
J'ai bien aimé le système de quêtes où on peut discuter avec différents personnages et choisir quelles quêtes faire et dans quel ordre. Le jeu donne l'illusion que chaque personnage mène sa propre vie et n'est pas qu'un simple PNJ dont l'existence tourne simplement autour de nous.
L'univers est riche et presque foisonnant de vie et d'activités. Je ne dirais pas qu'il s'agit d'environnements réalistes, car il y a souvent ce côté où on a l'impression que le monde est mis en scène autour de notre personnage. Mais il y a ce petit plaisir à se promener dans ces grands espaces et à profiter des paysages et de ces graphismes qui fonctionnent encore très bien 6 ans après la sortie du jeu. L'exploration aurait toutefois été plus appréciable si la maniabilité du cheval n'était pas aussi pénible et si le jeu était moins punitif quand on sort des chemins existants.
Les missions secondaires sont également assez sympas, elles sont soit suffisamment bien écrites pour qu'on s'y intéresse, soit suffisamment courtes pour ne pas avoir le temps de s'ennuyer.
J'étais d'abord un peu sceptique en voyant l'épilogue (qui lui-même est plus long que certains jeux complets), je me demandais quel en était l'intérêt. Puis en poursuivant son intrigue, j'en suis venu à comprendre qu'il permet de donner du relief et de la profondeur à toute l'histoire que l'on a suivi pendant cinquante heures. J'ai trouvé que c'était quand même bien intéressant d'avoir cette nouvelle perspective une fois l'histoire principale terminée, et c'est en soit surement l'une des grandes forces du jeu.
Malgré ses nombreux défauts, le jeu offre une grande aventure qui laisse une trace dans l'esprit du joueur. On apprend à connaître des personnages, on se prend au jeu d'en apprécier certains, d'en aimer moins d'autres, on découvre de nombreux lieux, on profite de ces grands environnements et de leurs petits détails. Et au final, on a l'impression d'avoir vécu une petite partie de l'histoire des États-Unis, comme une capsule temporelle à l'échelle de quelques vies qui se retrouvent diluées dans l'immensité du lieu et de cette époque. C'est en ça que Red Dead Redemption II vaut le coup. C'est un jeu qui a une échelle unique et qui s'inscrit dans un contexte et un ensemble plus grand que lui. Il offre une perspective qu'on voit rarement dans le jeu vidéo, liée à l'histoire d'une civilisation, entre le passé qui se meurt et le futur qui émerge, les histoires personnelles et individuelles qui se mêlent à l'évolution du monde et la place de chacun dans un tout qui les dépasse.