Telle est la manière dont je qualifierais – car j'en ai le droit en tant que vétéran du monde de la critique vidéoludique plébiscité avec ardeur par les couches les plus cultivées de la discipline – un titre comme Resident Evil 7 : Les Risques de l'Agriculture Biologique. Son concept revient sainement aux bases d'une série écornée par les tentatives toujours plus malhabiles de Capcom d'en faire un third-person shooter pur. Ce qui aurait pu fonctionner, hein, mais il aurait fallu conserver dans la compagnie des talents du calibre de Shinji Mikami pour s'assurer que l'exercice soit correctement exécuté. L'aspect technique, presque irréprochable, repose sur l'un de ces moteurs modernes où les textures tout le temps floues vous donnent l'impression d'être prisonnier dans un monde incertain mais cependant constamment fluide dont je suis convaincu que William S. Burroughs aurait pu tirer quelque chose. (Je viens, en effet, de faire rimer William S. Burroughs et quelque chose. Ce n'est pas évident, les enfants, et cela explique aussi pourquoi les couches les plus cultivées de la discipline me plébiscitent tandis que d'autres se ravissent d'être cités en masse par... la plèbe.) L'ambiance, concept primordial dans ce type d'exercice, est pesante tout en sachant s'inspirer de manière éhontée de quelques classiques du cinéma d'horreur. Dont, étrangement, l'intégralité de la série Texas Chainsaw Massacre. Oui, même le pire. Vous n'auriez jamais pensé voir un duel de tronçonneuses s'immiscer dans la série qui a inventé le concept du survival-horror ; et pourtant. Paf, c'est là. Encore mieux : le tout fonctionne.
Non, faudra s'y faire - et cela n'en déplaise aux esprits les plus bougons de notre nouvel âge de l'information - le titre est une réussite. Surtout quand on pense au ramassis de talents de troisième ou quatrième niveau qui sont responsables de son éclosion. Pas l'ombre d'un vétéran. Pas le moindre talent confirmé. Nul sensei vénérable susceptible d'apprendre aux jeunes générations les rouages d'une discipline délicate dont les douces déceptions doivent être dûment décidées dans le dojo déviant du désespoir donnant à l'auteur potentiel d'une critique du titre l'occasion d'user d'allitérations commençant par la lettre « D ». Rien. Uniquement des nouveaux-venus formés vite-fait sur les opus récents de la série. Pour faire simple... un mélange des subalternes de Resident Evil 5 et du directeur des Resident Evil : Revelations. (Vous savez, ces titres qui n'en contiennent paradoxalement pas.) Oui, de nos jours, il ne faut pas grand chose sur curriculum vitae pour convaincre Capcom de vous filer les rênes de l'une de leurs rares séries encore rentables. Faut dire, ils n'ont pas vraiment le choix ; hein. La plupart de leurs talents majeurs ont été – et cela de manière presque totalement incompréhensible pour un occidental nourri par une culture d'entreprise capitaliste où l'on récompense le profit – chassés par la structure décisionnelle même de la compagnie. Il semblerait que la vie quotidienne chez Capcom consiste en un combat constant avec vos supérieurs. Chaque décision mise en doute par des patrons incompétents. Chaque idée novatrice annulée malgré les efforts fournis. Une situation Ubuesque qu'aucun créateur normalement constitué n'est prêt à subir. C'est simple : si une start-up vidéoludique japonaise vaut quelque chose et a été formée ces dernières années... elle le fut probablement sur le dos d'un vétéran de chez Capcom. Mikami, encore lui, en est à sa deuxième. Rien que ça. Ce qui explique d'ailleurs la perte de qualité des titres Platinum Games : le type sait s'entourer et a sélectionné certains des meilleurs éléments de cette structure – en gros, l'équipe Vanquish – pour bosser sur The Evil Within. Un jeu très nettement supérieur à Resident Evil 6, d'ailleurs.
Disons que ce septième opus est un retour aux sources. C'est une bonne manière de résumer les choses. Ceci dit... n'imaginez pas qu'il soit ici question d'un jeu vous proposant de faire le tour d'un manoir plus ou moins victorien en incarnant un personnage cubiste se découpant de manière presque obscène sur des décors pré-calculés proposés en 320*240. Nous ne sommes plus dans le passé et ça même si l'on peut constater l'influence des classiques de la série sur ce nouveau titre. Non, de nos jours l'horreur passe par un mélange de vision subjective – si possible avec un angle de vision très restreint, c'est plus claustrophobe – de simulateur de randonnée et même... de FPS. Car c'est bien là le petit miracle dont je vous parlais il y à quelques minutes : des Japonais, tenez-vous bien votre monde va basculer dans la Quatrième Dimension, viennent de réaliser un FPS acceptable. Cela fait des années qu'ils tournent autour de l'artifice. Souvent, sans succès... il suffit de penser à Resident Evil Survivor, Project Breakdown et autres Kileak pour comprendre que le vieil adage voulant que la plupart des joueurs japonais sont pris d'une puissante envie de vomir en jouant à des titres de ce genre n'est pas juste l'une de ces blagues qu'Arino sort quand il a envie d'une pause. L'artifice, pourtant accepté partout dans le monde, leur est vomitif. Et rien que pour ça j'aurais envie de féliciter cette nouvelle génération de japonais qui a travaillé quelques années durant avec un seau entre les genoux pour que je puisse jouer à un nouveau Resident Evil d'une solidité plus qu'acceptable.
Bon, il se trouve que le scénario est malheureusement signé par Richard Pearsey – le fameux plumitif au rabais responsable de la trame volée ailleurs du très très très surestimé Spec Ops : The Line – et tourne donc autour de l'assez générique concept de « il faut sauver ta femme, mec, elle a été kidnappée près d'une colline qui a des yeux par des rednecks qui résident dans la dernière maison sur la gauche, dude, bro, je peux avoir mon chèque, maintenant ? ». On peut dire ce qu'on veut, le type est loin d'être original. C'est à peine s'il semble capable de voler la structure d'une oeuvre couronnée de succès pour en tirer une version susceptible d'être mise en valeur par une équipe de professionnels du domaine vidéoludique. Certes, le jeu se casse la gueule sur sa dernière heure en devenant grosso-modo un couloir peuplé des quatre ennemis que vous avez déjà occis lors des chapitres précédents. Mais, pendant quelques temps, le jeu fonctionne étonnamment bien comme une version subjective de Resident Evil. Et ça, cela me donne une vague forme d'espoir pour le futur de la compagnie Capcom. C'est pas rien. Limite... c'est un petit miracle.