Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
On avait aimé Resident Evil 7 parce qu’il aiguillait la série vers une nouvelle situation, inspirée des « survivals en fuite » (les Amnesia et consors) : sur les trois premières heures, notre personnage était poursuivi par deux croquemitaines dans des niveaux habilement bouclés sur eux-mêmes, dont on ne sortait qu’en trouvant le courage d’affronter leur vision. Rarement le série avait atteint une telle densité en moments flippants, mettant Resident Evil Village (RE 8) dans une position difficile : son équipe devait trouver une idée au moins aussi efficace, ou à défaut réinvestir le schéma de RE7 par des situations aussi fortes pour retrouver son intensité. La barre était peut-être trop haute, ou le studio pas encore regonflé de nouvelles idées, toujours est-il que cette suite nous a distrait autant que déçu sur le plan de l’horreur et du souvenir qu’elle laisse.
Une chose a vite limité notre enthousiasme : ses moments les plus forts reposent encore sur l’idée d’un némésis à nos trousses, repressant un citron qui n’a plus de jus à rendre. On le retrouve au premier chapitre (le château), sur une partie du second (la maison hantée) et du quatrième (l’usine), laissant le temps de constater son manque de fraicheur et de se poser la question du pourquoi d’un tel épisode, qu’aucune nouvelle grande idée ne semble justifier. Qu’est-ce qui peut bien l’avoir motivée sur le plan créatif ? Les plus charitables diront que c’est sa bascule vers un thème « aventure des Carpates » et son ton de « conte fantastique » qui, a défaut d’effrayer, intriguent pendant quelques heures. On a, hélas, trouvé que ce thème et ce ton prenaient rarement, presque uniquement dans les décors intérieurs, magnifiques, que sont le château du début et l’excellente maison hantée du chapitre 2, lesquels occupent un quart des 8 à 10 heures de jeu, le reste se jouant souvent en extérieurs brouillons comme dans le village-titre, un bordel de bicoques en bois impossible à cadrer joliment. La structure en quatre zones, quatre goûts, découd en outre la cohérence d’une aventure qui change autant de rythmes que de climats de jeu (en tout cas plus que dans le 7, qui ne dévissait thématiquement que dans son dernier tiers).
Si cette variété entraine son lot de moments plaisants et bien rythmés, tantôt d’énigmes basée sur la physique, tantôt de fusillades défoulantes contre des vagues de lycanthropes, rien dans le jeu ne témoigne d’une envie créatrice, qui serait celle de nous plonger dans des situations précises ou face à des images marquantes. Hors du chapitre 2, rien ne conjure l’impression d’un jeu dévitalisé, sans principe connecteur ou moteur, dont les idées visuelles n’ont rien de nécessaire.
A l’inverse, RE 7 était propulsé par la puissance de visions tombées des cauchemars de ses designers, relié par un fil cinéphilique : vision du patriarche hirsute armé d’une tronçonneuse, jubilant à nos trousses avec une agressivité phénoménale ; vision de la mère devenue monstre arachnéen, surgissant des plafonds et des murs pour nous attraper. Des images de cette trempe, RE 8 n’en contient qu’une exceptionnelle, au chapitre 2, ses autres climax étant à la fois moins inspirés visuellement, moins intenses, et moins tenus sur la durée. La géante Lady Dimitrescu du chapitre 1 fait bien son petit effet, avec ses grands pas lents et ses pauses angoissantes dans l’encablure des portes, le temps de faire jaillir d’interminables griffes à la Freddy ; mais la séquence qui nous voit l’affronter reste étrangement molle, la faute au principe de chasse, éventé, et à un cheminement éparpillé dont le rythme est cassé par des détours qui font retomber le soufflé de la peur, pas du tout relancée par son combat à proprement parler, sans finesse (la Lady « monstrifiée » devient un gros pâté indiscernable, comme les boss des chapitres 3 et 4). Le reste des situations de RE8 est à l’avenant : qu’il nous arrose de loups-garous ou de super-soldats bioniques vers sa fin, le jeu sait autant distraire à la manière d’un shooter efficace, qu’il peine à installer la moindre émotion forte… à l’exception, redisons-le, de son grand moment qui est aussi l’un des sommets de la série, celui de la maison hantée, qui nous simplement a terrifié.
Comme dans les meilleurs jeux d’horreur, la peur s’y installe lentement, minutieusement, par des impressions de décor qui accentuent la matérialité du lieu et font monter l’angoisse : le parcours commence par de belles pièces en murs blancs et planchers sombres, où le regard accroche sur des bibelots poussiéreux, comme sur autant d’indices d’un dérèglement à venir. Une descente en ascenseur fait changer l’espace de manoir en motel miteux, aux linot gondolé, papiers-peints déliquescents et plafonds écaillés, dégradant l’atmosphère en même temps que les matières… et voilà que surgit « la » vision du jeu, son apparition la plus flippante, de celles qui font poser la manette et sortir prendre l’air, un traumatisme que la séquence va tenir sur une quinzaine de minutes retrouvant la densité émotionnelle de l’épisode précédent. Il aurait suffi que Capcom tienne cette note terrifiante deux ou trois autre fois pour que le jeu se revitalise et nous convainque vraiment. En l’état, ce chapitre 2 est l’incontestable sommet d’une aventure inégale, thématiquement dispersée, dont les étapes d’après, bien qu’amusantes, n’approcheront plus ce niveau : le combat du lac (chapitre 3) en forme de parcours d’obstacle est anti-spectaculaire au possible, et le chapitre final de l’usine est ludique sur le mode du shooter bourrin, une fois de plus, mais sans frissons ni distinction.
Au final, l’appréciation que chacun aura de RE 8 dépendra d’une pesée de ses impressions positives et mitigées, comme de ses attentes sans doute, le jeu fonctionnant sur la reprise de formules anciennes, et ne se composant que de morceaux hétérogènes, jamais propulsés par un élan créatif inquestionnable. Le fait qu’il fonctionne « à minima », témoin d’une incontestable science du game design, le maintient certes dans une zone divertissante, suffisamment pour pousser à le finir. Mais eu égard à ses aspirations horrifiques, au talent de son équipe et au niveau de peur atteint par l’épisode précédent, on espérait huit à dix heures plus inspirées, plus denses en émotions et images fortes, où l’envie de ses concepteurs aurait été plus souvent perceptible : on espérait, en somme, plus qu’un produit justifié surtout par des raisons financières (sortir un RE pour l’exercice fiscal 2021-2022), sans rapport à son contenu même.
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