Return of the Obra Dinn
8.3
Return of the Obra Dinn

Jeu de Lucas Pope et 3909 (2018PC)

Quand on était petit on jouait à des jeux de société. Enfin, j’imagine. Et parmi les Monopoly, jeux d’échec, Risk et autres Mystère de Pékin (celui ci est collector) se dresse fièrement Cluedo. Un grand classique, débouchant sur les éructations frénétiques de votre copain de CM2 sournois : « C’est le colonel Moutarde avec la matraque dans le petit salon » (notez que cette exclamation passe crème dans les plus chouettes établissements nocturnes de la Riviera). La joie résulte de l’enquête menée à bien, de ce fil que le joueur déroule encore et encore, petit à petit, en éliminant progressivement les suspects de la scène de crime.


Return of the Obra Dinn est un jeu étonnant et rafraîchissant. Étonnant parce que, même si je connaissais déjà le précédent jeu de Lucas Pope (Papers, Please),je ne m’attendais pas forcement à un tel parti pris. Rafraîchissant, parce que les dit parti-pris fonctionnent très bien.


Return of the Obra Dinn pour faire court est un Cluedo gigantesque et rocambolesque vous mettant dans la peau d’un enquêteur d’une compagnie d’assurance inspectant un bateau du début XIXème qui refait mystérieusement surface : l’Obra Dinn. Question : que s’est il passé dans ce rafiot ? Que sont devenus les membres d’équipage et les passagers ? Le jeu se limite à ce terrain de jeu et à ce but bien précis. Deux outils ludiques : un livre de bord pour recenser les différents individus (nom, fonction et cause de la mort) et une montre à remonter le temps qui va entretenir cette étonnante feature théâtrale : revivre sous forme de diaporamas les différents événements qui ont conduit à la mort/disparition des membres de l’équipage de l’Obra Dinn durant son trajet. Et ainsi comprendre.


Mais là ou le parti pris se montre grandiose c’est à la fois dans sa patte esthétique fortement reconnaissable (noir et blanc, en 3D, à mi chemin entre du crayonné et du pixel art,action et mouvements figés, très joli dans l’ensemble ). Mais aussi par cette propension à mener le joueur de plus en plus loin dans les légendes, les malédictions et autres « histoires de marins ». Et je dois dire que ça m'a un peu rassuré sur le titre. Car je ne pouvais m’imaginer comment le jeu allait bien pouvoir me maintenir à flot durant toute sa traversée, anticipant un peu bêtement un ensemble de causes et de situations trop terre à terre. Parce que bon, le huis clos à coup de traîtrise et de mutineries on le connaît bien. Mais là non, ça part en couille bien comme il faut. Et ça fait du bien.


Cumulé à une affaire sous forme de puzzle géant rondement mené, alimenté par ce carnet ou vous pourrez identifier progressivement les personnages et la cause de leur triste disparition, Return of the Obra Dinn est un simple et pur plaisir de déduction. « Je vois bien ce marin périr mais quel est son nom ? Et celui là alors ? Bon je connais son nom et je vois bien le poignard dans son dos mais c’est qui l’assassin ??........ et l’autre là avec le bonnet ! Non seulement je connais pas son nom mais en plus je ne sais absolument pas ce qui est advenu de lui…… » il faudra ainsi revenir en arrière, revoir certaines scénettes à d’autres moments de la traversée de l’Obra Dinn pour saisir parfois les informations relatives à l’identification de ces hommes (et rares femmes) ainsi que leur destins amèrement tracées dans l’écume glacée de l’océan.


Mais cet océan est bien tumultueux pour le joueur, le jeu pêche parfois par excès dans ses artifices visuels rendant par moments difficile (voir improbable) la lecture de l’action : bouillie de pixels au rendez vous lors d’incendies , de chocs ou de gerbes de sang, ça s’est pas l’idée du siècle. Surtout lorsque vous devez lire l’action tout en vous déplaçant difficilement au sein des différentes scénettes avec un personnage dont les mouvements frisent celui du 3,5T. Et le glossaire ? On en parle du glossaire ? Le Carnet vous propose ,quand il s’agit de sélectionner la cause de la mort, un lexique pas toujours très clair. Du genre choisir entre lacéré et démembré. Honnêtement quand je vois un gars se faire réduire en charpie par une monstruosité marine, la question est complexe. Ou lorsque le mot abattu se révèle inadapté pour évoquer la mort d’un homme qui se fait tirer dessus. Bha non le mou du bulbe ! Cela étant dit, ces soucis sont minimes. On passe volontiers l’éponge face à la réalité ludique brute que propose le jeu de Lucas Pope : raconter par le jeu, par le désir de découverte, par ces points à relier digne du meilleur journal de Mickey. Il s’agit littéralement d’une aventure unique, s’émancipant allégrement du jeu d’enquête traditionnel ou du point’n click un poil trop hasardeux, mettant d’abord à l’honneur le sens de l’observation et de la déduction.


Return of the Obra Dinn est clairement l’une de mes meilleures surprises de ces dernières années. Complexe dans sa réalisation et ses rouages maléfiques ou le joueur, à la fois acteur et spectateur, mêle puis démêle avec brio les nœuds d’attache pernicieux de ses pauvres petits synapses. C’est du jeu d’enquête de belle facture, assurément.

Bohr
9
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le 23 janv. 2022

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