En contrepoint de bon nombre de jeux vidéo, axant leurs spécificités soit sur le challenge ou une certaine profondeur au niveau du gameplay, soit sur le développement d'une histoire poussée et riche, Rez repose sur presque rien. Ou plutôt, sur une chose tellement subjective qu'elle en devient bancale.
En effet, difficile ici de parler d'un challenge élevé, d'un scénario alambiqué ou de phases d'exploration haletantes.
Car tout tient en un mot : ambiance.
Et cette ambiance particuliére, elle est créée tout d'abord par l'aspect visuel, qui parait dépouillé au début pour se construire au fur et à mesure de la progression. De simples ennemis esquissés en 3D fils de fer évoluant dans un décor inexistant, on passe peu à peu à des ennemis plus richement détaillés et des paysages un peu plus texturés.
Mais au final, ce choix esthétique pourrait ne passer que pour un simple effet, s'il n'était pas couplé à un autre élément majeur de Rez : l'interaction avec la bande sonore.
Car ce qui fait la richesse de l'ambiance de Rez, c'est bien le rapport particulier qu'elle entretien entre le joueur et la musique qu'il écoute.
De chaque action du joueur, le jeu développe une réponse sonore, qui vient s'intercaller en rythme dans les vides laissés par les producteurs sonores.
Ainsi, le joueur prend réellement conscience qu'il crée sa partie, et qu'en même temps, il le fait de manière involontaire.
Cela peut paraitre anodin (ou pompeux, au choix), dit comme cela, mais en réalité, cela relève d'une totale adéquation entre le fond et la forme. Car si l'on parle souvent de Kandinski à propos de Rez (hommage avoué dès les crédits de fin du jeu), ce qui transparait clairement dans les phases jouées de Rez, c'est l'ensemble des références à la théorie de l'évolution des espèces.
Ainsi, au fur et à mesure que l'on progresse dans le jeu ou même à l'intérieur d'un niveau, la musique devient plus complète, plus complexe, comme les espèces vivantes, qui vont en se spécialisant toujours un peu plus, épousant des formes toujours plus extrêmes et diverses. En ce sens, les petits cubes colorés que l'on doit viser de manière répétée pour passer à l'étape suivante d'un niveau peu évoquer le passage d'un stade à un autre, d'une espèce à une autre, d'une famille à une autre.
Par ailleurs, un autre niveau de lecture nous est donné par la représentation du personnage que l'on incarne. Cette représentation change en fonction du niveau d'énergie dont on dispose, de manière finalement pas si extraordinaire, mais c'est plus dans les formes prises par notre héros que se trouve le réel intérêt.
En effet, on passe d'une simple sphère (amibe, cellule protozoaire, ovule ?) dans le cas où l'énergie disponible est au plus bas, à, successivement une forme humaine en fil de fer (enfance, personnalité au contour peu défini ?), une forme humaine prenant corps petit à petit (adolescence, premesse d'un individu en devenir), un homme proprement dit, un homme qui médite, assis en tailleur (homme conscient, qui s'élève) pour aboutir enfin à une sphère, comme un esprit détaché de son enveloppe corporelle à même de comprendre son environnement.
On comprend alors que les formes basiques en 3D simple qui nous entourent ne pourraient être que la représentation que notre personnage se fait des choses, une forme d'abstraction qu'il se crée de son environnement pour mieux le comprendre et l'analyser.
Ainsi, tout se relie, prend du sens, tout tend vers le même but : nous emmener vers un voyage presque mystique dans les méandres de la pensée humaine et de ce qui fait la spécificité de l'humain parmi le vivant : sa conscience propre.
Bien sûr, ceux qui se seront arrêtés à la musique électro, aux graphismes peu raffinés, au gameplay basique, à la durée de vie famélique, à la tendance type vieux con qui consiste à louer les qualités exceptionnelles de la Dreamcast aujourd'hui, auront sans doute du mal à se reconnaître dans cette richesse.
Moi, je pense au contraire que tout aura été pensé et bien pensé dans ce jeu : le gameplay est simple d'accès, mais permet justement une certaine latitude dans l'interaction avec la musique, la durée de vie, façon jeu d'arcade, fait que l'on peut relancer immédiatement la partie où l'on veut, et se replonger en un clin d'oeil dans cet univers (dé)construit, sans avoir à passer par 10 000 cinématiques ou une introduction qui trainerait en longueur, les graphismes, la musique apportent des éléments au contenu réel.
Tout ces éléments en font à la fois un jeu pour joueur passionné, pouvant faire et refaire sans cesse certains passages du jeu, jusqu'à obtenir le 100%, pour un joueur occasionnel qui cherche avant tout des petites parties rapides, ou à celui qui cherche à se persuader que le jeu vidéo, définitivement, n'est pas qu'une succession de clichés et s'approche parfois de ce que l'on appelle art.