Il semble toujours y avoir un moment, dans la vie d'un studio de jeux vidéo, où celui-ci est condamné à "craquer" : son budget, ses ambitions, sa vision. Un moment où, las de se cantonner à l'artisanat quand la concurrence multiplie les pubs cinéma et autres formes de marketing viral, il veut dépasser sa condition pour arriver, lui aussi, au niveau des plus grands, parce qu'après tout pourquoi les autres et pas lui, hein ? Il y a une fable pour ça, dont on comprend souvent la vérité après avoir quitté la route, lorsque c'est trop tard ; Piranha Bytes, avec Risen 2, en fait les frais et laisse le joueur dans l'incompréhension. De prime abord pourtant, il y a des tas de choses à saluer dans leur nouveau RPG. C'est beau, avant toute chose ; d'une beauté crue et solaire. On sent littéralement l'eau venir nous lécher les pieds sur le sable, on sent le vent dans ses cheveux et l'air iodé remplir ses poumons. Risen 2 est avant tout une histoire de respiration, un récit au grand air qui calque son rythme sur le flux et le reflux des vagues, son souffle sur la brise qui agite les feuilles des palmiers. Pause, se dit-on tout de suite, pause et repos, on prend sa feuille de personnage, on prévoit son développement, on trace des plans sur la comète. Il y a toute une somme de mécaniques ambitieuses, un système de progression relativement novateur (l'expérience se gagne... et se perd), une vraie réflexion en amont sur la manière de faire fonctionner l'univers de la piraterie dans un contexte ludique, avec des compétences, des factions, des lieux centrés sur un sujet de départ qui sera respecté jusqu'au bout. Volonté de consolider la formule de Risen 1 ; même si on se demande en quoi elle peut l'être, en quoi ce petit bijou, accomplissement ultime des techniques du studio teuton, peut encore être amélioré.
Bonne question, tiens : en quoi ? Réponse des développeurs : plus beau, plus grand, plus riche, plus épique. Bien. Ou pas. Très concentré à concrétiser ces louables ambitions, Piranha Bytes flingue dès le départ la série, son héritage, jusqu'aux premiers Gothic dans une certaine mesure, en abandonnant le monde ouvert. Ce sera donc une sorte d'atoll dont on visite les îles à la manière de niveaux ; on sera obligé de les découvrir dans un ordre donné, et la liberté de passer de l'une à l'autre sera souvent conditionnée par le bon vouloir du scénario. Car oui, bien sûr, c'est épique ; donc, logiquement, scripté... On sent bien la volonté fragile (fainéante) de trouver un compromis, de laisser au joueur la possibilité de jouer avec son équipage ou de bourlinguer librement à certains instants de l'histoire, sauf que tout cela semble très anecdotique en regard des oeuvres précédentes du studio et surtout en regard de l'utilité propre de ces manoeuvres au sein même du jeu, qui à vrai dire est essentiellement composé de vide. On pourrait s'amuser à faire un inventaire des qualités des jeux Piranha Bytes dans la décennie 2000 - 2010, soit donc jusqu'au traître Risen 2 : cohérence, liberté, évolution, des mots qui ne veulent peut-être pas dire grand-chose lancés comme ça mais qui parleront bien aux fidèles de la première heure - là encore il faut jouer, et finir, un Gothic pour comprendre leur sens profond, lorsqu'on prend la mesure du travail abattu sur le design du monde, des quêtes, de l'équilibre absolument fabuleux trouvé entre ses parties qui finissent toujours par former un tout, compact, soudé, implacable, celui-là même que seule une vision du jeu précise, assumée jusqu'au bout, peut permettre. Gothic II et Risen, plus particulièrement, sont éclatants dans cette recherche maniaque du détail qui tue, dans cette obsession de construire un monde hostile qu'on façonne lentement à notre avantage, finalement dans ce respect pur de l'essence même du jeu de rôle : trouver sa place dans un univers étranger. C'est quelque part une philosophie merveilleuse, un credo dont on prend conscience de la valeur au fur et à mesure de sa progression, lorsqu'une à une les barrières tombent à la seule force des bras. C'est exactement cette philosophie, cette approche du genre qui est détruite dans Risen 2. La cohérence est mise à mal par le découpage des zones. Il en va de même pour la liberté, mais celle-ci est davantage malmenée par le dirigisme de l'histoire et le manque d'embranchements possibles, que ce soit à haut niveau (jeu) ou bas niveau (quêtes) ; bien sûr, on a droit aux choix syndicaux mais il manque ce délicieux doute, cette crainte de faire un mauvais choix que seul un monde exigeant peut faire ressentir. Ce qui nous amène au troisième disparu, l'évolution, ici massacrée à vrai dire moins par les choix de game design (le système de jeu est, sur le papier, plus complexe que Risen 1) que par la gestion assez rigolote de la difficulté et le manque de finition du système de combat comme de l'échelle de valeurs globales.
Ce qui fonctionne au début se délite au fil du temps, quand le système se brise sous sa propre complexité, que l'on constate que l'équilibrage est aux abonnés absents, qu'il n'y a presque plus de quêtes secondaires passé un cap rapidement atteint, que les notions même d'exploration et de prise de risque sont rendues caduques autant à cause d'une difficulté complètement nawak (tantôt à en rire de simplicité, tantôt à en pleurer d'injustice) que de la vacuité des terres qu'on laisse à explorer au joueur, flanquées de monstres et de trésors inutiles, dépourvues de vie humaine ou d'enjeux intéressants. Alors voilà, Risen 2 est un très beau jeu ; il a un système remarquablement pensé, également, ainsi qu'un design calibré pour son univers, ce qui lui laisse in fine des atouts non négligeables qu'on fera bien d'examiner. Ce n'est même pas un mauvais jeu, à vrai dire : on y a un rôle à jouer, minime, mais réel, on y vit des aventures plutôt prenantes et il y a même quelques morceaux de bravoure où l'on croirait presque renouer avec l'insolente perfection de certains des RPG de Piranha Bytes. Malheureusement c'est, la plupart du temps, une illusion. Complexe mais pas réglé, grand mais pas rempli, libre mais virtuellement cloisonné, par-dessus tout très approximatif dans ses mécaniques de progression, Risen 2 sonne le glas (voulu) d'une certaine forme d'artisanat, donc. On est ici davantage dans une logique industrielle, une sorte de carte postale mutante, un immense hôtel vide en bord de mer. On y est seul, sans réelle envie de partir à l'aventure ; nous manquent autant un objectif qu'une pression, tel l'âne sans carotte refusant d'avancer sur une route pourtant aisément praticable. Ce qui manque à Risen 2 est exactement ce qui rendait son prédécesseur unique. C'est quoi, alors ? Réponse la plus simple possible : l'humain, celui qu'on veut aimer ou détester, celui qu'on fuit on qu'on poursuit ; celui qu'on sentait toujours, chez Piranha Bytes, entre les pixels, manipuler de ses doigts habiles un monde si petit mais si vrai.