NARRATION
Histoire : ★★★☆☆
C’est sous la forme d’une légende, d’une fable héroïque, que nous est d’abord introduit le récit de Shadow of the Colossus : un jeune homme seulement équipé d’une épée magique et de son fidèle destrier vient de pénétrer sur une lande déserte afin de ramener sa bien-aimée à la vie. Pour cela, il signe un pacte avec l’entité maléfique qui réside en ces lieux : en échange de l’âme de sa protégée, Wanda devra vaincre seize colosses, seize divinités de la nature qui errent paisiblement sur ces terres… Mais pour ce sacrifice ultime, le prix à payer sera terrible…
Personnages : ★★☆☆☆
Ce n’est pas un hasard si Shadow of the Colossus véhicule un sentiment de solitude total : à l’image de sa mise en scène, le développement de ses personnages reste très épuré, voire à peine esquissé. Ces derniers incarnent en effet plus des stéréotypes de contes que de véritables personnalités en chair et en os : Wanda se pose ainsi en héros tragique, un David contre Goliath égoïste mais courageux, prêt à tout pour sauver sa princesse Mono ; quant à Dormin, il endosse le rôle de la figure faustienne, un esprit trompeur et omnipotent. Finalement, c’est plus envers notre cheval Agro, le seul compagnon qui partagera notre aventure jusqu’à la fin, que l’on s’attachera le plus au cours de l’expérience…
Univers : ★★★☆☆
En tant que fils spirituel d’Ico – avec qui il partage le même amour des ruines et de l’architecture démesurée – le jeu hérite aussi de sa philosophie, celle d’un design par la soustraction : ne vous attendez pas à une multitude d’explications détaillant le moindre ressort de son univers, au contraire, SotC fait plus confiance à l’imagination du joueur pour combler les vides restants. Fumito Ueda a toutefois laissé suffisamment d’indices pour rendre sa fable intrigante, à l’image de certains détails présageant de sa morale (la détérioration physique de Wanda, les ombres et les colombes dont le nombre correspond à celui des colosses vaincus…) ou encore grâce à ses quelques secrets : le mode « Time Attack » permettant de débloquer des items sacrés, l’ascension vers son jardin caché… A noter aussi que le remake de 2018 introduit une nouvelle quête particulièrement mystérieuse, celle des énigmatiques « pièces d’or »…
JEU
Game Design : ★★★★☆
En plus de ses mécaniques intradiégétiques – l’épée reflétant le soleil en direction du prochain colosse, la chasse aux fruits et aux lézards permettant d’augmenter sa vie et son endurance… – Shadow of the Colossus aura aussi marqué son époque grâce à une idée ayant influencé une génération de game designers, celle des ennemis géants à escalader : Lords of Shadow, Darksiders II, Breath of the Wild, ou bientôt Praey for the Gods, ils sont nombreux à s’être essayé à la conception de leurs propres niveaux mobiles, sans toutefois réussir à égaler la maestria de leur source d’inspiration. SotC reste en effet la référence dans ce domaine, tant il renouvelle son concept en l’enrichissant de variations toujours plus intéressantes : combats à pied ou à cheval, énigmes environnementales pour initier l’ascension, colosses volants ou aquatiques, etc…
Gameplay : ★★★☆☆
Déjà en 2005, le jeu souffrait d’une grande inertie dans sa maniabilité, inertie qu’on pourra toutefois justifier par une certaine recherche d’authenticité : Wanda est en effet un adolescent banal, et sa maladresse accentue l’héroïsme de ses actions ; quant à son cheval Agro, il dispose de son propre caractère, d’où la sensation de ne pas se faire immédiatement obéir. Les animations de ce dernier sont par ailleurs très réalistes, sans compter qu’il est possible de réaliser tout un tas de manœuvres sur son dos : départ au galop, demi-tour instantané, posture debout en équilibre…. Notons enfin que notre héros bénéficie lui-aussi d’un éventail de mouvements plutôt appréciable (saut, escalade, roulade, tir à l’arc…) et dont les quelques bizarreries de mapping ont été corrigées dans la version de 2018.
Level Design : ★★★★☆
Outre ses seize boss qui représentent autant de niveaux originaux, l’expérience de jeu s’accompagne d’un des tout premiers open-world de l’histoire du jeu-vidéo, un monde vaste et contemplatif dont l’exploration constitue une grande partie de l’aventure. Une fois ces chevauchées derrière nous, c’est bien pour ses colosses que Shadow of the Colossus aura traversé les générations : ces immenses créatures impressionnent tant au niveau de leur réalisation technique que par leur level design, proposant de véritables puzzles géants qu’il nous faudra gravir pour en venir à bout. Parmi les meilleurs, on retrouve l’iconique chevalier Gaius, à la démarche et l'épée chancelante, l’ascension apocalyptique vers le crâne de Malus, ou encore les deux maîtres des airs, les majestueux Avion et Phalanx.
PERSONNALITÉ
Direction artistique : ★★★★☆
Dans la pure lignée d’Ico, les paysages désertiques de SotC se déclinent sous une variété de pastels et de ruines aux références multiples : civilisations précolombiennes, geysers islandais, heroic fantasy, architectures disproportionnées du dessin-animé Le Roi et l’Oiseau… Les colosses trouvent quant à eux leurs inspirations dans les animaux de la nature et des représentations plus fantastiques, un design que Bluepoint n’aura fort heureusement pas trop altéré dans son remake. Une bien belle direction artistique dans son ensemble !
Ambiance : ★★★★★
Grâce à son atmosphère soignée, Shadow of the Colossus réussit à nous plonger dans un sentiment de solitude et de perdition inégalé. Nos longues chevauchées dans ces contrées du bout du monde seront uniquement accompagnées par le bruissement du vent et des sabots de notre cheval, nous laissant totalement seul face à l’ampleur de notre quête. La caméra se mêlera d’ailleurs facilement à la poésie du titre, en prenant un peu de recul pour accentuer la démesure des environnements. Puis, une fois arrivé devant l’antre des colosses, ce sera au tour des musiques d'ambiance de prendre le relais, d’abord par des sonorités mystiques, puis par envolées lyriques, dès les premières attaques des géants. Phases d’exploration comme d’affrontement, le jeu alterne ainsi constamment entre errances introspectives et épopée fracassante, pour une immersion unique au sein d’un univers envoûtant…
Musiques : ★★★★★
Une bande originale cultissime ! Les musiques de Kow Otani excellent tout aussi bien dans le domaine de l’épique (The Opened Way, A Violent Encounter, A Despair-filled Farewell, In Awe of the Power…) que dans celui de la mélancolie (The End of the Battle, Silence, The Sunlit Earth…), à l’image de son prologue To the Ancient Land qui nous introduit magnifiquement à ce cavalier s’avançant seul vers l’inconnu, avec pour seul objectif l’espoir absurde de ressusciter sa bien-aimée…
S’il ne fallait retenir qu’un jeu dit « poétique », ce serait bien Shadow of the Colossus : l’œuvre de Fumito Ueda n’aura pas volé sa réputation tant elle sait nous transporter au cœur de sa fable onirique et tragique, celle d’un héros prêt à tout, y compris vendre son âme au diable, en échange de celle de la femme qu’il aime. Mais Shadow of the Colossus, ce n’est pas qu’une ambiance et des musiques au service d’un conte intemporel, c’est aussi un concept génial, celui de véritables niveaux vivants à terrasser au cours d’affrontements épiques. Shadow of the Colossus, c’est enfin un design à l’encontre de tous les standards actuels, une expérience qui prône des mécaniques épurées en totale cohérence avec son univers, plutôt qu’une surenchère constante qui peut parfois se révéler nauséabonde. Un grand jeu culte, auquel Bluepoint aura offert une seconde jeunesse grâce à son remake !