That's one small step for man...
Juger Shenmue est pour moi un moment difficile.
Car le premier volet des aventures de Ryo est avant tout une sacrée claque technique. Et la première raison est sans aucun doute graphique. Si les textures ne sont pas toujours du meilleur goût (les limitations techniques de la machine y sont sans doute pour quelque chose), on les oublie très vite devant le travail titanesque de modélisation de la ville, des personnages et des véhicules, allant jusqu'à l'intérieur très complet et détaillé des bâtiments. Le tout est en plus mis en valeur par les changements de lumière qui interviennent à la nuit tombante.
Il y a le son, ensuite. L'environnement sonore est travaillé de telle façon qu'on perçoit aisément l'atmosphère des différents quartiers, et même des rues, plus ou moins commerçantes, plus ou moins passagères, animées... Et au delà de cela, cette ambiance sonore contribue à nous amener exactement où Yu Suzuki le voulait : le Japon des années 80.
Et puis il y a la facilité d'appréhender le gameplay, à un rythme totalement personnel. On peut tout regarder, tout explorer, tout prendre ou lire. On peut aller partout, dans les rues, les jardins, les magasins, la salle d'arcade, discuter avec des amis, des inconnus, mais on peut aussi, avec la même facilité, se battre contre les sbires du gros méchant. Tout se passe de manière très simple, sans compteurs, presque sans barre de vie, avec comme seule indication une boussole et une horloge. Tout est à la fois accessible et profond. C'est bien simple, ce jeu est une réussite sur tous les plans.
Ce qui est fort dans cette histoire, c'est que cette richesse est disponible immédiatement. En effet, dès les premiers pas dans le dojo et dans le jardin, en s'approchant du bassin, on découvre les carpes qui nagent, les reflets dans l'eau, on entend le bruit des bambous, etc... Tout cela donne immédiatement l'impression qu'il existe un univers complètement indépendant des actions du joueur. Pour une des premières fois dans ma vie de joueur, je me suis trouvé dans un monde qui me dépassait, qui semblait avoir son propre rythme et son existence propre.
Du coup, on passe les premières heures à tester les limites de l'univers ainsi créé. On essaye de boire une canette de soda au distributeur, on ouvre tous les tiroirs, on rentre dans tous les magasins, on lit tous les panneaux, on va voir le plus loin possible et on s'étonne presque au bout d'un moment de recevoir un message nous disant qu'on ne peut aller plus loin pour l'instant. Et il faut encore ajouter à cela la dimension temporelle qui change certaines choses du tout au tout : les magasins ouvrent, ferment, les bars aussi, les rues s'animent le jour, se vident la nuit, etc... Cela permet un renouvellement constant des promenades urbaines que l'on s'amuse à faire au long du jeu.
Malheureusement, je n'ai pas réussi à aller au delà de ça. J'ai tenté de suivre le scénario, bon gré mal gré, mais l'enchainement de scripts qui ne se déclenchent qu'à des moments précis, après avoir nécessairement parlé à telle personne ou avoir découvert tel indice aura été un réel frein à ma pratique du jeu. La différence entre un univers d'une richesse et d'une complexité rarement vues jusqu'alors et des codes du jeu vidéo classique ne m'ont pas vraiment donné envie de poursuivre le cours d'un scénario par ailleurs très bateau et pas vraiment à la hauteur.
Alors pourquoi donner 9 à ce jeu ?
Pour plusieurs raisons finalement évidentes.
Tout d'abord, le travail réalisé ici est vraiment abouti, dans les limites que le développeur s'est fixées. Et franchement, d'un point de vue technique, ce jeu représente une véritable prouesse.
Ensuite, parce qu'au delà de cette technique aboutie, il y a un réel bond en avant offert par la liberté qui se dégage de Shenmue. Je ne suis pas certain que les GTA aient pu suivre leur voie sans la présence du jeu d'exploration de Sega.
Enfin, parce que malgré mes blocages personnels, ce jeu reste un des monuments historiques de la firme au hérisson et que c'est un jeu à découvrir et à tester au moins une fois dans sa vie de joueur, pour sa culture personnelle.
Et puis, malgré les limites du scénario et des scripts, je prends encore plaisir à arpenter les rues de Shenmue de temps en temps, juste pour flâner, me promener sur les chemins de Sakuragoaka, et voir ce que certaines personnes parviennent à inventer avec un simple langage binaire.