« C’était mieux avant ». Une petite phrase générique derrière laquelle il est facile de se réfugier dès que la modernité s’engage dans des directions qui nous déplaisent. Il est ainsi vrai que le jeu vidéo a beaucoup évolué au fil des années, et il peut paraître assez normal que les plus nostalgiques d’une époque passée ne soient pas nécessairement sensibles aux mêmes choses que les plus jeunes générations. Toutefois, si la production moderne n’a pas forcément que de bons côtés, il est aisé pour le nostalgique de se laisser piéger par d’idylliques souvenirs que le temps aura su embellir, souvent en dépit de toute raison. En ce qui concerne ce Shin Megami Tensei 3, je m’en souvenais comme d’un RPG culte et atypique, et ce, même si je ne l’avais pas terminé à l’époque sur PS2. Le jeu d’Atlus fut ma première découverte d’une série que je ne connaissais que de réputation, qui m’avait notamment marqué pour son ambiance malsaine et singulière, sa direction artistique reconnaissable, ou son OST à mille lieues des standards du RPG japonais classique. C’est donc, je l’avoue, avec un peu d’amertume que j’ai découvert les quelques échos mitigés de cette version Remaster, aussi bien attaquée sur son fond quelque peu vieillissant que dans la fainéantise de son travail de refonte. A priori hermétique à ces quelques critiques, c’est donc rempli de confiance et de certitudes que je me suis relancé dans cette aventure, que j’ai cette fois-ci menée à terme en un peu plus de quatre-vingts heures, et qui m’aura remémoré sans grands efforts les raisons de mon enthousiasme passé. Mais cette replongée au début des années 2000 m’aura aussi aidé à réaliser à quel point nos souvenirs ont tendance à nous faire occulter certaines mécaniques obsolètes, qui ont plus difficilement leur place aujourd’hui.
Une Conception sans fioritures
On se retrouve donc aux commandes d’un jeune étudiant Japonais alors qu’il fait route vers l’hôpital de Shinjuku afin d’y retrouver ses deux meilleurs amis, Isamu et Chiaki, ainsi que leur professeur Yuko Takao. Mais très vite, il va découvrir que la jeune femme fait partie d’une organisation occulte planifiant la fin du monde pour en recréer un nouveau par la suite plus adapté à leurs idéaux. C’est chose faite quelques instants plus tard, notre héros faisant parti des rares rescapés dont l’hôpital était la seule chance de salut. Rapidement métamorphosé en semi-démon par une femme âgée et un enfant mystérieux, il sera donc amené à arbitrer les différents conflits idéologiques qui opposeront aussi bien les nouvelles têtes qu’il rencontrera que ses anciens camarades, afin de décider (ou pas, d’ailleurs) quelle philosophie régira le nouveau monde qui reste à créer. Des choix que le joueur sera d’ailleurs réellement amené faire, qui le conduiront à l’une des cinq différentes fins du jeu.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en dépit d’une introduction un peu longuette et étrangement bavarde, Shin Megami Tensei 3 ne s’encombre guère de fioritures narratives. Abrupt, austère et mettant un point d’honneur à taire tout propos pouvant sembler inutile, le récit va toujours à l’essentiel, considérant ses courtes et distillées séquences de dialogue comme de vraies récompenses en soi en conclusion d’un donjon retors. A ce titre, on ne pourra guère reprocher aux amateurs de la formule moderne de la série Persona (à l’origine spin-off de la saga Megaten) de trouver l’ensemble assez peu accueillant. Le Remaster dynamise un peu le tout, en ajoutant des doublages anglais ou japonais qui apportent un vrai plus. Mais les cinématiques non retravaillées tout en pixels ne faciliteront pas, entre autres, l’immersion aux nouveaux venus. Le titre d’Atlus ne prend guère par la main et ne s’encombre aucunement d’artifices superflus, ce qui demandera donc au joueur de consentir à quelques efforts d’immersion auxquels tous ne seront pas forcément réceptifs. L’histoire n’en reste pas moins efficace, avec son ambiance pesante et singulière, et ponctuée d’une OST profondément atypique, qui restera l’une de celle qui aura le plus marqué mon parcours de joueur.
Remaster HD mais pas trop…
Evidemment, l’un des principaux attraits d’un remaster réside dans son évolution visuelle afin d’acquérir un rendu au moins correct sur les écrans d’aujourd’hui. Un travail qu’Atlus semble avoir un peu pris par-dessus la jambe, n’assurant ici que le minimum syndical. Outre les vidéos non retravaillées déjà abordées plus haut, le jeu se contente donc d’un petit lissage de textures et de quelques ajustements d’interface. C’est sans doute un peu chiche, surtout pour un titre qui n’était déjà pas une spectaculaire claque graphique sur Playstation 2. Soyons toutefois clairs. Je ne leur reprocherais personnellement pas de ne pas avoir enrichi des décors incontestablement vides et souvent répétitifs. D’une part parce qu’ils contribuent à leur manière à cette ambiance malsaine de fin du monde ; mais aussi et surtout car nous ne sommes en aucun cas en face d’un pur Remake aux objectifs plus ambitieux.
Néanmoins, si le gain visuel est tout de même réel avec une quasi-absence d’aliasing qui fait plaisir, il sera difficile de pardonner les problèmes de stabilité d’une refonte aussi peu gourmande. Et ce, même si la direction artistique si singulière de cet épisode reste d’une efficacité sans pareille. Quelques inappropriés effets de tearing et autres chutes de frame-rate s’inviteront donc occasionnellement à la fête, tandis que les attaques les plus spectaculaires auront parfois un peu de mal à se charger. Tout ceci ne serait pas grand-chose sans quelques plantages dommageables (en tout cas, sur PC) susceptibles d’obliger à recommencer des pans de jeu entiers. Un manque de finition réel qui pourra entacher l’expérience, d’autant que les ajustements de gameplay se montreront eux-aussi bien trop timides pour alléger une exploration pas toujours très compatissante.
L'enfer d'Amala
Il faut bien le dire, même si reparcourir Shin Megami Tensei 3 Nocturne a été pour moi un vrai plaisir, j’avais tout de même un peu oublié à quel point le RPG d’Atlus pouvait se montrer aussi régulièrement sournois et frustrant. Mais les nombreux allers-retours dans les méandres des multiples et tortueux environnements du jeu, constituent une assez violente piqûre de rappel. Et avec des yeux plus actuels, il sera tout aussi aisé de saluer le level-design pour l’intérêt de ses énigmes que d’avoir envie de le fustiger pour ses couloirs répétitifs ou certaines mécaniques vieillissantes. Ainsi, certains niveaux impressionnent vraiment, tel le Parlement ou l’Obélisque, tant ils savent briller par leur inventivité ou la cohérence de leur composition, très souvent sur plusieurs étages. La plupart des donjons ont une réelle identité, et il ne m’est guère difficile de me souvenir encore aujourd’hui de la plupart d’entre eux, tant ils proposent tous une atmosphère et diverses épreuves qui les caractérisent.
Mais les plus jeunes ou les moins patients auront sûrement un peu de mal à se résoudre à tout parcourir, tant certains éléments accusent aujourd’hui le poids de leur âge. On relèvera d’abord cet agencement tout en lignes droites souvent clonées, rendant le repérage presque impossible sans consultation régulière de la carte. Il faudra aussi composer avec pas mal de redîtes, à l’image des récurrentes visites de cavernes sous les stations de métro, ou des quelques pièges recyclés d’un niveau à l’autre. Mais le pire reste ces pièges incessants venant régulièrement parasiter une progression parfois qui traine en longueurs, et déjà pas mal hachée par de nombreux combats aléatoires. Certains peuvent ne sont pas gênants comme ces sols maudits qui infligent des dégâts dès qu’on pose le pied dessus si on a omis de lancer le sort qui permet de s’en protéger. Mais d’autres, comme les trous imperceptibles qui ramènent plusieurs étages en arrière, ou les téléportations arbitraires au sein d’un labyrinthe plongé dans l’obscurité, auront tôt fait d’écœurer sur des zones nécessitant souvent plusieurs heures d’exploration.
C’est dans ce genre de cas que quelques options d’ergonomie supplémentaires n’auraient sans doute pas fait de mal. Les Kalpas, partie plus ou moins optionnelle du jeu, en sont le parfait exemple. Ainsi, la visite du quatrième kalpa s’accompagnera de passages qui infligeront à notre équipe des dégâts environnementaux à chaque pas. Un malus qui se serait révélé moins irritant si ces dommages ne s’illustraient pas systématiquement par une animation de notre personnage prenant un coup, le forçant à marquer un coup d’arrêt à chaque fois. Dans le même ordre d’idée, le cinquième nous demandera d’ouvrir certaines portes en présentant un démon précis. Mais plutôt que de simplement le choisir dans une liste, une boîte de dialogue préfèrera nous énumérer tous nos démons un à un jusqu’à arriver au bon, nous obligeant à accepter ou refuser de présenter chacun d’entre eux. Des maladresses qui alourdissent inutilement la progression, que quelques menus aménagements auraient facilement réglées.
Le complexe du Matador
Ces manques sont d’autant plus dommageables que combats et stratégies ont, quant à eux, bénéficié de quelques modifications allant souvent dans le bon sens. Commençons donc par parler difficulté, un aspect de plus en plus délicat à aborder par les temps qui courent. Réputé pour être assez coriace en 2003, j’ai cru lire que temps et pratique n’avaient pas forcément réussi à adoucir une expérience à priori toujours considérée comme assez corsée. A cela, j’apporterais quelques nuances. N’étant pas mort plus de quatre ou cinq fois tout au long de mon aventure, je veux bien croire que mes connaissances du jeu d’origine aient largement contribué à me faciliter la tâche. Mais je reste d’avis que le titre est bien plus compliqué d’accès que réellement ardu. Plutôt avare en explications claires, Nocturne fait plutôt partie de ces titres vieille école qui ne prennent jamais le joueur par la main, préférant lui laisser le soin de découvrir par lui-même toutes les subtilités de son gameplay. Une rétention d’informations qui a le mérite d’éviter une surcharge de tutoriaux fastidieux, mais traduira également un manque de clarté susceptible de rendre le challenge quelque peu abrupt aux moins à l’aise avec le système de jeu.
Ces derniers bénéficieront toutefois de quelques nouveaux éléments permettant d’alléger plus ou moins significativement la charge si celle-ci leur paraît trop lourde. On commencera par citer la possibilité de pouvoir enfin choisir ses sorts librement lors d’une fusion de démons. Ça peut n’avoir l’air de rien dit comme cela, mais dès que l’on a compris qu’abuser de cette fonction est une des clefs de la victoire afin de pouvoir parer à toute éventualité, on bénit cette amélioration nous économisant nombre d’heures autrement perdues à multiplier les essais infructueux dans l’espoir d’obtenir enfin le set de sorts souhaités. A noter qu’il faudra remercier les joueurs Japonais ayant réclamé à cor et à cris cette fonctionnalité non implémentée à l'origine dans cette nouvelle version.
A côté de ça, et à l’heure où le débat sur la pertinence d’un mode facile dans tous les jeux fait rage, les moins courageux d’entre vous pourront largement profiter du mode Permissif activable à volonté. Outre des ennemis et des boss à peine capables de vous égratigner, et auxquels vous pourrez rapidement infliger des dégâts colossaux à un niveau d’XP correct, ce mode constituera également un moyen rapide de farmer efficacement expérience et Maccas (la monnaie du jeu), leur quantité y étant largement augmentée. Les moins patients pourront également se tourner vers la case DLC payant avec le pack « Clémence et espoir ». Deux zones dans lesquelles vous pourrez soit récupérer des grimoires qui monteront les niveaux d’expérience de n’importe qui en un temps record, ou des statues à vendre une fortune dans les magasins pour ne jamais manquer d’argent. Argent qu’on se serait bien passé d’avoir à dépenser si on souhaite avoir recours à ces facilités qui, soyons francs, paraissent aujourd’hui pertinentes afin d’esquiver les longues sessions de farm susceptibles de casser le rythme du jeu. Disons simplement que si les initiés de la série ou ceux qui ont déjà touché à un Persona verront leur tâche facilitée par une compréhension plus rapide des stratégies de jeu à adopter, Atlus propose tout de même suffisamment d’options pour que la difficulté ne constitue pas un obstacle majeur aux nouveaux joueurs.
Bla-bla du démon
On se réjouira d’ailleurs de constater que les joutes de ce Shin Megami Tensei 3 ont su garder un certain cachet malgré le poids des âges. Alors oui, le rendu visuel est aussi peu festif que le reste du jeu, et il faut évidemment ne pas être totalement hermétique au tour par tour dans sa plus pure tradition. Mais en partant d’une base finalement assez simple, Atlus avait su accoucher d’un système profond et intéressant, nécessitant de la part du joueur un vrai travail de réflexion en amont afin de ne pas se faire surprendre. D’autre part, l’un de ses gros points forts réside dans la nécessité d’exploiter une large étendue des possibilités de gameplay, incluant une volonté de mise à jour régulière de son équipe, renouvelant avec efficacité des rixes forcément assez fréquentes. Trop, diront à juste titre certains, ce qu’on expliquera par le fait que contrairement à nombre d’autres RPG, elles ont souvent tendance à s’immiscer dans les zones mêmes non hostiles, ce qui pourra finir par écœurer après plusieurs dizaines d’heures. Il y a bien le sort Estoma, qui permet théoriquement d’écarter les affrontements pendant un temps, Mais la plupart des adversaires de niveau un peu avancé sauront passer au travers. Encore une fois, le mode Permissif rendra les choses beaucoup plus digestes si vous n’êtes pas un joueur trop orgueilleux dans l’âme, et que vous éprouvez le besoin de souffler un peu. Heureusement le dynamisme des combats et le mode automatique toujours présent éviteront que s’éternisent la plus grande partie d’entre eux.
Et plus encore que n’importe quel Persona, Shin Megami Tensei 3 sait réellement donner vie à ses démons, les véritables stars du jeu. Car si ce Tokyo postapocalyptique pourra souvent paraître un peu morose, ce sont bel et bien ses entités qui sauront lui apporter un minimum de vie. La possibilité de leur parler en combat n’y sera évidemment pas étrangère. On pourra, par exemple, les recruter ou leur demander leur aide en leur offrant quelques cadeaux, ou en répondant à certaines de leurs interrogations. L’occasion de constater que chaque créature à son petit caractère, chacune étant susceptible de réagir différemment à vos sollicitations. Un intérêt qui prend encore plus d’ampleur en sachant qu’elles peuvent également initier d’elles-mêmes la conversation, qu’elles souhaitent vous rejoindre, vous soigner ou vous donner quelques précieux conseils. Autant qu’à des fins stratégiques, c’est donc avec enthousiasme qu’on converse, recrute et fusionne à outrance, afin d’en découvrir un maximum. Un aspect typique de ce qui caractérise la série et qui a contribué à faire de Nocturne un RPG dont on se souvient encore aujourd’hui. Mais il a malheureusement vieilli sur de nombreux points que ce Remaster HD ne pouvait, de par son statut, pas entièrement corriger, et dont l’obsolescence d’un game-design de presque vingt ans transparait parfois un peu trop aujourd’hui.
Shin Megami Tensei Nocturne reste et restera un RPG qui aura marqué ma vie de joueur. Avec son univers sombre et atypique, son OST nerveuse, ou ses combats plaisants et stratégiques, le titre d’Atlus reste une expérience singulière, mais extraordinaire à bien des égards. Portée par des créatures hautes en couleurs ou un système de jeu addictif à souhait, nul doute que cette aventure dans le Vortex de Tokyo a encore maintenant de sacrés atouts pour défendre son statut de jeu culte de l’ère PS2. Cependant, il faudra en contrepartie savoir composer avec pas mal de mécaniques sentant quelque peu la naphtaline, à l’image de son exploration frustrante surchargée de combats aléatoires incessants, de ses environnements vides et souvent très répétitifs, ou d’une mise en scène donnant plus dans la vétusté que dans la sobriété. Si cette version Remaster à au moins le mérite d’adoucir un challenge originellement pas très amical, ses trop timides efforts visuels ou d’accessibilité risquent d’empêcher ce Shin Megami Tensei de s’attirer les faveurs d’un public habitué à des productions plus modernes et accueillantes. Mon estime pour celui qu’on appela en Europe Lucifer’s Call restera toutefois quasiment intacte, et je ne regrette en aucun cas de l’avoir reparcouru. Cependant, une pléthore de passages un peu pénibles m’a aussi rappelé qu’aussi beaux que puissent paraître les souvenirs du passé, ils cachent pourtant quelques archaïsmes qu’il vaut mieux laisser, quant à eux, dans l’oubli.