« Dans mes nuits agitées, je vois cette licence : Silent Hill
Konami chéri, tu m'avais promis de m'y ramener un jour mais tu ne l'as jamais fait, jugeant plus judicieux de massacrer toutes tes licences à coups de pelle et de te mettre au Pachinko.
Du coup, je me sens un peu seul, maintenant.
Alors je t'attends. Dans notre endroit rien qu'à nous.
…et je ne parle pas du Casino de Yokohama, espèce de c*nnard insensible ».
Comme beaucoup de belles histoires d'amour, celle d'Edward Norton teint en blond commence dans les toilettes d'un parking d'autoroute. Le temps d'une séquence cinématique à deux de tension, il se passe le visage sous l'eau, ce qui nous apprend déjà qu'il n'a peur de rien parce que vu l'état des locaux, même les variants de la Covid y ont développés leurs propres variants. Ses mains tremblent. Le plan caméra insiste. Soit il fait une pause après son 84e essai pour vaincre Bayle sans Mimic, soit il s'est passé quelque chose. Et vu qu'il ne crie pas « CURSE YOU BAYLE ! » dans la vidéo, on en déduit qu'il s'est passé quelque chose parce qu'on est très intelligents, nous, les joueurs de 2024, et pas du tout parce que la caméra insiste lourdement sur ce détail, houlala non, penses-tu.
Une fois contaminé par tout ce qui peut vous contaminer dans des sanitaires Vinci Autoroutes (ce n’est pas pour rien si dans le milieu médical, Edward est surnommé Norton anti-virus), notre homme sort de ce qui ressemble à un T2 au Crous pour s'offrir un intermède mélancolique, accoudé à la rambarde, le temps de lancer dans sa tête l'audiobook officiel du dernier courrier de sa femme, interprétée par Francette Huster (la soeur de Francis), de l'Académie Française. Dans sa voix chevrotante : toute la détresse et la déception d'une femme en proie à la douleur et à la trahison, parce que le ton neutre et léger de la version originelle n'était pas assez explicite pour les joueurs très-intelligents-mais-c'est-mieux-si-on-insiste-lourdement-quand-même de 2024, et tant pis si cette emphase n'a aucun sens vu que c'est juste Edward Norton qui se relit le courrier dans sa tête avec la voix de sa défunte épouse, et que dans la tête d'Edward Norton ce n'est pas le cours Florent non plus (pensez à vous y inscrire si quand vous lisez quelque chose dans votre tête, vous y mettez le ton).
Ceci fait, Edward Norton se met en chemin. Mais pensez-vous qu'il retournerait à sa voiture ? Que nenni. Edward Norton est désormais contrôlé par un joueur humain. Il commence donc par faire ce que tout Edward Norton contrôlé par un joueur humain ferait en pareilles circonstances : il se précipite vers la route et essaie de rebrousser chemin « juste pour voir ».
« CURSE YOU, BAYLE ! », s'écrie alors Edward Norton, en heurtant violemment un mur invisible, vestige d'une préhistoire vidéoludique qui a fait les beaux jours d'oeuvres rétros techniquement dépassées telles que Final Fantasy XVI (tm). Pas même une petite animation par laquelle il rebrousse chemin sans nous demander notre consentement, pas même la traditionnelle petite réflexion à voix haute du genre « je suis pas venu ici pour souffrir ok ?! /il est trop tard pour faire demi-tour/elle est où la poulette ?". Rien. Edward Norton se tient debout, là, fier, face au vide. Il voudrait bien avancer encore mais il ne peut plus. C'est tout.
Heureusement, son désarroi n'est que de courte durée puisque le jeu le récompense généreusement d'avoir fait ce qu'il ne devait pas faire en lui décernant un trophée bien mérité. C'est le premier trophée du jeu. Et le premier trophée du jeu se débloque parce que le joueur fait n'importe quoi au lieu de suivre le déroulé logique de l'aventure. Ha ben. Ça promet du lourd, ça, mesdames et messieurs. L'espace d'un instant, j'ai cru que j'avais relancé Hogwart Legacy : « …et parce qu'ils n'ont pas suivi les instructions du jeu, et qu'ils n'en ont rien eu à taper de la cohérence scénaristique, mais qu'ils ont su en cela démontrer un réel esprit d'initiative et de curiosité... dix mille points pour Gryffondor ! ». Edward Norton se note donc dans son carnet mental de tabasser vertement les PNJ à coups de barre au mine au cas où.
Après quoi le joueur fait ce que n'importe quel joueur envisagerait dans un deuxième temps : il essaie de re-retourner dans les toilettes, dont le personnage vient juste de sortir mais c’est-pas-pareil-parce-que-jusque-là-c’était-une-cinématique, et les cinématiques c'est bien joli mais c'est une atteinte grave au libre-arbitre et personne n'aime ce genre de choses en 2024. Et puis qui sait ? Peut-être Edward pourra-t-il y looter de façon tout à fait impromptue et accidentelle des trousses de pharmacie ou des balles de revolver malencontreusement oubliées là par une famille de touristes allemands. Il est comme ça, Edward Norton. Il est guidé par un instinct supérieur appelé « la force de l'habitude vidéoludique ». C'est le septième sens des personnages de jeux vidéo. Sauf qu'au lieu d'ouvrir la porte du local, il se prend celle-ci en pleine tronche, comme quoi les autres sens ne sont pas à négliger non plus en contexte de la vie de tous les jours. Non pas que la porte en question se soit mystérieusement fermée à double tour derrière lui, non, je veux bien qu'on soit dans Silent Hill mais il y a des limites au surnaturel tout de même. Simplement, il est comme le joueur de 2024, Edward : il est très très intelligent mais il faut lui expliquer les choses longtemps. Il n’a pas encore intégré que les portes avaient des poignées et que ces poignées servaient à ouvrir celles-ci. Les portes, Edward, il les ouvre, oui. Mais avec son visage. C'est son signature move à lui. Car pensez-vous que le joueur aurait un bouton d'action contextuelle à presser pour interagir avec elles ? Que nenni non plus ! Quoi qu'en disent les murs invisibles, on est en 2024. Les actions contextuelles, c'est fatigant, c’est bon pour les moments où il faut franchir une fissure, là par contre oui il faut appuyer sur X, pourquoi là et pas ailleurs, on sait pas, on saura jamais. Il faut croire que les poignées de porte, c'est has been. Pour les ouvrir, dorénavant, on leur fonce dedans comme si elles n'existaient pas, et on les pousse avec toooooout le corps. Ça fait un peu teubé sur le moment mais c'est tout aussi efficace. En plus y'avait rien à looter, donc bon, on ne va pas épiloguer là-dessus.
Son exploration terminée, le joueur fait ce que n'importe quel joueur aurait fait à sa place avant toute chose : il passe les graphisme du jeu en mode « performance », parce qu'il en a déjà un peu marre de voir les touffes d'herbes poper devant lui comme des taupiqueurs (tm) dès qu'il se met à courir à petite foulée, ou la pluie ne tomber que dans les flaques d'eau, à plus forte raison quand il ne pleut pas. En plus ça lui permet de se débarrasser du motion blur, qui est au jeu vidéo l'équivalent technique de la gueule de bois. Bon, ça pope toujours, ça pleut toujours, certes, mais moins. Francette Huster glisse à l'oreille d'Edward d'une voix langoureuse : « t'avais qu'à te prendre une PS4 Pro ou un PC custom de compétition, espèce de pauvre ». Edward opine silencieusement. Ce n'est pas une larme sur sa joue. C'est la pluie.
Après s'être acquitté de ces tâches nécessaires, et avoir récupéré une carte inutile dans sa voiture, au cas où il aurait du mal à se repérer entre une grosse route condamnée par tout ce que la municipalité avait de panneaux en réserve, et un unique petit chemin de terre forestier (on sent que le jeu d'origine a été programmé avant la crise du papier : cette carte est encore moins utile que le guide Piggyback de Final Fantasy XIII), notre héros s'engage dans ce qui s'annonce être une loooooongue descente atmosphérique vers la ville de Silent Hill, durant laquelle il n'aura rien à craindre à part des arbres qui font crac dans le vent. Comment le sait-il ? Lui-même l'ignore. Il a l'impression étrange d'avoir déjà vécu tout ça, mais en version polygonée (comme les fonctionnaires le lundi matin). Il aime la rando en forêt alors des fois, il essaie de s'écarter du chemin pour aller cueillir des champis, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que le scénariste qui en profite, cependant là encore, il se contente de faire la bise à des murs invisibles, comme dans le film la Cabane dans les Bois mais en moins volontaire. Une fois de plus, notre homme reste stoïque : pensez-vous là encore qu'il se fendrait d'une petite animation de demi-tour, ou d'un petit « non, j'ai pas mes bottes de pluie, en plus je suis allergique à la nature » ? Pas du tout. Il reste planté là comme un c*n , à regarder fixement les sous-bois sans avancer d'un centimètre, jusqu'à ce que le joueur se lasse et décide de retourner sur le sent... quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, Jean-Claude Fanboy ? « Les murs invisibles, ils étaient aussi dans le jeu d'origine » ? Mais c'est vrai, ça. Tu sais ce qu'il y avait aussi dans le jeu d'origine, Jean-Claude Fanboy ? Des changements d’angles de caméra. Est-ce que tu vois encore des changements d’angles de caméra ? Comment ça, « les changements d’angles de caméra c'est plus envisageable dans des jeux d'aujourd'hui » ? Et The Medium, c'était quoi, Jean-Claude ? C'est sorti sur quelle console, The Medium ? Sur PS3 ? Je ne crois pas, non. Et c'est qui qui l'a programmé, The Medium ? Voilààààààà, on y arrive. Comment ? « C'est trop daté, les changements d’angles de caméra » ? Parce que les murs invisibles, c'est pas daté, peut-être ? ! Ha ben je suis navré mais pour moi y'en a un qu'est vaaaaachement plus daté que l'autre, sauf le respect de ton expertise. Y'en avait, des murs invisibles, dans Alan Wake 2 ? Non. Pas sans animation ou réflexion idoine, en tout cas. Et il est sorti quand, Alan Wake 2 ? L'année dernière. Alors bien sûr qu'on ne peut pas comparer un géant du gaming comme Remedy à une petite entreprise familiale comme Konami (tu la sens, là, l'ironie, joueur très intelligent de 2024, ou je dois te la refaire avec la voix de Francette Huster?), mais au bout d'un moment, il faudrait savoir : on modernise ou on modernise pas ? C'est de la modernisation à deux vitesses ? De la discrimination modernisatoire ? Attention Jean Claude, tu files un mauvais coton. Je vais te balancer à Kotaku.
Et une petite animation standard au bord des (nombreux) gouffres qui jalonnent le parcours, genre le personnage qui est pris de vertige ou qui manque de perdre l’équilibre, comme dans approximativement 99% des jeux de ces quinze dernières années, ça les aurait tué ou bien ? Edward note automatiquement tous ses points d’intérêt d’un coup de marqueur sur la carte, mais il reste impassible face aux nombreux obstacles dressés sur son chemin, quelle que soit la forme qu’ils puissent prendre, le trou sans fond étant accueilli avec le même flegme que le pot de fleur renversé. Le gars est solide, quoi (à lire avec la voix de Thomas Ngijol dans Black Snake, film que je suis la seule personne sur terre à avoir apprécié). C’est un peu déstabilisant lors de la prise en main, comme si on jouait à deux jeux distincts à la fois : un qui fait les choses bien et l’autre qui n’en a rien à foutre. Une dichotomie que nos ados connaissent bien.
Et ici je me permettrai un premier aparté, de crainte que cette critique ne soit pas encore assez longue. J'ai eu un échange très intéressant avec un internaute américain, à ce sujet, lequel me disait en substance :
- C'est n'importe quoi, moi j'ai fait le jeu en entier, je n'ai pas vu un seul mur invisible.
« Peut-être parce qu'ils sont invisibles », ai-je risqué avec l'irrévérence sarcastique qui me caractérise dès lors qu'on me donne à manger après minuit. A quoi mon interlocuteur a rétorqué, deux points ouvrez les guillemets : « prouve-le, sale hater, envoie des screenshots ». Des screenshots... de murs invisibles ?, me suis-je enquit en retour, pour être sûr d'avoir bien compris son injonction paradoxale. Mais j'avais bien compris. Ce qui m'a rappelé cette autre anecdote vieille de quelques mois à peine : j'avais commandé un coffret Bluray collector en solde, il était censé arriver avec le CD de la bande son mais au déballage, le CD n'était pas là, j'ai contacté le service après-vente, ils m'ont répondu de prendre une photo du problème pour qu'ils puissent le constater par eux-mêmes. J'ai failli faire remarquer que rien ne m'empêchait de prendre le coffret, sortir le CD et prendre la photo ensuite, mais comme je tenais à en recevoir un en remplacement, j'ai fait canard et je leur ai fourni le cliché en question, des fois qu'ils pourraient prendre mon mauvais esprit au premier degré et me balancer aux autorités.
Pour en revenir à mon interlocuteur, j'ai tout de même essayé de comprendre où il voulait en venir, un de mes plus grands défauts dans la vie, alors j'ai reformulé : « donc il y a des murs. Ils sont invisibles. Mais ce ne sont pas des murs invisibles ? ».
Le gars m'a bloqué.
Fin de l'aparté.
Bref, j'en étais où ?
Ils m'ont complètement flingué mon récit, ces c*ns.
Attendez, je consulte la carte. Ha oui. J'avais fait dix mètres, pardon.
Donc en chemin, Edward Norton arrive dans un petit cimetière à l'abandon, comme on en trouve souvent en pleine campagne, où il rencontre une caissière de Super U en train de se recueillir devant une tombe et... ha non, mince, il paraît que c'est Angela, notre premier PNJ canonique, et vu sa tête, a priori, James n’est pas le seul à se prendre des portes et des murs invisibles tous les deux mètres. Edward et elles sympathisent, elle lui parle mais alors absolument pas comme le ferait une gamine de 16 ans et du coup ça valait bien tout ce foin avec cette histoire de nouveau design plus en adéquation avec son âge, puis elle le met en garde, comme quoi la ville de Marseille c'est plus trop comme av... attendez, j'ai écrit « Marseille » ? Pardon, je voulais écrire « Silent Hill », c'est un lapsus. Il n'y a pas de brouillard à Marseille. C'est la seule différence.
Angela ayant profité d'un moment de flottement à la fin de la cinématique pour se retéléporter au Super U, Edward reprend son petit bonhomme de chemin, non sans s'être heurté à un mur invisible en essayant d'entrer dans la petite chapelle à gauche, puis s'être heurté à un mur invisible en essayant d'aller dans l'eau à droite. Mais il est chiant aussi à ne pas vouloir rester sur ses rails.
Quelques minutes plus tard, il se heurte à sa première énigme contextuelle, et non des moindres : un portail fermé à clé. Mais on ne la fait pas au joueur très intelligent de 2024, il sait qu'il doit trouver une clé, et même qu'il doit trouver celle-ci dans son périmètre immédiat, c’est la tradition (même si c'eut été hilarant que les programmeurs la planquent dans les toilettes du parking au début du jeu, obligeant notre héros à tout se retaper en sens inverse. La Bloober Team n’a aucun humour…). Ça tombe bien, il y a un portail entrouvert juste à côté, qu'Edward s'empresse de franchir d'un coup de hanche bien placé en criant « WHOOO'S BAD ! ». Sur ces entrefaites, il repère bientôt une fenêtre cassée qui lui permettrait d'entrer dans le bâtiment, ce qui est accessoirement la seule action contextuelle à sa disposition, mais dans le doute, la jurisprudence « Joueur Très Intelligent de 2024 » fait que les programmeurs lui ont quand même laissé une note punaisée au mur pour lui indiquer où est cachée la clé en question (pire cachette de l'univers, du coup).
Intérieurement, Edward Norton ronchonne un peu parce qu'il s'y connaît assez en game design pour savoir reconnaître du remplissage quand il en voit un, mais il n'en récupère pas moins la clé, non sans avoir abondamment maté les affichettes sexy du garagiste.
Et alors pardon de m'auto-interrompre encore mais je voudrais ici insérer un deuxième aparté dans la foulée (j’attire votre attention sur l’emploi ici du terme « deuxième », et pas « second ». Les vrais de l'orthographe-grammaire sauront).
J'aimerais qu'avec notre héros, nous partagions un temps de communion perplexe face à ce premier obstacle inédit et posions les choses noir sur blanc, dans des mots simples, histoire de bien mesurer l’énormité de la chose. Pour une raison qui m'échappe totalement, le seul accès forestier à Silent Hill est barré par une porte fermée à clé. Pour une raison qui m'échappe plus encore, la clé de cette porte est conservée par le garagiste. Ce qui implique, arrêtez moi si je me trompe, que quiconque veut emprunter le chemin forestier pour aller, je ne sais pas, par exemple, au garage du garagiste ; ou même, soyons fous, au ranch en amont, ou même se recueillir à son tour au cimetière, doit demander au garagiste de lui déverrouiller la porte, en admettant que le garagiste soit là et quand bien même, il n'y a pas d'interphone alors il fait comment, le gars, il crie très fort à hauteur de la clôture « CURSE YOU, GARAGISTE ! » ? Il a quand même intérêt à avoir de sacrés poumons, comme on dit dans l'industrie de la pornographie, parce que ce n'est pas bruyant du tout, comme activité, la carrosserie, pensez-vous. Encore que. La porte verrouillée étant à taille humaine, il sera difficile d'y faire passer quelque véhicule que ce soit, dès lors qu'on ne s’appelle pas Vin Diesel. Du coup le garagiste est sans doute au chômage technique depuis des années sans en comprendre la raison, ce qui expliquerait l'état de son atelier. A quoi ça tient, quand même, le dépôt de bilan. A moins bien sûr qu'il ne s'occupe que des voitures invisibles capables de franchir les murs invisibles, c'est possible aussi. Nous sommes à Silent Hill, après tout. Tout y est possible. Dès lors, pour quoi pas n'importe quoi ?
Mais foin de tergiversations inutiles, ce sera comme ça avec tous les segments rajoutés par les Bloober alors autant ne pas trop s’attarder. Un tour de clé dans le bon sens et hop, nous voilà enfin de retour à Silent Hill, prêt à en découdre, à en recoudre, et tout ça en points de croix.
Une Silent Hill qu'Edward et le joueur retrouvent au détail près : les boutiques, les rues, l'ambiance, les... euuuuh... murs invisibles, partout, les bagnoles en travers, les poubelles qu'on ne peut pas enjamber, les murs de détritus qu'on ne peut pas déplacer... Pas de doute, le lapsus était légitime : Silent Hill a le même service de voirie que la ville de Marseille.
Après un petit tour chez le pire fleuriste de tout le réseau Interflora, Edward Norton confirme que son deuxième signature move sera de clipper salement à chaque fois qu'il passe une porte, jusqu'à ce qu'un patch ultérieur se décide à lui faire perdre cette sale manie.
Au terme de quelques nouvelles errances dans le brouillard, durant lesquelles on aura essayé de forcer toutes les portes à coups de tête parce qu'on a lu dans la presse qu'il y avait plus de liberté d'exploration dans le remake, en vain, Edward aperçoit enfin ce qu'il pense être un autochtone en goguette (même si le joueur a bien vu que le truc n'était pas très avenant de sa prestance physique). Ni une, ni deux, il le prend donc en chasse pendant que celui qui tient la manette crie mentalement « non non non ! » dans sa tête avec la voix off de Francette Huster en mode scream queen (enfin, ça, c'est l'effet recherché. En réalité, dans la tête du joueur de 2024, ce serait plutôt « HA ENFIN UN PEU DE BASTON SA MERE JE VAIS LUI DEFONCER SA TRONCHE A CE TRUC MEME S'IL EN A PAS ! »). Et nous voilà donc lancé dans une folle course-poursuite à la ScooBiDoo inversé (haha, qu’est-ce qu’on rigole, c’est plus Benny que Silent sur ce coup), laquelle nous conduit jusque dans une maison où la créature s'est incrustée sans aucune raison valable en fracassant le bas de la porte du garage avec une flaque de liquide tout rouge devant, que notre héros peine à identifier, bien qu'il en ait plusieurs litres à l'intérieur du dedans de lui-même. Notons qu'à ce stade, après avoir rampé à son tour dans le trou, Edward pense encore qu'il a affaire à un être humain normal et parfaitement équilibré. Quelle n'est donc pas sa surprise, holala, oui, fouyoyouye, quand il se retrouve nez-à-groin avec ce qui aurait dû avoir l'air d'une masse de chair protéiforme incompréhensible mais qui, en HD, ressemble à s'y méprendre à un intermittent du spectacle déguisé en saucisse en justaucorps, jusqu'à la fermeture éclair cousue dans le dos, lisse, plat, aussi effrayant dans son genre que le schtroumpf-salami en couverture de l'album l'Oeuf et les Schtroumpfs.
Oui Jean-Claude Fanboy ? « Les monstres ressemblaient déjà à ça dans le jeu d'origine, mais la résolution de l'époque brouillaient les contours et les textures, ce qui leur donnait cette aura malsaine et indéfinissable qui a fait la réputation de ce bestiaire » ? Et donc ? Où veux-tu en venir Jean-Claude ? Ce que tu essaies de me dire, c'est que les développeurs n'ont pas su faire aujourd'hui avec une technologie de pointe ce que leurs prédécesseurs ont réussi sur une console 64 bits ? Qu'ils ne pouvaient pas trouver une astuce créative, genre, revoir les designs – ils ont bien fait ça pour les personnages -, coller un filtre, je ne sais pas, moi, proposer quelque chose d'un peu novateur qui transcrirait l'angoisse jadis suscitée, faire se mouvoir les boursouflures aléatoirement sur les corps, par exemple, au lieu de décalquer bêtement les concepts arts d'il y a vingt ans en mode figurine en plastique Funko juste pour faire de l'appel de pied aux fans hardcore dans ton genre ? Tu n'as pas l'impression d'être pris pour un dindon, des fois, Jean-Claude ? Non, je demande, juste.
Bref. Arrête de m'interrompre sinon on y arrivera jamais. Je te ferais remarquer qu'on a à peine dépassé la première demi heure de jeu, là.
J'en étais où.
Ha oui.
A la merci de cette créature presque effrayante mais pas trop, Edward voit toutes ses vies antérieures défiler devant ses yeux, notamment celle dans laquelle il a été béret vert et où il a été formé à quatre cent techniques de combats à mains nues. Aussi terrorisé que le joueur par ce Knacki mutant, c'est à-dire pas du tout, il se tourne vers la fenêtre derrière lui, condamnée par des planches clouées, et fait ce que tout être humain normal aurait fait à sa place : il lutte laborieusement pour ôter l'une des planches et se faufile au travers de l’encadrement, puis retourne en courant jusqu'à sa voiture, démarre en trombe, fait demi-tour et se fracasse contre le mur invisible du début du jeu. FIN. Générique. Ha non, pardon. Je voulais dire : il fait ce que tout joueur de 2024 ferait à sa place. D'un geste assuré, il ARRACHE un gros bout de bois CLOUTÉ comme si ce dernier avait été vaguement patafixé sur la fenêtre, s'en saisit gaillardement comme d'une batte de base-ball et se précipite sur Justin Bridou (« je voulais juste lui demander du feu, moi, à la base. C'est pas ma faute si je suis né sans tête », se confiera ce dernier par la suite à notre service de traumatologie). Ou plutôt non, attendez, j'ai omis une étape importante, pardon, je raconte mal. Edward se saisit du bout de bois clouté, mais avant de se jeter sur la créature, il ferme les yeux, concentre en lui l'énergie universelle, tape le Konami code, passe en Super Saiyan God, active le mode Ultra Instinct, se téléporte face à son adversaire, crie pour la forme « C'EST FINI POUR TOI FREEZER ! » (à cette occasion, Edward est exceptionnellement doublé par Brigitte Lecordier qui, dans un grand moment d'improvisation, ajoute « TINTINTINTINTIIIIINNNN » à la fin). Ses cheveux blonds passent à l'encore plus blond, puis au rouge, puis au noir, puis au bleu. D'un coup de poing, il coupe son adversaire en deux, puis il s'envole, réunit un Genkidama de la taille du soleil et le lance sur Silent Hill, rayant définitivement la ville de la carte et les ennuis avec. FIN. Générique.
Bon, ok, j'exagère un peu, même si ce n'est pas DU TOUT mon style.
Mais il n'empêche : outre le fait qu'on n'arrache pas une planche cloutée si facilement que ça, sans quoi on ne s'en servirait pas pour condamner des fenêtres (CQFD), une fois celle-ci en main, voilà que notre monsieur-tout-le-monde-qui-n'est-pas-du-tout-Edward-Norton se rappelle les règles du Fight Club : ses mouvements jusqu'ici normaux deviennent d'une rapidité et d'une précision foudroyantes. Pourtant volumineux, le bout de bois ne pèse plus rien, notre homme manie ça comme un sabre en polystyrène de la Japan Expo, avec une aisance telle qu'il pourrait prendre dans l'octogone (où le rectangle, à sa convenance) Travis le routier sympa d'Origins, Alex le militaire schizo d’Homecoming et Murphy le détenu de prison de haute sécurité de Downpour. Tous à la fois et ses mains attachées dans le dos. La pauvre créature difforme n'a aucune chance. Quelque part dans une dimension parallèle, l'entité qui la contrôle jette la manette de frustration : elle sait que le game over est imminent. Plus jamais elle n'achètera un From Software, se jure-t-elle. Et alors c'est quand même marrant, qu'en 2024 ça passe crème, qu'on appelle ça de façon hypocrite du « gameplay modernisé », alors que dans Silent Hill Homecoming ça avait été unanimement critiqué à l'époque de sa sortie « parce que ça trahissait l'esprit de la licence ». A croire que quelque chose s'est perdu en 16 ans, « la dignité », «l'esprit critique », « la culture vidéoludique », que sais-je. Mais après, bon, je comprends, hein, Sparking Zero sortait la même semaine, il fallait s'aligner. Personne n'a envie de jouer un mec normal qui ne s'est jamais battu de sa vie dans une ville mystérieuse peuplée de créatures monstrueuses. Hein ? Quoi ? C'était pour ça qu'on avait signé, à la base ? Ha mince, oui, c'est vrai. Aux temps pour moi. Les mecs normaux, c'est pas assez moderne.
Et donc après ce nouvel intermède de meublage ludique inédit, dont l’impact est bien moindre que la première rencontre dans son format d’origine, revoilà Edward dans la rue, mais armé et dangereux, s’écriant à tue-tête « IL EST OU PYRAMID HEAD IL EST OU IL VEUT QUOI SUR LA VIE DE MOI J’LUI CASSE SES DENTS ?!!!! ». A priori il est aussi à l'aise avec l'usage de ce genre d'accessoires qu'un Redneck à la sortie d'un concert des Boys II Men. Finie la maladresse, la lourdeur, la réticence, le dégoût du jeu originel : notre héros 100% pur F*ck Yeah USA met ses pieds où il veut et c'est souvent dans la gueule, plusieurs fois d'affilée, à tel point qu'il semble en prendre un pas possible. Dans la vraie vie, Edward, on sent qu'il fallait pas trop l'emmerder quand il rapportait son portable au service après-vente de chez Orange. S'il y a bien une question que les monstres de Silent Hill ne se poseront jamais, c'est « Edward, petit grand frère, pourquoi j'ai mal ? ». Côté joueur, ça fonctionne du tonnerre, je ne m'étais pas senti aussi vulnérable depuis la fois où j'étais en voiture et où j'écoutais du Offspring à fond. Ha non mais il me tarde que les développeurs compensent artificiellement la chose en me balançant des ennemis par paquets de quinze, absolument-pas-comme-dans-le-jeu-original, pour être bien sûrs de ne pas dépayser ceux qui ont kiffé Resident Evil Remake. C'était une de mes craintes premières à la vue des trailers, elle semble se confirmer manette en main. Et autant dans un Resident Evil Remake ça ne dérange pas outre mesure, parce que la série s'y prête mieux et qu'elle a opéré ce virage « action game » dès son épisode 4, autant dans un Silent Hill, c'est péché. Et avant que Jean-Claude fanboy nous refasse le coup du « non mais il faut que la licence évolue on ne peut plus faire du tour par tour en 2024, il faut adapter le gameplay au nouveau public en lui proposant des mécaniques de jeu PS3 d'entrée de gamme » (suivez mon regard), je l'invite à relire les tests d'Homecoming pour en avoir la confirmation objective :
« En tout premier lieu, il semble évident que Double Helix n'ait pas vraiment compris le sens même de Silent Hill, ce qui fait avancer la série, de quoi elle se nourrit. Le titre se trouve ainsi plombé d'un bout à l'autre par d'incessants combats afin de mettre en avant la jouabilité, certes évolutive, mais finalement entièrement dédiée aux rixes. Car oui, Homecoming tient plus du jeu d'action perdu dans le brouillard que d'un véritable Silent Hill. L'embêtant est que les développeurs se sont apparemment dit qu'il suffirait de réaliser quelques figures imposées afin de faire passer le tout. Monumentale erreur. Il ne suffit pas d'opter pour le grain typique de la saga, d'inclure Pyramid Head ou les infirmières, un proche disparu ou l'altération du monde "réel" pour pouvoir estampiller le tout de la mention SH. Malheureusement les développeurs sont passés à côté de cette évidence et se sont amusés (sentis obligés ?) à reprendre tous les gimmicks de la série ». (Jeuvidéo.com)
Et donc après avoir récupéré une radio magique à travers laquelle la voix de sa femme lui spoile le dénouement du jeu (mais elle peut se le permettre parce que le joueur très intelligent de 2024 l'est beaucoup trop pour comprendre son double sens grossier, et de toute façon tout le monde a fait le jeu d'origine donc ce n'est pas vraiment du spoil, n'est-ce pas ?), puis ramassé un message très très effrayant lui conseillant de fuir-fuir-fuir en lettres de sang (holala que c'est original, holala que c'est bien écrit, holalala que ça ne fait pas peur), Edward reprend sa route en se disant que si les gars on le temps de rédiger des messages en lettres de sang recto-verso avant de se faire zigouiller, c'est que le danger en ville est tout relatif.
Le jeu débute enfin. Son voyage initiatique, également.
Et là il convient d'opérer un nouvel aparté à cœur ouvert pour rassurer les fans de Bloober Team : vous avez sans doute pu lire ici et là qu’il s’agirait du meilleur jeu du studio, que c'est fini le Bloober Team à Papa, que le studio aurait enfin signé son chef d’œuvre (ce qui a dû faire très plaisir à l'équipe, au passage : « ces mecs ne savent pas faire un jeu à eux mais alors quand il s'agit de faire un remake c'est des cadors ! »), et vous craignez sans doute de ne pas avoir dix mille tiroirs vides à ouvrir ou dix mille interphones auxquels sonner pour écouter quelqu'un vous raconter sa vie nulle sans rapport avec le scénar’, ou n'importe quel autre moyen grossier de rallonger la durée de vie et feindre une interaction ?! Peut-être même (vous n’osez pas y songer) n’y aura-t-il pas de tableaux qui tombent des murs pour faire trop trop peur ?!
Soyez sans craintes : des tableaux qui tombent, il y en aura, comme dans tous les jeux du studio. Des tiroirs vides, il y en aura aussi. En abondance. Des fois, vous pourrez les ouvrir et des fois pas, de manière totalement aléatoire, c'est comme ça, ce tiroir il inspire confiance, celui-là non, « pourquoi ? » demande notre esprit rationnel d'une petite voix mal assurée, « ta gu*ule c'était déjà dans le jeu d'origine » répond notre Jean-Claude Fanboy intérieur avec la voix de Francette Huster, oubliant opportunément l'année en laquelle nous nous trouvons et le vœu des développeurs de « moderniser la formule », ou le fait qu'un cadre plus réaliste avec une banale caméra par-dessus l'épaule rend le jeu plus lisible et par conséquent, grossit les moindres petits arrangements avec la suspension d'incrédulité (tapis dans lequel FF VII Remake s’est pourtant abondamment pris les pieds en son temps, sans qu'a priori cela serve d'exemple aux autres, quelle tristesse). Mais attendez, ce n'est pas tout ! Les tiroirs, c'est une chose, mais on en a déjà ouverts plein dans les deux Layers of Fear. Le fan de la Bloober Team appréciera l'effort mais il aura besoin de neuf, d'inédit, de créatif. Et il sera comblé. Car il aura cette fois des vitrines à péter. Plein. Partout. Et ce ne serait pas un jeu Bloober Team si la plupart d'entre elles n’étaient pas vides, mais s'il ne fallait pas toutes les péter quand même par acquis de conscience des fois qu’il y aurait des trucs planqués dedans. Si vous n'avez pas absolument tout pété dans le premier secteur de la ville, vous avez de grandes chances d'être passé à côté d'une des photos mystères à collectionner (on les appelle comme ça parce que leur intérêt est un mystère, mais ça fait toujours plaisir à ceux d'entre nous qui souffrent de troubles obsessionnels compulsifs et qui se sentent forcés de ramasser tout ce qui traîne – et en la matière, ils seront servis puisqu'il y a même du « rien » à découvrir : des lieux ou des objets qu'on va fixer exprès et qui vont s'accompagner d'un effet de lumière bizarre, sans qu'on ne sache jamais à quoi ça sert. Mais bon. Ça occupe. C'est donc ça, le « tourisme » ?). Pas étonnant que Silent Hill soit en ruines si à chaque nouveau visiteur, celui-ci la ravage méthodiquement à la recherche d'autocollants Panini pour compléter son album. Que le suivant ne s'étonne pas de trouver les vitrines pétées. Toutes ? Non. Ce serait trop simple. Une poignée d'irréductibles fenêtres résistent en verre et contre tout aux assauts de la massue en bois (au mépris de toute logique et de toute cohérence ludique, lorsque dans les appartements Wood Side, Edward se laisse décourager par une porte fermée alors qu'il pourrait casser la fenêtre d'à côté pour entrer dans la pièce), mais comme le bout de bois en question passe aussi à travers les murs quand il les rase de trop près, on ne s'en formalise pas et on se dit qu'au pire, si Edward ne retrouve pas sa femme, il pourra se reconvertir en boss de fin de niveau chez From Software.
Mais trêve de digressions (rires), cette fois, les choses sérieuses commencent. Le brouillard de la ville se referme sur Edward Norton. Il n'y a plus de retour en arrière possible, ni de pas de côté non plus - rapport aux murs invisibles qui-ne-sont-pas-des-murs-invisibles-mais-un-peu-quand-même. Le danger est partout. Les rues sont infestées de monstres-saucisses et il n'a pas son pot de moutarde sur lui. Pour ne pas craquer mentalement face à ces horreurs, il ne pense plus qu'à son objectif, c'est ce qui le tient, son but supérieur, pour lequel il est prêt à mettre sa vie en jeu : réparer le juke box. A ce stade de son aventure, il a vraisemblablement oublié qu'il était venu à Silent Hill pour retrouver sa défunte femme. A peine a-t-il posé le pied à l'intérieur du bar du coin (au cas où elle y serait installée pépouze en train de siffler mojito sur mojito) qu’il aperçoit ses formes affriolantes sous sa bâche de protection : son âme-soeur, l'amour de sa vie. LE JUKEBOX. Le coup de foudre est immédiat, même si pas nécessairement réciproque, on ne sait pas, je ne parle pas l'électroménager. Dès lors, notre héros va consacrer un temps et une énergie considérables à réunir pêle-mêle : une deuxième moitié de disque, une touche de clavier manquante, un tube de colle et une pièce à mettre dans la machine (parce que le bar n'a absolument pas de caisse enregistreuse, on y paye en bitcoins). Ceci, sans raison valable, encore (à part meubler paresseusement, pour gonfler la durée de vie du jeu et faire genre « y'a des nouveautés ») puisqu'à ce stade de ses errances, il n'est bloqué que par les fameux murs pas invisibles ; il lui suffirait d'enjamber deux sacs poubelles pour reprendre son chemin vers l'infini et au-delà. Non seulement ça mais il n'a aucun moyen de savoir qu'il y a une clé dans le jukebox (pire endroit de l'univers pour ranger une clé, au passage, mais bon, au moins on n’a pas besoin d'appeler le garagiste en renfort, sur ce coup), et que cette clé lui déverrouillera le seul accès menant à une autre clé, qui elle-même lui permettra de déverrouiller l'entrée de l'immeuble dont il ne sait pas encore qu'il sera le seul accès au secteur suivant de la ville. Edward répare donc le juke box juste pour réparer le juke box, non sans briser toutes les vitrines sur son chemin par acquis de conscience. Il vit sa meilleure vie, courant d'un pâté de maisons à l’autre en toute insouciance sous le non-regard complice des bestioles alentour (qui sont affamées, et donc n'ont pas d'oreilles, comme le dit le dicton. Du coup vous pouvez fracasser allègrement toutes les vitrines que vous voulez à proximité, juste parce que vous êtes en colère contre le système, le bruit ne les attirera pas, c'est vrai, ça aurait été dommage, en 2024).
Quoi encore Jean-Claude ?
« C'est un jeu vidéo, il faut bien qu'il y ait des trucs à chercher et des énigmes à résoudre ».
Certes.
MAIS ON PEUT AU MOINS S'ARRANGER POUR QU'ELLES AIENT UN SENS DU POINT DE VUE DU PERSONNAGE !
Oui, Jean-Claude. Oui je m'énerve mais parce que tu m'énerves, voilà, c'est dit. La cohérence interne, ça fait partie du job, c'est pas en option, on parle de Silent Hill 2, là, bon sang, pas du jeu vidéo de Fort Boyard. Dans le jeu d’origine, chaque énigme est contextualisée de sorte que le personnage sait qu’il doit la résoudre pour pouvoir avancer. Il ne résout pas des énigmes juste pour le plaisir de résoudre des énigmes. On parle d’Edward Norton, là, pas du professeur Layon. Tu vois la différence ? Non ? Ben dis-toi que c'est un mur invisible, alors et allez, hop, on avance avant que je ne t'en colle une.
Par bonheur, Edward est un homme chanceux. Le dieu des jeux vidéo l'a à la bonne : non seulement il lui fournit l'item dont il a besoin pour poursuivre sa route mais en plus, par morceau de musique interposé, il le met sur la voie. A l'écoute du morceau le plus sinistre depuis la Sonate au Clair de Lune, notre homme est pris de nostalgie, les souvenirs heureux remontent à la surface comme les corps des bestioles quand il les jette dans l'eau (je rigole, on ne peut pas faire ça. Ne vous emballez pas, les enfants. On n'est qu'en 2024). Voilà qu'il se rappelle soudain avoir passé TOUTE UNE JOURNEE au bord du lac en compagnie de sa moitié, et que ça avait été genre UNE DES PLUS BELLES JOURNEES qu'ils aient vécus tous les deux. Lui qui se demandait quelques heures plus tôt sur le parking ce que sa femme pouvait bien entendre par « leur endroit spécial à eux », tout à coup, il se dit « et si ? ». Et si cet endroit spécial, c'était ce fameux lac où ils avaient passés ensemble l'une des plus belles journées de leur vie ? Ha on sait pas, hein, c'est vrai que c'est un peu foufou comme hypothèse, on comprend qu'il n'y ait pas pensé d'emblée tout seul dès les premières secondes du jeu comme dans l'original, c'est vrai que c'est beaucoup plus crédible comme ça, parce que si on devait se rappeler à la demande les plus belles journées de nos vies ça ferait moins de place pour les émissions de Touche pas à mon Poste. Y'a pas à dire, de toute évidence, Edward ferait un très bon joueur de 2024. S'il pouvait, il achèterait Silent Hill 2 remake. La version collector, avec la figurine résine du Juke-Box en sous-vêtements. C'est le génie Bloober à l’œuvre : jamais totalement nuls, jamais complètement bons, si bien qu'à chaque fois on espère et qu'à chaque fois on est déçus. Un peu comme Edward, finalement.
Et comme le bougre s'apprête ENFIN à pénétrer dans son premier environnement clos, et qu'il y trouvera par conséquent moins de murs invisibles vu le nombre de murs visibles au kilomètre carré, j'aimerais conclure sur ce point, en réponse différée à mon camarade yankee : non, un mur invisible n'est pas nécessairement un mur, ni invisible à proprement parler. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, un mur invisible, ça peut également être un obstacle que le personnage est en capacité de franchir sans problème mais qui ne l'en bloque pas moins. Quand Bruce Rosefield, le héros de Final Fantasy XVI Arkham edition, ne peut pas franchir un petit ruisseau, alors que le reste du temps il peut refaire toute la cérémonie d'ouverture des JO rien qu'en pressant carré + triangle, ce n'est certes pas un mur, puisque c'est un ruisseau, et il n'est pas invisible parce qu'on le voit à l'écran, et pourtant c'est bel et bien un mur invisible. C'est très technique, je sais. Ça vaut aussi pour les plots de travaux en plastique, les poubelles, les sacs de détritus, les pots de fleur et les voitures en travers de la route (liste non exhaustive). Et alors Jean-Claude Fanboy me rétorquera ici que c'est ma faute, que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même si je ne fais pas ce que le jeu attend de moi, et c'est très vrai, mais ça n'en reste pas moins des p*tains de murs invisibles, et on n'en reste pas moins en l'an de grâce 2024. Si à l'époque de la PS2, ce genre d'artifices un peu cheap passaient crème parce qu'ils étaient la norme, qu'on en trouvait dans tous les jeux, qu'on ne s'en formalisait pas parce qu'on savait qu'ils étaient nécessaires, faute de moyens techniques appropriés, on n'avait pas vingt ans de game design derrière durant lesquels les développeurs ont réfléchi à comment éviter la chose, ou au moins l'intégrer de manière plus naturelle et plus crédible. Parce qu'ok, admettons, ce ne sont pas des murs invisibles parce que de toute façon le joueur n'est pas censé aller par là, d'accord. Mais en ce cas, ça veut dire qu'il n'y a pas non plus de murs invisibles dans Black Myth Wukong ou dans Final Fantasy May Cry XVI, quoi qu'on ait pu lire ça et là. Bon et puis sincèrement, de vous à moi, si le jeu ne veut pas que j'aille dans telle ou telle direction, peut-être que me filer un trophée pour avoir essayé dès le début de ma partie n'est pas le meilleur moyen de passer le message. La prochaine fois, qu’il fasse comme Mary, qu’il m’écrive une lettre.
Cette énième parenthèse refermée, nous retrouvons Edward enfermé dans la résidence Wood Side, où il s’est réfugié pour échapper à une tempête de brume que son appli météo n’avait pas prévu, et qui galère maintenant à ressortir, parce que tout est fermé à clé partout, que tout est plongé dans le noir (raison pour laquelle il l'a rebaptisée mentalement la résidence Evil. Quel petit blagueur cet Edward, quand même) et que le gérant de cet escape game a un esprit tordu. Même s'il a de la bouteille en la matière (il a ouvert la porte du garagiste et il a réparé le juke-box, quand même), il doute d'arriver à terminer dans l'heure et à voir son nom inscrit au registre des meilleures performances. Mais qu'à cela ne tienne : l'essentiel, c'est de participer. Il est très Coubertin, Edward. Et puis il n'est pas seul. Littéralement. Il peut compter sur les résidents des locaux pour lui servir de punching ball quand il a un trop plein de stress à déverser, ou quand il a envie d'imprimer les motifs de ses semelles sur quelque chose de mou. Il n'est pas plus inquiet que ça : il a récupéré la pire lampe-torche de l'univers depuis Alan Wake premier du nom, dont les piles ne se vident jamais mais qui en contrepartie n'éclaire rien (ce qui rend d’autant plus cocasse la façon dont Maria se protège les yeux lorsqu’on la braque sur elle, et son « tu cherches à m’aveugler ou quoi ?! », surtout quand on y repense dans les premiers secteurs de la prison de Toluca, où on pourrait jouer l’écran éteint qu’on n’y verrait pas beaucoup moins), un pistolet, et deux types de potions de soin pour quand il se prend un bout de chair dans l'oeil : la potion miracle du docteur Raoult, qui guérit tous les petits bobos en une seconde, et la seringue d'invendus Pfitzer, plutôt à réserver aux gros bobos, comme ça il y en a pour les pros et pour les antis, tout le monde est content.
Notre homme étant par ailleurs très sociable, au cours de sa traversée, il se fait plein de nouveaux amis : Laura, petite blondinette d'une dizaine d'année qui lui marche malicieusement sur les doigts (ils sont si mignons, à cet âge...) avant de shooter dans la clé qu'il essayait d'attraper ; Bouffetout, le fantôme des films Ghostbusters, avec du fond de teint et une casquette ; Pyramid Head, le Sephiroth de la saga ; et Angela, notre caissière de Super U préférée, qu'il retrouve en train d'essayer la marchandise du rayon coutellerie en douce, à l’occasion d’une scène Shakespearienne de l’Académie Française qui nous dévoile sa véritable identité : Francette Huster, c’est elle, la façon dont elle surjoue la scène ne trompe pas, pour rester dans le ton d’un remake où absolument TOUT est surjoué, histoire que le joueur très intelligent de 2024 ne passe pas à côté d’un détail significatif.
(à suivre en commentaires, on a à peine fait la moitié mais Sens Critique refuse d'aller plus loin. Quelle flippette lui alors).