La question du "méta" semble avoir pris une place centrale dans les jeux vidéo, en particulier ceux dits "indé", depuis plus de 10 ans. Si on peut trouver des exemples d'interactions directes entre le jeu et le joueur (et non son personnage) dès Metal Gear sur MSX, ou l'ennemi final du jeu interpelle le joueur pour lui demander d'éteindre sa console, à la manière d'un narrateur d'un Nouveau Roman de Butor ou Robbe-Grillet, je situerai l'explosion de ce genre de mise en abyme à la sortie de The Stanley Parable en 2013, où le narrateur du jeu dicte les actions du joueur avant même que celui-ci ne les accomplisse, ce qui conduira toute personne avec un esprit un peu rebelle à désobéir aux consignes données pour voir jusqu'où pousser ce pauvre narrateur.
Dès lors, les succès critiques du jeu vidéo utilisant cette même interaction avec le narrateur, ou de manière plus générale utilisant le médium du jeu vidéo et ses limites comme moyens narratifs se sont enchaînés : Undertale resituera dans le contexte du jeu l'idée même de sauvegarde, et jouera avec succès avec l'idée que le personnage que l'on incarne et le joueur lui-même sont deux entités différentes, aux objectifs parfois contraires. Doki Doki Literature Club ira encore plus loin, jouant avec les attentes du joueur pour le plonger dans un jeu d'horreur psychologique et l'obliger à prendre des actions en dehors du contexte du jeu afin d'en atteindre la vraie fin. Enfin, Disco Elysium réussira à éparpiller le rôle du narrateur à travers quantité de "voix" parlant au joueur, faisant interagir les choix du joueur avec la narration de manière plus subtile que The Stanley Parable. A vrai dire, le "méta" est peut-être même devenu un objet cliché, attendu plus qu'il n'est surprenant, en particulier au sein de jeux indé à moindre budget pouvant moins compter sur leur écriture que sur leur capacité à surprendre le joueur.
Slay the princess, heureusement, ne fais pas partie de cette catégorie de jeux, et semble même faire le bilan de ces prédécesseurs avec succès. On retrouve ainsi un narrateur hostile aux choix "non-conformes" du joueur, tout comme des "voix" semblables à Disco Elysium (héroïsme, peur, panache...), mais comme s'ils avaient conscience de la volonté de certains joueurs de "casser le jeu" par les choix inhabituels, on retrouve également la voix de l'anticonformiste, qui de manière parodique semble défier tous les choix du narrateur. Narrateur qui, par ailleurs, joue un rôle central dans l'histoire et qu'on ne découvre qu'en fin du jeu. Tout comme DDLC, le jeu se permet aussi parfois de joueur avec son médium, en particulier lorsque le joueur décide de ne pas faire de choix et au contraire d'attendre que le temps passe.
Mais revenons aux bases. Slay the princess est l'histoire d'un personnage qui, selon les dires du narrateur, doit s'avancer vers une cabane et y tuer la princesse qui y réside, sans quoi la fin du monde se produira. Sans en dire plus, l'histoire prendra de sacrés tournants, répondra de manière interactive à tous les choix du joueur (pas de dialogue répété en boucle ici, ou de d'arbre menant à la même conclusion quel que soit le choix pris), et il n'y a aucune "mauvaise fin" : quelle que soit la voie choisie, le jeu acheminera le joueur vers une fin plus ou moins étrange. Il s'agit donc moins d'une réflexion sur le rôle du narrateur qu'une sorte de "livre dont vous êtes le héros" aux possibilités très larges, et où le narrateur est tout autant un pion de l'histoire que le personnage principal, ou la princesse. Aucune action n'est anodine, et toutes les fins font plaisir à voir une fois qu'on en a pris conscience : il n'est donc pas nécessaire de faire des sauvegardes toutes les minutes pour espérer ne pas perdre sa progression, et on peut ainsi facilement se laisser porter par le cours de l'histoire.
En résume, Slay the princess est un excellent "visual novel", rappelant les meilleurs heures de ses prédécesseurs sans les singer. Ah oui, et les développeurs du jeu ont déclaré qu'ils n'étaient pas hostiles à l'idée que des joueurs piratent leur jeu afin de l'essayer, ce qui ironiquement m'a donné plus envie de l'acheter sur Steam (et la quantité de succès Steam en vaut clairement la chandelle).