L’angoisse de la page blanche. Quelques heures après avoir terminé le titre, je ne sais toujours quoi écrire à son sujet. Et pourtant, j’aurais aimé adorer ce jeu, et pouvoir en écrire plus que de raison dessus. Soldats Inconnus possède des qualités honorables, notamment la volonté affichée d’être un jeu sur la guerre, pas un jeu de guerre, la Grande Guerre de surcroît, et son esthétique de bande dessinée animée superbement portée par le fulguro-moteur© UbiArt® en met plein la vue. Seulement voilà, si la liste que je viens d’établir ressemble à un communiqué de presse bien huilé, c’est parce qu’elle l’est dans un sens.
Sans vouloir atténuer la qualité globale du titre, c’est avant d’être un bon jeu une excellente opération de communication. Une idée d’autant plus étrange que les joueurs ont fini par s’habituer au bullshit caractéristique d’Ubi Soft, fait de promesses non tenues et de jeux Canada Dry. Rien de tout cela ici, le titre n’ayant pas bénéficié d’une exposition exceptionnelle ses ambitions restent modestes et conformes à ce que des centaines de joueurs célèbrent à l’unisson : l’approche, le background et les graphismes. Même si je m’y retrouve personnellement, j’aurais aimé y trouver plus que cela, car à aucun moment de l’aventure le titre ne m’a paru vouloir dépasser sa condition ; c’est beau, original et poignant, c’est un avatar vidéo ludique du Titanic de James Cameron. Un produit créé pour être aimé, vendu pour être encensé, sans la moindre once de subversion caractéristique à toute grande oeuvre, malheureusement.
Soldats Inconnus est juste un bon jeu, et par ‘juste’ j’entends juste bon, et tout juste un jeu. Comme beaucoup de titres portés sur la narration pure, on y retrouve ce gameplay ambivalent, partagé entre la volonté d’impliquer le spectateur dans une grande histoire et l’impératif de proposer un minimum d’interactions au joueur. Les différentes séquences de jeu, les énigmes, les quelques scènes d’action ne procurent pas un challenge très ardu, et l’emphase portée sur les personnages et le scénario rapprochent le titre des productions Telltales modernes. Sauf que si The Walking Dead par exemple impliquait le joueur en lui octroyant l’illusion d’un certain contrôle, ici la progression sur rails associée aux séquences de jeu mi-figue mi-raisin ne m’ont pas passionné outre mesure.
L’ensemble, schizophrénique, tient miraculeusement debout, mais à vouloir se goinfrer à tous les râteliers, entre jeu vidéo pur, graphic novel interactif et ludiciel à portée éducative, le titre s’empêtre dans ses propres contradictions. Certains passages m’ont même purement et simplement énervé, à vouloir caser des séquences de gameplay dispensables au milieu d’évènements scénaristiques poignants. La majeure partie de l’aventure se déroule en pilotage automatique, on n’avance pas tant pour remplir un objectif que pour voir la suite de l’histoire. Prenez Portal par exemple, la série soulève des pistes intéressantes sur les sources de motivation du joueur. En enchaînant les salles de test, un parallèle astucieux se crée entre Chell le rat de laboratoire, ‘contrainte’ à une fuite vers une sortie éventuelle, et le joueur mû, de part sa condition-même, par sa curiosité, par la volonté de voir ce qu’il va se passer ensuite, et quelle en sera l’issue. La série de Valve questionne ce rapport entre avatar et joueur en laissant à ce dernier une coquille quasi-vide à disposition et suffisamment de latitude pour se créer sa propre aventure. Soldats Inconnus cultive de son côté l’asynchronie la plus totale entre joueur et avatar. A aucun moment on ne s’appropriera les objectifs de son personnage, on avance parce qu’il faut terminer le jeu, et celui-ci avance parce que la guerre c’est la guerre, et les ordres sont les ordres.
Pourquoi pas, après tout, il est possible d’envisager cela comme un point de vue sur la vacuité de la guerre. Sauf que jamais le jeu ne remet en cause cette autorité. On avance pour avancer, et l’on change éventuellement de personnage, rendant l’implication personnelle d’autant plus compliquée. Je dois l’avouer, sans objectif commun à atteindre en vue, certains passages m’ont tout simplement ennuyé. Je sais que la Grande Guerre est un évènement historique majeur auquel il est très difficile de dévier, mais quitte à mettre des bosses et des méchants caricaturaux, j’aurais aimé que le titre aille plus loin prenne des libertés supplémentaires avec son sujet.
Soldats Inconnus est une excellente production, puisqu’il faut bien lui trouver un attribut, mais ce n’est pas un grand jeu. C’est un documentaire Discovery Channel glorifié, ce qui dans l’absolu est loin d’être péjoratif. L’emballage est superbe, tant au niveau des graphismes que des compositions sonores, la toile de fond est originale et intéressante, mais dans l’absolu ce n’est qu’un outil pédagogique, destiné à mettre en images la puissance romanesque de lettres de poilus qui ont ennuyé plus d’une génération de collégiens par le passé. De ce point de vue le titre, très documenté, est une véritable réussite, et gageons qu’il incitera la jeunesse actuelle à s’intéresser à une Guerre plus méconnue mais toute aussi sale que sa petite soeur. Mais c’est un titre qui reste dans la démonstration permanente, jamais dans la subversion, ce petit truc qui aurait pu lui permettre d’être un grand jeu vidéo. Pour en revenir au début de ma critique, c’est une oeuvre calibrée pour plaire, avec un sujet attirant, une forme attirante, mais son approche novatrice n’est réussie que si l’on considère qu’il s’agit d’un documentaire passé de l’autre côté du miroir pour devenir un jeu vidéo, et pas l’inverse. En l’état cela reste malgré tout très intéressant et je vous conseille d’y jouer pour vous en faire votre propre idée.