S’il y a bien une tendance détestable dans le monde du jeu vidéo, c’est sûrement la banalisation, voir même la justification de la guerre. Dans Call of Duty ou Battlefield, vous incarnez un soldat forcément américain qui va se battre pour sa patrie, et faire preuve d’héroïsme en massacrant à tour de bras. Ces jeux rabaissent inévitablement le jeu vidéo, et le condamnent à rester aux yeux des non-joueurs un média de pur divertissement et à but uniquement commercial, surtout que ce sont ces jeux qui se vendent le plus. Sauf que, n’en déplaise aux détracteurs du jeu vidéo dans sa globalité, il existe un jeu qui, au lieu de faire l’apologie de la guerre, met le joueur incarnant un soldat face à ses actes, et le contraint d’admettre que la fin ne justifie pas les moyens. Ce jeu, c’est Spec Ops : The Line dont le parti-pris antimilitariste contraste complètement avec les grosses productions.
Vous incarnez donc Walker, un capitaine de l’armée américaine qui, avec deux de ses coéquipiers, va partir en repérage à Dubaï, ville dévastée par une tempête de sable quelques semaines auparavant et, au passage, sous le joug d’une compagnie de soldats américains dissident, qui semble contrôler la ville. Si le début laisse penser qu’on a affaire à un jeu d’action générique sans grande prétention, c’est dans sa seconde partie qu’il prend tout son intérêt. Car on a affaire au bout d’un moment à une véritable descente aux enfers, où le joueur se rend compte qu’il n’est pas forcément dans le bon camp. Et que le personnage qu’il incarne est loin d’être un héros… Le joueur devient brusquement désorienté de ce qu’il se passe, et commence à se poser des questions, rendant le combat autant physique que moral. Pourquoi Walker prend des décisions aussi extrêmes, laissant ses deux coéquipiers dubitatifs ? Et surtout, est-ce que toutes ces fusillades, ces massacres dans les rues de Dubaï ont un sens, un but ?
Surtout que le joueur n’est pas totalement passif des évènements, étant régulièrement mis à l’épreuve par le jeu qui lui impose des choix immoraux sans lui spécifier qu’il y a une autre issue, plus juste. Car quand une foule de civils déchaînés se trouvent devant vous après avoir lynché un de vos amis, votre première réaction ne sera pas forcément de tirer en l’air. Et vers la fin du jeu, même les classiques conseils de jeu pendant les temps de chargement vous interloqueront : « combien de soldats américain avez-vous tué aujourd’hui ? », « Vous pensez être un héros ? » ou encore « L’armée américaine interdit les tirs sur des civils désarmés. Mais tout ceci n’est pas réel, alors ça n’a pas vraiment d’importance. ».
Mais en dehors de tout cela, qu’en est-il du gameplay pur ? Car si la narration du jeu est admirable en tout point de vue, les phases de jeu sont beaucoup plus conventionnelles et classiques, dans la droite lignée d’un Gears of War, en plus répétitif. Mais si c’est cet aspect qui a provoqué le bide indéniable du jeu à sa sortie en 2012, il reste plutôt nerveux, hardcore en mode difficile, et n’oublie pas de nous proposer des scènes dantesques, comme celle où l’on tente d’échapper à des tirs d’hélicoptère sous des airs d’opéra de Verdi (!). Et puis sérieusement, quels jeux d’actions peuvent se targuer d’avoir innové réellement à part Max Payne, Resident Evil 4 et quelques autres ? Sans compter que la direction artistique de Spec Ops : The Line est tout bonnement superbe, avec des effets de lumière captivant.
Pourvu d’une narration n’ayant rien à envier au cinéma ou même à la littérature (le général ennemi s’appelle John Konrad, faisant directement référence à Joseph Conrad, et son livre Au Cœur des Ténèbres dont le jeu s’est en partie inspiré) aussi bien dans sa mise en scène que dans sa portée, le jeu du studio Yager prouve que le jeu vidéo peut proposer une réflexion profonde et nuancée au joueur, ici sur le thème de la guerre et de sa représentation. Dans cette optique, la fin du jeu, sublime, laisse le joueur éberlué en se rendant compte qu’il a été dupé depuis le début.